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Pour l'amour de la musique (?)

Publié le 17 février 2012 par Paule @patty0green

En lisant cet article intitulé « Manifeste pour la chanson de pointe », l’autre jour, je me suis demandée quelles en étaient les propositions. Un manifeste, s’il critique radicalement une situation actuelle, propose toujours des alternatives créatives. En fait, ce sont ces alternatives créatives qui sont au cœur d’un manifeste, qui en font un document à la fois de résistance et de revendications.Toutefois, si l’article rejette en bloc, par la voix des trois musiciens interviewés, à la fois l’industrie de la musique, les médias de masse (et, par ricochet, ceux qui les écoutent) et le Web de manière générale (par le truchement du piratage et de la liberté de ses usagers), il ne propose rien. Il transmet une frustration en plus de critiquer les autres musiciens qui ne font pas, comme eux, « de la chanson de pointe ».

Un discours stagnant

Qu’est-ce que la « chanson de pointe » selon cet article? « une musique intelligente, raffinée et en marge des courants commerciaux puisque singulière. » D’entrée de jeu, on nous dit que la musique que l’on retrouve dans les « courants commerciaux », autrement dit, les musiciens qui font de l’argent ne font pas de la musique intelligente et singulière. Rien de plus faux, évidemment. Cette belle croyance erronée n’a rien pour aider un artiste qui ne voudrait, en aucun cas, faire de la musique stupide, mais qui aimerait vivre de sa musique. L’un des commentaires de cette musicienne talentueuse est éloquent :

« Lorsque je compose pour Éric Lapointe, par exemple, je me moule, rétorque Catherine Major. Je sais qu’il aime les gros refrains pop émotifs, alors je lui en donne. Mais pour moi, non. Ça doit venir de l’intérieur. »

Donc, Éric Lapointe, ça ne vient pas de l’intérieur, c’est pour cela qu’il fait de l’argent. Autrement dit, les artistes intelligents sont capables de faire de la musique stupide pour les autres, mais par choix (intelligent), ils ne le font pas pour eux. À plusieurs moments, dans l’article, les artistes se comparent avantageusement aux star académiciens.

« Nos ventes d’albums sont peut-être moins impressionnantes, mais nous avons la chance de compter sur un public fidèle, ce qui n’est pas le cas de la majorité des Star Académiciens. Au final, notre démarche m’apparaît plus gratifiante. »

Je n’ai jamais connu de manifeste d’artistes qui critiquait les autres artistes de manière aussi tranchantes et condescendantes pour en conclure que leur démarche est plus gratifiante. Je comprends la colère envers Star Académie (mais non celle envers les star académiciens), mais il me semble que le combat ne se situe pas là. Il n’a pas intérêt à se situer là.

Il est certes déplorable de constater que certains musiciens dont les chansons sont appréciéespouvaient, il y a 20 ans, vendre beaucoup d’albums grâce à la diffusion médiatique de leur musique ou par le truchement de la critique, et qu'aujourd’hui, la musique de ces mêmes musiciens soit sous diffusée, donc peu vendue. Selon l’argumentaire de l'article, ces artistes sont très appréciés par les Québécois et, pourtant, ils ne parviennent pas à vivre de leur art. Si je suis d’accord avec l’argument que la bonne culture n’est pas nécessairement celle qui se vend, je ne comprends pas bien le message que l’on veut passer dans cet article. On veut être diffusé davantage pour vendre plus selon l’argument que la musique est bonne même si elle ne se vend pas? Enfin, il faut comprendre ici que ce qui m’attriste est le fait que ce genre de discours ne mène nulle part et, pourtant, il faudrait que ça mène quelque part. Pour cela, il faut s’engager pour de vrai dans une posture et non rester ambivalent entre deux postures entremêlées de toutes sortes de croyances erronées sur le bien (pas d’argent, authentique, intelligent) et le mal (argent, masse…liberté!) dans le domaine de la musique. Les dichotomies (industrie de la musique vs musique indépendante, médias de masse vs authenticité) ne servent pas à grand chose et le paysage est rendu beaucoup trop complexe pour faire de telles scissions. Il s’est complexifié notamment à cause du Web…

Liberté Web

Si les artistes dont il est question dans cet article sont, selon eux, très diffusés sur le Web, cela ne leur génère aucun revenu et, ainsi, on espère que le Web soit davantage réglementé. On parle peu du piratage, enfin, j’aurais beaucoup de mal à croire que la musique de ces artistes soit la cible de piratage. On s’en prend plutôt à la liberté Web de manière générale. On s’insurge devant les cablo-distributeurs qui offrent des connexions Internet haute-vitesse permettant aux usagers (stupides, on le sous-entend) qui ne réalisent pas qu’ils regardent des vidéoclips gratuitement alors que les artistes ne reçoivent pas d’argent. Et l’un des artistes concluent ceci:

« C’est à ce moment que les artistes se font enculer par la « liberté », poursuit Luc sans gants blancs. C’est hallucinant d’entendre à quel point le mot « liberté » a été récupéré par la droite. Aujourd’hui, la fameuse liberté, c’est le droit d’avoir un monde meilleur pour soi-même en se sacrant bien de la réalité des autres. »

