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Lyn Hejinian (anthologie permanente, traductions inédites de Jean-René Lassalle)

Par Florence Trocmé

Poezibao a déjà publié, grâce à Jean-René Lassalle,  un jeu de traductions croisées entre Lyn Hejinian et le poète russe Arkadii Dragomochtchenko. 
 
Ma vie 
 
  Le flot, et si 
                                                                tu le brisais 
                                                                tu n’en aurais pas 
 
Rien de bon à voir dans la ville, mais la pluie est assez bonne à entendre. Si « j’adore entendre les vagues » et « j’adore t’entendre parler ». Petit dialogue dans un carton, entendu dans la rue. Baby, baby, baby – ça c’est normal. S’il doit y avoir une histoire, prise en compte, une chose fixée dont on ait fait l’expérience, ce n’est rien de la sorte. L’analogie évidente est avec une musique comme avec des mots. Un sens de la définition (différent de celui de la description, qui est une sorte de récit ou décompte, numérique, une liste de couleurs) se développe comme un sens personnel de la possibilité, de l’éventail de ce qu’on pourrait faire ou connaître, s’interrompt avec les années. Alors je m’en suis débarrassée. Je peux seulement proposer les apologies que j’ai commises. La première fois, quand nous avons emménagé, les voisins de gauche se sont plaints du saxophone, mais après, quand nous sommes devenus familiers, ils ont commencé à se sentir bien disposés envers nous, amicaux, jusqu’à ce que le bruit soit ce qu’ils préfèrent chez nous, puisqu’il les rend tolérants et généreux. Des surfaces d’information se croisent, coïncident. Mots dans lesquels il nous importe d’être aussi. Aiment-ils le sable les buissons de roses. Les fenêtres à volets dans le battement du vent, cognent contre la pièce. Puis ma voiture au bord de ton trottoir. Osier. Elle soupire lui oui. Il n’y a pas de « similarité » du ciel. Nous étions assis sur la plage à la mer dans le froid et j’étais aussi chaude qu’une personne peut l’être. Des mains froides signifient quelque chose, un frisson au-dessus d’une tombe, cuillères échappées. Il est difficile de se détourner de l’eau qui bouge. Le remous accroche quelque part, ou prend une forme de cuiller, on le dit alors « impitoyable ». Le musicien a une épouse qui assiste. Une envie en mouvement, impulsion originale. Ensuite, quand il faut rentrer à la maison, et moi oui. Jamais vraiment loin, jamais varie loin. Des vagues à chevaucher à côté de l’autre à la plage. Le monde dans ses habitudes, le mot dans le monde qu’il habite. C’est des bois. Ça me remet à l’esprit. Un temps ralenti, et une distance avancée – à la vague offrant une pause, une rose, quelque chose sur papier. Le temps est écoulé. Il y a des jours où seul un travail concentré sur son commerce est suffisamment satisfaisant. Rien de la sorte auparavant et seulement une coïncidence. Observant le séchoir qui veille sur les vêtements au lavomatic, puis magné à la maison, tout propre et tout sec, tout fini donc. La télé ferait un trou profondément ennuyeux dans une pièce. S’il n’y a rien par la fenêtre regarde des livres. Appelle le chien Deux, donc. La chance de vouloir sans vouloir pour. Une liste et contre ça fait clic. On crie stop pour calmer le chien chiant dans son aboiement noir. Des mots entendus avec les yeux. Envie de bois de route, obscurité passant les arbres. Des airs durant des heures, calme, promener. Mais toute la semaine j’ai senti mon esprit, comme ses pensées sont froides, avec quelle réticence elles quittent ma tête. 
 
Extrait de : Lyn Hejinian : My Life, Sun & Moon Press, Los Angeles 1987. 
Traduit de l’anglais (américain) par Jean-René Lassalle 
 
 
 
My life 
 
                                                                The run, that if 
                                                                you broke it, 
                                                                you’d have none 
 
Nothing good to see in the city, but the rain is some good thing to hear. If “I love to hear the waves” and “I love to hear you talk”. Carton little dialogue, heard on the street. Baby! baby ! baby ! – that’s normal. If there is a story at all, accounted for, a settled thing to have experienced, it’s nothing of the kind. The obvious analogy is with music as with words. A sense of definition (different from that of description, which is a kind of storytelling or recounting, numerical, a list of colors) develops as one’s sense of possibility, of the range of what one might do or experience, closes with the years. So I gave it away. I can offer only the apologies I have committed. When we first moved in, the neighbors on the left complained about the saxophone, but eventually, as we became familiar, they began to feel well-disposed toward us, friendly, until the noise was what they liked most about us, since it proved them tolerant and generous. Planes of information intersect, coincide. Words in which we care to be also. Do rose bushes like sand. The casement windows in the wind flap, bang against the room. Then my car near your curb. Wicker. She sighs, him hum. There is no “sameness” of the sky. We sat on the beach at the sea in the cold and I was as warm as one person can be. Cold hands mean something, a shiver over a grave, dropped spoons. It is hard to turn away from moving water. The undertow is somehow hooked, or spoonshape, and said to be in that way, “remorseless”. The musician has a spouse and it attends. A yearning in motion, original impulse. Then, when it’s time to go home, and I do. Never very far, never varies far. Waves for the ride beside one at the beach. The world in its habits, word in the world it inhabits. That’s woods. That reminds me. A time slowed down, and a distance brought forward – the wave given pause, a rose, something on paper. Time’s up. There are days when only the busy work of shopkeeping is sufficiently satisfying. Nothing of the kind before and only a coincidence. Watching the dryer at the laundromat guarding the clothes, then hauled home, all clean and all dry, so all done. The TV would make a boring hole in a room. If there’s nothing out the windows look at books. Name the dog Two, too. Lucky to want without wanting for. A list and against it ticks. We call out quit it to quiet the dull dog in the dark barking. Words heard with the eyes. Wish for road woods, the dark past the trees. Airs for hours, quiet, walk it. But all week I’ve felt my mind, how cold its thoughts are, how reluctantly they leave my head. 
 
Extrait de : Lyn Hejinian : My Life, Sun & Moon Press, Los Angeles 1987. 
 
 
[Jean-René Lassalle] 
 
Bio-bibliographie de Lyn Hejinian 


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