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Ensauvagement, cohabitation, signes prémonitoires du déclin montagnard ou révélation de nouvelles valeurs sociétales?

Par Baudouindementen @BuvetteAlpages

Avec la crise pastorale, le vieillissement des éleveurs et l’exode rural, certains paysages montagnards ont tendance à se refermer. Les environnementalistes sont accusés de vouloir "ensauvager la montagne", d’encourager le retour de la forêt et de son corollaire, la faune sauvage. L’Etat est mis en cause par l'ASPAP parce que l’ours se « regroupe en pépinière ». L'associatio pastorale ariègeoise dénonce une « stratégie » pour faciliter sa reproduction. L’ours n’aurait plus le droit de frayer ses congénères : chacun dans son coin et voeux de chasteté pour tous!
Baudouin de Menten a interviewé Gérard Bozzolo, enseignant en Zootechnie à la retraite à l'ENSAT Castanet-Tolosan, auteur de "Appellations d'origine contrôlée et productions animales".

Une estive dans le Biros, près de la chapelle de l'izard. (Photo BdM) Une estive dans le Biros, près de la chapelle de l'izard. (Photo BdM)

La fermeture des milieux montagnards
La Buvette  des Alpages : Dans un communiqué de février 2010 «Ours, : stop aux mensonges ! », l’ADDIP affirmait d’une manière un peu lyrique :

"Sans ces femmes, ces hommes, ces troupeaux, le pays serait un désert envahi de broussailles : enfrichement, ensauvagement, fermeture du milieu, ce paysage accueillant et ouvert aux activités de loisir deviendrait une porte close." (...) "Le choix est pourtant simple : Ensauvagement du massif et populations d'ours réellement viables ou beauté des paysages humanisés, production alimentaire durable et de qualité, cadre somptueux pour vos loisirs. L'élevage extensif est la clé qui ouvre toutes ces portes, un patrimoine à conserver et continuer... Ce second choix est notre vie et notre engagement, une promesse d'avenir dans le droit fil de toute l'histoire des Pyrénées." (Source)

François Terrasson écrivait...

"Le désert français, l'occupation de l'espace, la déprise. Voilà, le mot est lâché.
Ce qui fait la "une", c'est ce qu'on appelle très significativement : la déprise agricole !
Avec la fin de la civilisation rurale, le gel des terres, l'abandon des montagnes, un discours s'établit sur ce terme, dont l'allure et le sens résument toute une interprétation de l'Univers. 

La Nature pilotée par l'homme rural serait une sorte de fauve malfaisant, que seule la contrainte aurait permis de dominer, d'esclavagiser au service de la production d'aliments. (...)

La déprise agricole ? Merveilleuse trouvaille des dompteurs de la Bête. Si on arrête de la tenir attachée, elle va mourir! La vie sauvage disparaîtra si les agriculteurs s'en vont.(...)

La civilisation anti-Nature mérite bien son nom. Quel que soit son secteur d'activité, il y a une référence, en général négative, à ce grand ensemble de forces spontanées dont elle a émergé. Une vraie obsession."
(Les surprises de la déprise,
dans "La civilisation anti-Nature").

François Terrasson doit se retourner dans sa tombe !

Une destination des espaces très variées

Gérard Bozzolo : Difficile d’avoir une vision générale et un avis arrêté sur ces questions car chaque situation correspond à un cas particulier, lequel demande à être abordé spécifiquement.
Par ailleurs, la destination des espaces (version utilitaire anthropique), est très variée selon que l’on se situe dans le domaine privé ou dans le domaine collectif aux multiples nuances : villageois, valléen, régional, domanial. Les intérêts mis en jeu et la gamme des usufruitiers sont disparates.

