Les corpus
Après le triomphe des Noces de Figaro au Théâtre national de Prague en décembre 1786, la direction du théâtre passe commande à Wolfgang Amadeus Mozart et Lorenzo da Ponte, compositeur et librettiste du grand succès, d’un nouvel opéra sur le mythe de Don Juan, inauguré par le moine espagnol Tirso de Molina en 1630.
Mozart commence la composition de la musique au début de l’été, pour une création le 29 octobre de la même année. La rapidité de l’écriture se lit dans la netteté du manuscrit, qui porte très peu de corrections, mais également dans certains artifices dont use Mozart, qui s’abstient de réécrire les parties d’orchestre lorsque celles-ci reprennent des pages déjà détaillées.
Acte II, scène 10, Aria de Don Ottavio Il Mio Tesoro intanto
Le manuscrit éclaire l’histoire de l’œuvre et sa tradition du point de vue théâtral et musical. Malgré son titre aux accents moralistes, Il dissoluto punito ossia il Don Giovanni (Le dévoyé puni ou le Don Juan), est un dramma giocoso, un opéra bouffe dans la veine comique qui doit avoir une fin heureuse. C’est ce qui explique la réapparition de tous les personnages après l’engloutissement infernal pour se féliciter de la punition du malfaisant.
Acte 2 ; scène 20, Questo è il fin di chi fa mal
La scène fut coupée dès la reprise de Don Giovanni à Vienne l’année suivante. Au cours du XIXe siècle, la tradition s’installa de ne plus jouer cette dernière scène et de supprimer les éléments comiques qui selon le goût de l’époque affaiblissaient la portée tragique de l’œuvre. Ces éléments furent écartés jusqu’au milieu du XXe siècle.
En 1800, neuf ans après la mort de son mari, Constance Mozart cède le manuscrit à l’éditeur allemand Johann Anton André. Le manuscrit reste aux mains de la maison d’édition faute de trouver acquéreur dans les grandes bibliothèques européennes (la bibliothèque impériale de Vienne, la bibliothèque royale de Berlin et le British Museum déclinent l’offre, sans doute en raison de son prix excessif).
La cantatrice Pauline Viardot en fait alors l’achat en 1855. Cet achat est le point de départ d’une sorte culte rendu au manuscrit de Don Giovanni. Pauline Viardot le fait tout d’abord relier en chagrin du Cap, sous la forme des huit fascicules qu’il a aujourd’hui. Le manuscrit est ensuite déposé dans un coffret, presque un reliquaire en bois de tuya, qui suit la cantatrice dans ses déplacements en Europe, et trône dans son salon de musique parisien où il est l’objet de l’admiration et de la contemplation du cercle amical de Pauline Viardot comme Rossini, Berlioz, Arry Scheffer, mais aussi Clara Schumann, Chopin, Gounod, Meyerbeer, Saint-Saëns, Tchaikovsky, Fauré, Massenet ou Ambroise Thomas.
Le manuscrit fut ensuite transféré dans les collections du département de la Musique avec l’ensemble du fonds historique de la bibliothèque du Conservatoire, et est aujourd’hui accessible sur Gallica .
Clotilde Angleys, Direction des collections - département de la Musique
Pour écouter un extrait :
Adelina Patti chante l’air de Zerline Batti, batti, o bel Masetto pour l’enregistrement des voix ensevelies.
Pour plus d’informations :
M. Everist, « Enshrining Mozart : Don Giovanni and the Viardot Circle » in 19th-Century Music, XXV/2-3, pp. 165-89, 2002
H. J. Kreutzer et W. Rehm ed., Il dissoluto punito ; ossia il Don Giovanni : fac simile, Bärenreiter, 2009