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Vice de procédure : vers la fin du juridisme procédurier ?

Publié le 14 février 2012 par Arnaudgossement

conseil-detat.jpegRien de plus énervant que de voir le juge administratif parfois contraint d'annuler des décisions administratives au seul motif que celles-ci ont été rendues à la suite d'une procédure affectée d'un vice parfois minime - relevant de la broutille - mais suffisant pour voir tout l'édifice s'effondrer. A la suite du législateur, le Conseil d'Etat  a rendu, ce 23 décembre 2011, un arrêt d'assemblée d'une particulière importance qui met un terme au juridisme excessif de certains requérants. Une petite révolution dans les prétoires.


Avant toute chose, je vous conseille de lire l'excellent commentaire de l'arrêt rendu par le Conseil d'Etat, publié à l'AJDA de février 2012 (p 195), par M Xavier Domino et Mme Aurélie Bretonneau. Je ne résiste pas à l'envie de vous citer les premières phrases de cette chronique :

"La question du vice de procédure est à n'en pas douter l'une des plus empoisonnantes qui soit en droit administratif. Elle l'est assurément, d'abord pour l'administration. Guy Braibant déplorait ainsi, dés 1995, que l'élaboration des décisions devienne un parcours du combattant" et que "chaque phase du processus puisse être la source d'irrégularités qui entraînent l'effondrement de la décision finale"".

L'intervention du législateur

Avant toute chose, il convient de rappeler que l'article 70 de la loi n° 2011-525 du 17 mai 2011 "de simplification et d'amélioration de la qualité du droit" dispose : 

"Lorsque l'autorité administrative, avant de prendre une décision, procède à la consultation d'un organisme, seules les irrégularités susceptibles d'avoir exercé une influence sur le sens de la décision prise au vu de l'avis rendu peuvent, le cas échéant, être invoquées à l'encontre de la décision".

Il est trés intéressant de se reporter aux travaux parlementaires préparatoires pour comprendre la genèse de cette disposition qui n'a, paradoxalement, pas encore beaucoup fait parler d'elle. Nul doute cependant qu'à la suite de l'arrêt du Conseil d'Etat commenté plus bas, les "acteurs" du procès administratif manifesteront leur intérêt pour cette nouvelle règle que, personnellement, je salue.

L'exposé des motifs de la proposition de loi déposée par M le déuté Jean-Luc Warsmann le 7 août 2009 précisait : 

"L’article 35 tend à renforcer la sécurité juridique des actes pris par les autorités administratives, en limitant les cas d’annulation des décisions prises après avis d’un organisme consultatif. Dans les cas où la consultation est obligatoire, seules les irrégularités susceptibles d’avoir exercé une influence sur l’avis rendu par l’organisme consulté pourront être invoquées à l’encontre de la décision. Dans les cas où, bien qu’aucun texte ne prévoie une consultation obligatoire, l’autorité administrative sollicite l’avis d’un organisme consulté, les irrégularités qui pourraient affecter la légalité de l’avis rendu seront sans incidence sur la légalité des décisions prises".

On le voit, le texte initial de la proposition distinguait deux vices de procédure : celui procédant d'une irrégularité relative à une consultation obligatoire de celui émanant d'une irrégularité afférente à une consultation facultative. En Commmission des lois, fut évoquée l'opposition du Conseil d'Etat à cette distinction. L'avis du Conseil d'Etat cité au rapport précise: 

Extrait de l’avis du Conseil d’État

« Il n’y a pas d’obstacle à ce que, dans le cas des consultations facultatives comme dans celui des consultations obligatoires, seules les irrégularités substantielles, c’est-à-dire celles ayant exercé une influence sur le sens de la décision prise, puissent être de nature à entacher la légalité de cette décision.

En revanche, la disposition du second alinéa de l’article qui prévoit que les irrégularités pouvant affecter la légalité d’un avis rendu, lorsque l’organisme consulté a été saisi de façon facultative, sont sans incidence sur la légalité des décisions prises au vu de cet avis, pourrait, le cas échéant, poser problème au regard de la garantie des droits qui résulte de l’article 16 de la Déclaration de 1789 et du droit à un recours juridictionnel effectif. En outre, l’objectif de simplification poursuivi par cet article conduit à ne pas recommander d’instaurer deux régimes contentieux distincts pour les consultations irrégulières, selon qu’elles sont obligatoires ou non, la distinction entre ces deux catégories étant dans certains cas malaisée.

Enfin, il y aurait lieu de prévoir expressément que la présente disposition s’applique au cas des consultations ouvertes prévues par l’article 8 de la proposition de loi. »

A la suite de cet avis du Conseil d'Etat, les députés décidèrent de ne retenir qu’une seule rédaction, que la consultation soit obligatoire ou non. La lecture des débats en Commission des lois démontre que cet article a bien été rédigé dans le but de limiter les annulations contentieuses de décisions administratifs : 

"L’article 35 renforce, quant à lui, la sécurité juridique lorsque l’autorité administrative procède à une consultation.

M. le rapporteur. Il vise en effet à limiter les cas d’annulation des décisions prises après avis d’un organe consultatif.