Prenons le cas des massifs montagnards : beaucoup de différences entre les massifs : Pyrénées et Massif Central, ou Jura et Alpes en matière d’appropriation du territoire. A l’intérieur de ces mêmes massifs, on retrouve des variations avec l'altitude : piémonts, zones valléennes, zones intermédiaires et estives (montagnes ou alpages) ont des orientations naturelles et des pratiques humaines différentes.
De même, dans le Massif Pyrénéen : Pyrénées Orientales, Centrales et Atlantiques possèdent des orientations originales fruit des interactions bioclimatiques avec l’industrie des hommes. Ces particularismes sont souvent foisonnants d’autant que le cloisonnement valléen a longtemps promu les singularités comme des signes identitaires d’appartenance dans les modèles d’autorité et de cohésion autarciques.
Pourtant, la vie moderne avec ses outils de communication à tout va, joints aux conditions économiques transversales nivelle les modes de vie ; le décisionnel échappe de plus en plus aux natifs au profit de la collectivité élargie dès lors que sa participation contributive est sollicitée (impôts, aides nationales et européennes, système de protection sociales collectivisé, scolarisation, gouvernance et services étatiques). Le droit de regard de la Collectivité pénètre les enclaves les plus reculées.
Les zones qui font tellement couler d’encre en termes de biodiversité "naturelle" ou "induite" sont celles, justement, où l’usufruit est partagé depuis des temps immémoriaux et pour lequel le statut collectif est prédominant (pelouses d’altitude montagnardes, massifs forestiers, landes, marais) émanation de l’ancienne sectorisation des terres : silva et saltus ; portions de territoire où le "sauvage" est naturellement accepté, sous réserve. Ce partage évolue en fonction de la pression sociétale et les orientations économiques dominantes.
En Pyrénées, ces espaces multi convoités correspondent aux étages alpins et subalpins des estives à statut majoritairement collectif et, de plus en plus, à l’étage montagnard forestier des zones intermédiaires au statut mixte : collectif villageois pour les bas vacants (NDLB : Au sens du décret du 15/09/03, on entend par bas-vacant collectif les zones de pâturages situées entre les granges foraines et les estives ), domanial, villageois ou privé pour les massifs forestiers,  privé pour les enclaves  anciennement cultivées autour des granges foraines.
A l’opposé, on pourra remarquer l’apparente quiétude relative du domaine relevant du privatif valléen, les seuls ayant droits étant les propriétaires occupés simplement à valoriser leur biens agricoles, à connaître la valeur du foncier et éventuellement prendre part aux confrontations terres agricoles/foncier à bâtir. Les préoccupations concernant l’état de la biodiversité dans le privatif font peu écho comme si le regard tiers demeurait peu légitime. En bref, la biodiversité sur les collectifs est bienvenue ou supportée, dans les jardins, la présence de la moindre taupe est source de déclanchement des hostilités.

LBDA : C'est l'effet NIMBY qui désigne une position éthique et politique qui consiste à ne pas tolérer de nuisances dans son environnement proche.
GB : Oui, et compte tenu du mode de gestion des domaines d’altitude et de leur fermeture durant 6 mois de l’année, à l’exception pour les activités liées au tourisme blanc et à la chasse, cet espace constitue aussi une zone de refuge pour les espèces sauvages prédatrices non tolérées dans les régions à fortes densité humaine (loups, ours).
Tourisme, foresterie, élevage, chasse-pêche sont donc co-utilisateurs sur un mode complémentaire, discuté ou disputé jusqu’aux dérives conflictuelles au gré d’intérêts divergents.
En ce qui concerne l’Agriculture, son fondement ne peut s’appuyer sur la référence des acquis patrimoniaux tant les conditions de sa pratique ont changé, non seulement au travers des grandes révolutions agricoles, mais aussi dans les évolutions récentes qui sont expérimentées sur les terres productives (SAU des vallées de montagne ou des piémonts). Plusieurs faits conditionnent son orientation...

