Mont-Ruflet
poème-feuilleton d’Ivar Ch’Vavar
32e épisode
Résumé de l’épisode précédent : Une soucoupe volante n’a pas été loin de se poser dans le sous-bois. Un lapin plutôt coquet et très pressé car toujours en retard gicle d’un arbre creux. Il déplore la situation présente et en impute la responsabilité à Alice, immigrée de derrière le miroir.
L’éliminer. De sa présence nous avons commencé à pâtir, tous !
Elle fera de notre monde une terre vaine, un waste land. Croyez
-En mon expérience et ma sagesse. ‒ Ne la tuons pas forcément.
Mais forçons-la sur ses brisées. ‒ Foutons-lui une sainte trouille !
Qu’elle en souille son fond de braies. Oui, tout d’abord Guy va
Passer deux ou trois fois sous ses fenêtres, en arborant un souri
Re de plus en plus gentil et de plus en plus carnassier. Il y aura
En outre un reflet pas net dans le verre de ses lunettes, un vent (1620)
Anormalement tiède tiendra sa mèche souplement dressée sur
Sa tête... Elle ne supportera pas ça et filera dans le bois...Mais là,
Là, mes amis, frères, camarades, elle ne tardera pas à entendre
Derrière elle, dans son sillage à grands plis et aussi peu discret
Qu’une aurore boréale...le grondement, le roulement, et l’ahan
Le monumental barrissement de la Beste ! piqueté, persillé par
Les cris plus pointus que banderilles de ses servant s ; et desser
Vants. Oh ! quand la Beste sera après son fumet ! elle le saura !
Elle le saura, Alice, je vous le dis, moi, elle le saura. — Comme
C’est bon, d’y penser, non ? Elle aura la suée de sa vie entre ses (1630)
Omoplates. Nous on sourit, on plisse et voire on serre les yeux
On hoche lentement la tête: on apprécie. - On écoute, les doigts
Croisés sur le ventre, les pouces se touchant du bout et prêts à
Tourner frénétiquement l’un autour de l’autre quand la meute
Passera aux choses sérieuses. Humhum. - J’entends déjà Argo
Crier : « Je vais lui s’couer la charogne, la gueuse ! je vais lui ra
Cler la muqueuse ! » Elle court elle court... Elle court dans l’on
Dée de sa propre suée, ô, dans la vapeur de sa grande sueur, ô
Alice ! dans le cube étroit de son rude effroi, elle allonge encor
Sa foulée, Alice. Aux cuisses d’écrevisse. Et eux, l’aigre vice au (1640)
Corps chevillé, l’âcre viscosité de la bestialité, ils se multiplient
Sur tous les sentiers parallèles. ‒ Et puis arrive Schmitt, mi-tiré,
Mi-poussé par ses desservants, la Beste ! et lui, la tête dans une
Lourde et sonore tête de cerf, ‒ lui seul ne la voit pas et n’a pas
Les yeux piqués dans son dos, il ne voit rien, il sent seulement,
Le fumet ! il tend les bras en avant, il bande colossalement et b
Rame et rée, il fait un bruit terrible de branchages froissés, et...
« Redresse-lui l’conduit ! piaillent les autres, ‒ redresse-le-lui à
Ç’te salope ! » Le mot est lancé, et partout dans le bois l’écho le
Répercute : Sa - a - a -a – a – a – lope ! « Alice ! Alice ! », qu’on (1650)
Crie en courant dans le taillis (Thierry la Fronde et sa bande ?).
Quand elle s’entend appeler par son nom, la victime — c’est ici
Que ça devient sublime. Elle comprend qu’elle n’échappera pa
Z à son destin, qu’elle est la première sur la liste et peut-être la
Seule. Mais ce qui serre le cœur vraiment, c’est les sourires, les
Petits signes amicaux des poursuivants, et les cris qu’on entend
« Attention, Argo ! le sentier tourne ! appuie un peu sur la droi
Te », «Préparez-vous à lâcher la Beste ! », « Thierry et Guy ! su
R le chablis, garçons ! », « Jehan et Boucicaut ! restez à la même
Hauteur ! », « Eh ! elle court la crotte au cul, regardez ! ». Rires, (1660)
Et rires, bordées et salves de rires, gros, gras, spumeux, répercu
Tés cent fois et s’étendant en une grande nappe ondulant sur le
Bois. Hommes, gnomes, trognes, les gens du Moyen Âge vêtus
De vert et de roux, les champignons aussi rient les vieux troncs
épisode 33, vendredi 18 février 2012