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LE BAISER, d'après Maupassant

Publié le 19 février 2012 par Dubruel


Donc ma chère mignonne,

Tu pleures du matin au soir

Parce que ton mari t’abandonne.

Tu implores un conseil de ta tante,

Bien vieille mais encore bien portante

Je n’en sais pas si long que tu peux croire.

Certes, je n’ignore pas tout dans l’art d’aimer

Ou plutôt de se faire aimer.

Tu me dis

Que pour ton mari

Tu n’as que caresses, attentions,

Douceurs , baisers doux et longs…

Le mal vient peut-être de là.

Tu l’embrasses trop. C’est cela !

L’homme doué de la force physique,

L’exerce par la violence inique.

La femme douée du charme

Domine par le baiser.

C’est son arme.

Faut-il encore savoir la manier.

Nous régnons en souveraines toutes-puissantes

Mais devons user d’une diplomatie constante.

L’amour est fait de fines sensations.

Nous savons qu’il est fort

Comme la mort

Mais il est aussi fragile qu’un lys.

Le moindre choc le brise.

Aux heures des étreintes, nous perdons en finesse.

Nous nuançons insuffisamment nos caresses.

Prends bien garde à cela, ma fille,

C’est notre talon d’Achille,

Notre vraie puissance ? Le baiser.

Le seul baiser !

Quand nous savons abandonner nos lèvres,

Nous devenons reines, sorcières, orfèvres.

Le baiser n’est qu’une préface pourtant.

Il n’est qu’un avant-propos charmant.

Oui, la rencontre des bouches est

La sensation la plus divine qui nous soit donnée.

C’est dans le baiser,

Dans le seul baiser

Qu’on sent les prémices de l’union

La prime confusion

De nos cœurs défaillants.

Le baiser donne cette sensation

Immatérielle de deux êtres ne faisant

Plus qu’un. Tout le délire de la possession

Ne vaut ce contact humide et frais.

Notre arme la plus forte, le baiser,

Il faut craindre de l’émousser.

En effet sa valeur change suivant

Les circonstances, les dispositions du moment.

La plupart des femmes cessent de s’imposer

Par le seul abus  du baiser.

Si ton mari est un peu las,

L’obstination de tes lèvres tendues le lasse.

Montre de la compréhension.

Ne t’acharne pas en inopportunes caresses.

Ne l’étreint pas sans rime ni raison.

N’embrasse jamais ton mari

En public, dans le train, au restaurant.

Il se sentirait ridicule et t’en voudrait longtemps.

C’est du plus mauvais goût ; Refoule ton envie.

Méfie-toi aussi des baisers exaltés

Prodigués dans l’intimité.

Nous étions dans ton petit salon, tous trois

(Vous ne vous gênez guère devant moi.)

Ton mari te tenait sur ses genoux

Et t’embrassait dans le cou.

Soudain, tu as crié :-Oh le feu diminue !

Il saisissait deux énormes bûches

Quand tu es venue vers lui comme une cruche,

Les lèvres mendiantes et tu lui as dit :

-Embrasse-moi !

Il soutenait les souches péniblement

Et toi,

Tu posas lentement

La bouche sur la sienne.

Lui demeura debout à grand peine,

Les reins tordus,

Les bras rompus

Et tu t’éternisas.

Puis quand tu le laissas,

Tu murmuras d’un air froissé :

-Tu ne sais donc plus embrasser ?

Parbleu, ma chérie !

Oh ! prends garde à ceci.

Nous avons toutes la sotte manie

De survenir à des moments mal choisis :

Quand Il enfile ses bottes,

Quand Il noue sa cravate.

Quand Il perd à la belotte

Quand il déchiffre une sonate…

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Ne juge pas mon babillage insignifiant.

Tu sais, l’amour est évanescent.

Un rien peut le briser. Tout dépend de nos baisers.

Un baiser maladroit peut faire bien du mal.

Ta vieille tante,

Jeanne Bonal.

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Le plus lent des baisers est encore trop hâtif.

Th. Middleton

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