Un siècle d’exode rural
Le plus décisif est le résultat de l’exode rural généralisé durant le siècle dernier, particulièrement important à la fin du 19ieme jusqu’au milieu du 20ieme siècle, conduisant à une véritable hémorragie de main d’œuvre. Dans la plaine du Sud Ouest, le recours à l’immigration durant l’entre deux guerres a permis de résoudre l’abandon des terres. En revanche, dans le massif pyrénéen très ancré dans la transmission autarcique, l’abandon des terres difficiles s’est prolongé.
Au lendemain du dernier conflit, l’introduction de la mécanisation dans le monde agricole a permis d’apporter une parade à cet affaiblissement de la force de travail. La contrepartie est, d’une part, que les terres à fortes pentes ou très enrochées, non mécanisables, sont délaissées et que, d’autre part, les exploitants s’endettent, encouragés par les facilités de payement qui leurs sont offertes. Ils sont donc amenés à intégrer une véritable gestion de petite entreprise en provisionnant les charges d’amortissement, en jonglant avec les annuités d’emprunts, les frais financiers et en consacrant beaucoup de temps à la mises à jours de documents (paperasse) indispensables pour prétendre à bénéficier des aides agricoles ou bien même du droit à produire.
Adieu l’autonomie autarcique, bonjour l’interdépendance, mais vive l’amélioration du niveau de vie et le parapluie des aides.
La spécialisation herbagère
La concurrence et/ou la facilité des échanges interzones géographiques grâce au désenclavement des vallées pyrénéennes a spécialisé les orientations agricoles au détriment de l’autarcie et des cultures vivrières. Les céréales, en particulier, ont déserté les zones valléennes de montagnes, laissant place aux utilisateurs et producteurs d’herbe. L’élevage constitue aujourd’hui l’activité agricole prédominante.
En contre point, la forte parcellisation de la surface agricole utile (SAU) de même que la dimension réduite des superficies agricoles disponibles ainsi que celle des exploitations agricoles, implique l’obligation de trouver des espaces complémentaires pour faire face au surdimensionnement des cheptels, nécessaire pour faire vivre une cellule familiale. C’est la vocation des estives au plan de leur usage agricole.
Pourtant, la faible productivité des races rustiques locales, le coût élevé des charges de structure en régions froides rendent ces élevages très dépendants des aides agricoles. De l’ordre de 55% du produit brut d’exploitation dans les Pyrénées centrales, 37% dans les Pyrénées Atlantiques à partir d’élevages plus intensifiés et d’une bonne valorisation de la production fromagère. Elles côtoient 90% dans les Pyrénées orientales catalanes (données de cas types d’élevages montagnards 2010, I.E). Ramenées au revenu net, leur représentation fluctue entre 200% et 400%.
Il apparaît donc que la spéculation essentielle des élevages montagnards est celle de la récolte des aides. Ces dernières présentent l’avantage d’être nettes de charges et l’inconvénient, par un effet pervers, d’induire un frein à la technicité.
Une contrainte supplémentaire résulte de la limitation d’une grande partie des aides à la norme maximale de 50 ha de SAU, ce qui ne permet guère que de disposer d’un revenu par Unité de main d’œuvre (UMO) proche du Salaire minimum interprofessionnel de croissance (SMIC), malgré la forte revalorisation récente et en dépit des risques financiers engagés. Pour les petites structures agricoles, la pluriactivité devient obligatoire.
En conséquence, la marge économique dont dispose les éleveurs est très insuffisante pour leur permettre le luxe de louer les services de bergers, le temps de l’estive.
Les animaux sont donc envoyés en vacances, dans une forme de cueillette néolithique, en libre itinérance : les brebis comme les flammes des écobuages montent naturellement vers le haut ! Il suffit de ne pas pratiquer ces deux techniques simultanément pour éclaircir la montagne et renouveler la strate herbacée.
Pour le coup, on en est revenu à une pratique ancestrale de cueillette baptisée "élevage extensif". Evidemment, beaucoup d’inconvénients résultent de ce mode de gestion ; ils touchent aussi bien à la dépréciation de la qualité fourragère des différents quartiers d’estive que l’on accepte volontiers, qu’aux risques de prédation par les bêtes sauvages que l’on refuse catégoriquement. L’un touche à la valeur du collectif, l’autre à celle du privé.
Vers une reconnaissance officielle du rôle d’entretien
Il en ressort peu de marge de manœuvre car, sans les estives, la plupart des élevages intra-montagnards ne pourraient pas survivre et seraient amenés à disparaître. L’avenir tiendra-t-il dans la régression drastique du nombre des petites exploitations de montagne au profit de quelques unités de grande dimension, plus professionnalisées, qui pourront se nourrir du foncier libéré ? Le partage des estives prendrait place, alors, en mixité avec les élevages transhumants forains sous la forme de grands troupeaux surveillés par des bergers-bouviers normalement rémunérés.
Cette orientation, en revanche, ne solutionne pas le manque de main d’œuvre que réclame l’activité d’élevage, mais au contraire accroitrait cette rareté de la main d'oeuvre. Dans ces conditions, il semblerait plus approprié de reconnaître officiellement un produit "entretien" de ces régions semi naturelles très attractives pour le tourisme, rémunéré sur la base de la valeur d’amortissement du bétail pendant la période estivale. Rémunération octroyée à l’unité pâturante sous la réserve de souscrire à un cahier des charges faisant référence à la densité du chargement et à l’obligation de recourir au gardiennage.
Les multiples rôles des bergers tiendraient dans :