M. le président Jean-Luc Warsmann. Le rapporteur proposera un amendement tendant à récrire le texte de cet article, qui a suscité un vif débat au Conseil d’État. Une disposition ne pourra plus être annulée que si l’irrégularité touchant la consultation porte atteinte au sens de la décision. Il s’agit d’une mesure de sécurisation juridique considérable.

J’avais initialement proposé un dispositif, que le Conseil d’État a jugé trop complexe, visant à distinguer le cas de la consultation obligatoire de celui de la consultation non obligatoire, afin qu’une irrégularité dans une consultation non obligatoire ne puisse entraîner l’annulation d’un acte pris pas une autorité administrative.

M. Jean-Michel Clément. Êtes-vous certain, monsieur le président, que cette mesure diminue le nombre des contentieux, car le débat pourra porter sur le contenu même de l’interprétation qui aura été donnée ?"

En séance, M Warsmann a pu souligner la vocation de cet article : sécuriser le travail et faire tomber le nombre d'annulations.

"M. Jean-Luc Warsmann, président de la commission des lois. Je ne comprends pas l’hostilité à cet article qui constitue un grand progrès dans la sécurisation du droit. La jurisprudence en est arrivée au point que si une autorité administrative demande une consultation qui n’est pas obligatoire et que celle-ci comporte une irrégularité, sa décision est annulée. Nous, nous souhaitons sécuriser le travail de l’administration et faire tomber le nombre d’annulations.

À cette fin, nous posons dans l’article un principe proposé par l’assemblée générale du Conseil d’État: que la consultation soit ou non obligatoire, seules des irrégularités qui auraient pesé sur le sens de l’avis rendu ou de la décision pourront être une cause d’annulation. On place la barre beaucoup plus haut. Un exemple: je devais convoquer une commission quinze jours avant l’étape suivante et je l’ai fait un jour trop tard, mais tous les membres étaient présents et elle a rendu un avis. Le délai de quatorze jours au lieu de quinze jours n’a pas pesé sur celui-ci puisqu’elle a travaillé dans les règles. Il ne sera plus possible d’annuler l’acte administratif concerné. C’est un grand progrès dans l’unification de la jurisprudence et dans la sécurisation des actes administratifs. Je vous invite donc à rejeter cet amendement de suppression".

Le Conseil d'Etat identifie une nouveau principe

Au cas présent, le Conseil d'Etat était saisi d'un recours tendant à l'annulation d'un décret pris au terme d'une procédure au cours de laquelle une autorité n'avait pas été consultée comme elle aurait dû l'être.

La Haute juridiction rappelle tout d'abord au rappel des dispositions de l'article 70 de la loi du 17 mai 2011 puis procède à leur interprétation : 

"Considérant que l'article 70 de la loi du 17 mai 2011 dispose que : Lorsque l'autorité administrative, avant de prendre une décision, procède à la consultation d'un organisme, seules les irrégularités susceptibles d'avoir exercé une influence sur le sens de la décision prise au vu de l'avis rendu peuvent, le cas échéant, être invoquées à l'encontre de la décision ;

Considérant que ces dispositions énoncent, s'agissant des irrégularités commises lors de la consultation d'un organisme, une règle qui s'inspire du principe selon lequel, si les actes administratifs doivent être pris selon les formes et conformément aux procédures prévues par les lois et règlements, un vice affectant le déroulement d'une procédure administrative préalable, suivie à titre obligatoire ou facultatif, n'est de nature à entacher d'illégalité la décision prise que s'il ressort des pièces du dossier qu'il a été susceptible d'exercer, en l'espèce, une influence sur le sens de la décision prise ou qu'il a privé les intéressés d'une garantie ; que l'application de ce principe n'est pas exclue en cas d'omission d'une procédure obligatoire, à condition qu'une telle omission n'ait pas pour effet d'affecter la compétence de l'auteur de l'acte"

C'est ainsi, qu'au cas par cas, il appartiendra au Juge d'apprécier si un vice de procédure a pu avoir une "influence sur le sens de la décision ou qu'il a privé les intéressés d'une garantie".

A noter, ce considérant s'achève sur un "traitement" particulier à l'hypothèse des procédures obligatoires : "que l'application de ce principe n'est pas exclue en cas d'omission d'une procédure obligatoire, à condition qu'une telle omission n'ait pas pour effet d'affecter la compétence de l'auteur de l'acte".

A noter encore : ce principe, ainsi dégagé par le Conseil d'Etat à la suite de l'intervention du législateur est d'application immédiate aux contentieux en cours. 

En conclusion, force est de constater que cette nouvelle règle et ce nouveau principe représentent une avancée indéniable dans le sens de la sécurité du droit, de la sécurité du travail de l'administration. 

On ne peut que se réjouir que ce principe puisse contribuer à mettre une terme à cette situation toujours étonnante où l'auteur d'un recours en annulation disserte à l'infini sur les vices de procédure dont serait affectée la décision litigieuse plutôt que d'exposer clairement les motifs réels pour lesquels il a entendu former ce recours. 

La réduction du champ du vice de procédure n'équivaut pour autant pas à la disparition de ce moyen mais permet de le recentrer sur l'essentiel, à savoir l'influence du vice sur le sens de la décision prise. En ces temps d'inflation législative et d'insécurité juridique grandissante, cette loi et cet arrêt constituent de bonnes nouvelles. 


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