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La peste aux ongles d'or...

Par Laporteplume
La peste aux ongles d'or...Résidente ordinaire des égouts, familière des ténèbres, amoureuse des cloaques, elle vivait tapie, attendant son heure pour surgir sur le dos des rats malades poussés par la souffrance dans le monde des humains.
Nul ne connaissait son nom. Tous ignoraient son regard. Personne ne l’avait jamais fréquentée de son plein gré. Seules, infligées au hasard des divagations de ces rats purulents, de puantes lésions mortelles révélaient sa présence.
Il était déjà trop tard !
Elle avait déjà semé partout ses graines de mort que, à leur insu, les vivants de surface promenaient à leurs semelles de plomb, et propageaient avant d’en être eux-mêmes de pitoyables victimes.
Nulle part repérée, mais partout active, elle épiait, rôdait toujours, attaquait souvent, tuait à chaque sortie.
De temps en temps, elle se repliait dans son antre, faisait mine de disparaître, laissant croire aux hommes trop confiants que sa menace était à jamais éteinte.
Mais, de son quartier général enfoui de plus en plus profondément dans les entrailles des ténèbres, à l’aide de ses antennes agissantes dressées jusqu’au ventre mou des nuages, couvertes de béton, de métaux et de verre frappés de sigles et logos rassurants, drapées parfois dans des bannières d’Etat, ornées de lois organiques ou de circonstance, tatouées de devises trinitaires à la « Liberté-Egalité-Fraternité », sous des déguisements savants créés par des costumiers de tragédie, elle veillait. A force de prendre les formes, les couleurs, les odeurs, les saveurs du convenable, et d’en jouer à la perfection les rôles, elle avait fini par être admise comme une compagne possible, voire comme une alliée souhaitable.
Nombreux étaient celles et ceux qui, l’air du temps et les dieux de la communication aidant, étaient allés jusqu’à lui confier leur existence. Ils en avaient un peu profité, certes, dans les bouchons d’été, sur la neige « de culture », ou dans les jeux télévisés, avaient cru pouvoir user sans fin de ses bienfaits, jusqu’à…
Un jour, tous s’étaient aperçus -trop tard !- qu’elle leur avait subtilisé toutes leurs ressources de vie, jusqu’à leur personnalité même, jusqu’à la nature de leur propre regard sur le monde… qu’ils n’avaient même plus les moyens de leur survie !
Aliénés, dépouillés, spoliés, ruinés !
Leur maison ne leur appartenait plus !
Voiture, ordinateur, réfrigérateur, téléphone portable, tablette électronique, aspirateur, tickets de métro et de loto, feuilletons qui leur avait fait croire plus belle la vie… jusqu’au lit conjugal ou adultérin… jusqu’à leur indépendance d’esprit… tout leur avait été retiré, confisqué, enlevé, anéanti !
Après les avoir subtilement persuadés qu’ils étaient seuls responsables de leur nouvelle condition, la clandestine aux mille et une protections secrètes les avait couverts de honte, de bubons infectés, de plaies béantes, les avait jetés à la rue avec ses détritus, chicots de Havane, pots de caviar léchés jusques au verre, préservatifs « peau d’ange » souillés de liqueur séminale, tabloïdes caviardés… au milieu des rats crevés et crevants devenus leur compagnons ordinaires de misère.
Alors, ils s’étaient sentis… pestiférés !
Toujours invisible, mais à l’affût, avec ses complices agissants des antennes de pouvoirs en érection permanente, elle avait joui de leur extrême faiblesse comme du moment de tous ses espoirs, leur avait offert des cartons pour logement, une soupe populaire pour nourriture, des primes et allocations pour salaire de la peur, des promesses de mieux-être futur pour tout avenir. Bouche en cul de poule et bras en croix dans une posture familière de sauveur, elle était passée à l’ « action humanitaire ». Compassion, générosité contrôlée et aumône savamment répartie, devaient lui donner l’allure d’une sainte protectrice. Elle les tiendrait ainsi plus fermement dans son espace de prédation, et pour plus longtemps !
Elle y réussit.