  1. la charge de guider les animaux pour une meilleure durabilité du potentiel fourrager en pratiquant un minimum de conduite active,
  2. d’une surveillance sanitaire plus soutenue et
  3. d’une protection renforcée des troupeaux contre les prédateurs potentiels.

Certes, cette fonction sert déjà implicitement à justifier en partie l’octroi des aides du 2ième pilier. Cependant, ces dernières ne sont pas très incitatives pour les transhumants puisqu’elles sont fonction de la SAU, limitée à 50 ha, et ne représentent qu’un bonus de 10% du montant des Indemnités Compensatoire de Handicaps Naturels (ICHN). En piémont, l’incitation est plus forte : +30%, mais comme les ICHN sont plus faibles, la valeur absolue est identique.
De la même façon, le remboursement des dommages authentifiés du aux victimes de la prédation serait à reconsidérer en le conditionnant au gardiennage des troupeaux et à l’usage de moyens de protection.
L’élevage extensif? Une panacée pour l’activité agricole en région montagnarde?
La notion d' "élevage extensif" en montagne pyrénéenne ne peut constituer qu’un abus de langage. D’une part, cet attribut ne concerne au plus que la période de transhumance, à peine 1/3 du temps d’élevage ; d’autre part, il est antinomique avec la réalité des petites exploitations montagnardes qui, à l’inverse, sont plutôt sous statut d’élevage intensif au moins en termes de densité d’effectif et de structures d’accueil pour l’hivernage. Seule la faible productivité, qui souvent les caractérise, peut évoquer son caractère extensif. Il s’agit donc d’une conjugaison originale entre l’intensif majoritaire et l’extensif pendant la période des vacances, le chargement en estive étant habituellement faible, excepté sur les estives surencombrées des Pyrénées basques.
Il faut ajouter que cette petite séquence saisonnière s’applique majoritairement à du bétail à faibles besoins alimentaires, en dehors de leur cycle de production convenue, ne permettant pas d’intégrer l’allusion de qualité imputée au résultat de l’élevage extensif et de sa naturalité présumée. L’AOC Barèges Gavarnie, quelques broutards finis à l’estive comme ceux du Pays de l’Ours ainsi que quelques rares produits fromagers d’estive font partie de l’exception qui confirme la règle. Il s’agit plutôt d’un support de communication qui permet de valoriser une production de plaine classique.

Estive dans le Haut-Béarn (Photo BdM) Estive dans le Haut-Béarn (Photo BdM)

L’entretien des milieux ouverts par le pastoralisme
LBDA : Un institut agricole des Pyrénées a écrit sur sa carte de voeux 2002 le texte suivant : "La beauté des montagnes est autant le résultat de la tectonique, de la faune et de la flore, que du travail séculaire des hommes. Une montagne sans paysans n'est plus qu'une friche hirsute, un jardin à l'adandon, un squelette décharné, sans âme, sans passé ni avenir". Ce texte a fait réagir Jean-Claude Génot.