Là, on s’en doute, je décroche un peu. Si tu craches contre les autres artistes, contre les médias « traditionnels » et que tu craches contre la liberté des usagers (tes fans, by the way) qui partagent ton vidéoclip par amour pour ta musique sur le Web en plus, il te reste plus qu’à rester frustré. Qu’est-ce qu’on veut, au final? Avoir plus de subventions?Il faut dire ce que l’on veut. Par-dessus tout, dans un manifeste,il faut montrer sa vision idéale, il faut créer un portrait, il faut se faire une place imaginaire et positive puisque cette place ne semble pas exister pour ces artistes. Un musicien crée de la musique, mais il doit aussi créer sa place, il me semble, surtout si sa posture s'inscrit en marge des modèles courants. La résistance, ok. La colère, ok. L’indignation, ok. Mais ceux-ci ne sont-ils pas des premiers stades, des moteurs pour l’action créative? Après tout, ce ne sont que des émotions!

Pratiquement toute la musique que j’écoute ne passe pas à la radio. Je vois bien la manière dont les artistes assument leur posture « indépendante » et trouvent des stratégies pour partager leur musique de manière équitable sur Internet. Je dirais même que les artistes que j’écoute sont engagés et que c’est pour cela qu’ils vivent de leur musique. Le Web représente, en ce sens, une explosion de potentialités. Croyez-moi, je ne crois pas qu’il faille arrêter de s’indigner et qu’il faille pour autant se résigner à la situation actuelle quant à l’industrie de la musique et quant à l’absence de diversité du point de vue de la diffusion. La résistance est importante, mais sans actions ou posture affirmée, je ne sais même pas si on peut l’appeler une résistance. Pester contre quelque chose alors que, visiblement, tout ce que l’on veut est d’y trouver sa place, d'y être reconnue, c’est bien loin de l’idéologie d’un manifeste!

Internet marque un point tournant généré, en partie, par l’abondance numérique et aucune frustration, indignation ou résistance ne pourra contrer cette abondance. Pourquoi? Parce que ce sont des milliers et des milliers d’utilisateurs qui participent avec enthousiasme à cette chose insaisissable qui les dépasse. On peut soit rester frustré contre la liberté Web et stagner, soit embarquer à fond et trouver des solutions créatives, se frayer un chemin qui nous est propre. Et si la musique est aimée, elle se vendra.Beaucoup d’artistes le font aux Etats-Unis. Oups, je viens de dire le nom d’un pays qui ne faut pas dire au Québec, on vient probablement de m’étiqueter à « droite ». J’ai l’impression qu’il y a un refus de la part de certains musiciens de s’investir davantage dans le processus qui entoure la vente d’un album, des musiciens pour qui faire de la musique devrait suffire. Je ne suis pas d’accord et je ne suis pas en train de dire qu’il faut vendre des t-shirts :

"Moi, quand un expert du Web me dit que de donner ma musique sur Internet va me faire vendre plus de t-shirts, j’ai juste envie de l’envoyer chier. Je ne suis pas un vendeur de t-shirts, mon travail est de composer des chansons, et cette musique a une valeur."

D'accord, son travail est de composer des chansons. Mais il faut être conscient que c'est un choix, c'est une posture de dire "mon travail est de composer des chansons" et je la respecte. Dans cette posture, on délègue le reste du "travail" aux autres, on se démène des responsabilités en ce qui a trait à ce qui suit la production de l'album, ce qui entraine inévitablement des insatisfactions. On n'est jamais mieux servi que par soi-même, non? Plus on morcelle le processus, de la production d’un disque jusqu’à sa vente, plus on perd le contrôle, ça va de soi! Les musiciens qui connaissent bien le DIY, la culture remix et la cutlure libre l’ont bien compris. Il me semble que de bien saisir la culture dans laquelle on vit, dans laquelle on pratique son art, est un élément important, pour un artiste, surtout quand on désespère et qu'on ne trouve pas d'issue. Je ne serai pas la première à dire que c'est la conscience et l'action qu'elle génère qui crée le changement. Enfin, je devrais peut-être faire un deuxième billet avec des petites stratégies créatives, sorte d’inventaire de ce que certains musiciens que j’apprécie ont fait sur le Web et en proposer moi-même... Si ça n’a pas déjà été fait quelque part…On verra!

Je comprends que les prétendus "spécialistes du Web" rebutent les artistes, quoi de plus normal. Après tout, ce sont les usagers les véritables spécialistes. Ce sont les usagers qui décident, par leur choix, quelle musique se trouvera dans le top des moteurs de recherche, quelles vidéos seront virales…etc. Mais si l’on regarde l’histoire du Web, on remarque que ce sont les artistes qui ont d’abord investis le Web de manière participative et il faudrait que ça continue! Les musiciens n’ont pas beaucoup de contrôle sur les médias et l’industrie de la musique de manière générale, c’est un fait. C’est frustrant. Mais s’il y a un média pour lequel il reste encore un peu de liberté d’appropriation pour les artistes, où la singularité a bel et bien sa place, c’est bien le Web! Alors musiciens, pour l’amour de la musique, ne rejetez pas en bloc le Wild Wild Web...


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