Elle leur avait même offert de spectaculaires élections pipées, des reprises d’entreprises moribondes de petites culottes que leurs complices avaient au préalable coulées, pour leur faire croire à des lendemains chantants, à l’avenir d’abondance, et les persuader qu’ils pouvaient encore espérer revivre !
Et ils l’avaient crue !
Alors, elle s’était lâchée, avait dénoué la laisse de ses spéculateurs aux dents de fauves qui s’étaient précipités sur les marchés. Elle avait lancé à travers le monde ses manipulateurs d’opinion qui avaient bondi sur les peuples, ses hauts thésauriseurs du « pays d’en haut » avides des bas de laine des petits du « pays d’en bas » ! Tous ses sbires, baptisés « élite » par les clercs de la nouvelle religion planétaire, s’étaient goinfrés de restes de Livret A, de reliquats de comptes d’Epargne, de lambeaux de fonds de prévoyance et de retraite ; ils avaient vendu les usines et les bureaux pour en tirer un liquide nauséabond mis en citernes bien closes dans des régions très imperméables, fermé puis vendu hôpitaux et écoles dont ils avaient mis meubles, praticiens et maîtres à l’encan mondial !
Alors, malgré la soupe populaire, les cartons-logements, les primes et allocations, et les promesses électorales de mieux être, victimes d’effroyables morsures de rats, toutes et tous (sauf les « élites » !) étaient morts dans d’atroces souffrances, les petits d’abord, les humbles, les sans grade… puis les moins petits qui, un temps, s’étaient cru protégés par les pilotis de leurs demeures à porche et ronflantes fonctions… puis les plus grands qui avaient tenté, un temps, de jouer la proximité immunisante avec les rongeurs à bubons pour échapper à la contagion. Tous y étaient passés !
L’infaillible docilité de ses rats l’ayant jusque là persuadée qu’elle était à l’abri de tout risque de maladie létale, elle semblait avoir oublié que les graines de mort qu’elle avait elle-même créées puis confiées aux rats des ténèbres avaient une puissance destructrice telle que, en cas de morsure par un animal de sa horde devenu incontrôlable, elle aussi en mourrait.
Elle se voyait éternelle, y croyait dur comme fer (de Lorraine, liquidé à des cousins lointains !)
Pourtant…
Vint un jour où, n’ayant plus rien à se mettre sous la dent, rendus fous de colère par l’insatisfaction d’un besoin d’appropriation de l’autre devenu viscéral, quelques premiers rats se mirent à se mordre entre eux, avec frénésie, avec furie, avec folie ! Leur rage gagna les autres, même les plus placides, même les plus obèses !
Carnage chez les rats « élites » !
L’un après l’autre, contaminés jusqu’à l’os, ils succombèrent dans d’effrayantes douleurs.
Dans un ultime sursaut de violence, juste avant de disparaître, les plus solides -qui étaient aussi les plus hargneux- se retournèrent contre leur inspira trice, elle, toujours tapie dans son antre enfoui dans les entrailles de la mémoire, sous ses antennes agissantes dressées jusqu’au ventre mou des nuages, couvertes de béton, de métaux et de verre frappés de sigles et logos rassurants, drapées dans des bannières d’Etat, ornées de lois organiques ou de circonstance, tatouées de devises trinitaires à la « Liberté-Egalité-Fraternité », sous des déguisements savants créés par des costumiers de tragédie. Ils la déchiquetèrent, en firent des lambeaux gluants et puants, en burent jusqu’à la dernière goutte les humeurs putrides. Puis, repus mais empoisonnés, ils s’effondrèrent. Puis ils se diluèrent dans le sol.
Alors, elle disparut, ses rats avec elle, et… tous les humains du haut, du bas… de partout.
Alors, un étrange silence surgit.
Le temps passa.
Un jour, soudain, un merle osa chanter.
Le lendemain, la terre se couvrit de perce-neige et de jonquilles, de pivoines et de roses, de mille et une fleurs de parfum et de Lumière !
Bientôt, lapins et chevreuils effrontés montrèrent au ciel leur petit cul blanc !
Et le soleil se remit à luire sur des prairies où butinaient de nouvelles abeilles !
La planète respirait enfin !
C’était juste après la mort violente de…
La peste aux ongles d’or !

Salut et Fraternité.
La peste aux ongles d'or © Gilles Laporte 02/2012
image médecin de peste origine inconnue - droits réservés

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