Le monde pastoral encense l’efficacité du pastoralisme pour maintenir les milieux ouverts, même dans le cas de troupeaux sans berger ; abandonnés à eux-mêmes. Il dénonce les abandons d’estives qui seraient causées par le désespoir d’éleveurs confrontés à des difficultés économiques et aux grands prédateurs. Pour eux, la cohabitation est impossible.
Mais sans gardiennage, la pression de pâturage n’est pas guidée, laissant la place à un sous-pâturage des zones moins appétentes et à un sur-pâturage des zones préférées des brebis.
GB : C’est là que la présence et le travail du berger s’impose en forçant le passage de ses animaux à certains endroits en l’allégeant à d’autres. Ce qui nécessite une bonne formation, bien évidemment aux techniques de l’élevage et aux interventions sur les animaux mais aussi un solide bagage en matière d’écologie pastorale.
Pour chaque estive des plans de pâture concertés entre les différentes parties prenantes (éleveurs, gestionnaire d’estive, forestiers, syndicat du tourisme, association locale éco-nature–environnement, représentant chasse-pêche) auraient l’avantage de définir des objectifs à atteindre en entrée de campagne pour une évaluation à la redescente. Il est évident que ce n’est pas une mince affaire, par le nombre de personnes qu’il faut pouvoir mobiliser.

Des bergers qualifiés et bien logés
En premier ressort ce sont des bergers qualifiés qu’il faut trouver, sachant que 5 campagnes sont pratiquement nécessaires  pour atteindre ce niveau. Le duo berger qualifié + aide en stage de formation, par exemple, peut constituer une équipe fonctionnelle pour assurer l’étendue du service demandé.
Pour assumer correctement cette fonction encore faut-il que les conditions d’hébergement soient acceptables au niveau de la cabane principale ; de même des cabanes annexes doivent permettre aux bergers de prospecter l’intégralité des divers quartiers, notamment y trouver refuge par mauvais temps. Un gros effort est à entreprendre en matière de remise à niveau des infrastructures propres au pastoralisme.
Le contraste est parfois saisissant entre l’éclosion de refuges restaurants grandioses à destination du tourisme et supportés par le financement des collectivités locales ou même privés (CAF) et la vétusté des cabanes de bergers. Ici, prioritairement, les regards sont dirigés vers l’Europe et l’Etat avant d’envisager de mettre la main à la poche.
Le besoin d'ouverture au tourisme et à la cohabitation

Là se situe probablement le clivage où l’on peut percevoir qu’en dépit des discours des décideurs, l’industrie du tourisme est passée devant celle de l’agriculture. La mutation d’une agriculture productive vers celle tournée vers l’ouverture au tourisme et donc la cohabitation font partie de l’éternelle adaptation des Hommes de la terre face à l’évolution sociétale et sa demande : clientèle obligée.
L’alternative des grands herbivores
LBDA : Si pour les éleveurs, la cohabitation moutons – prédateurs est impossible, quand est-il des plus grands herbivores ? Lors du récent colloque « Les réintroductions. Un atout pour restaurer les écosytèmes ? » qui s’est tenu à Lyon, plusieurs orateurs appellent de leurs vœux le retour de grands herbivores. Stephan Carbonnaux se erononcé "Pour un rewilding à la pyrénéenne".  Alors que le remplacement d'une ours est annulé après trois années de consultations par une pirouette climatique, qu’en est-il de la faisabilité de la « mise en service » d’espèces de troupeaux de grands herbivores, des plus « sauvages » : bisons, pottoks, tarpans aux plus « domestiques » : chevaux merens ou vaches bétizu par exemple, pour ne citer que quelques races locales ?
GB : Dans l’utopie naturaliste, pour permettre un équilibre naturel à l’écart de l’interventionnisme humain, il serait nécessaire que l’intégralité de la chaîne trophique soit présente, d’où l’intérêt des grands herbivores pâtureurs comme les ex Aurochs disparus sous les feux croisé de la pression de chasse et des maladies communiquées par leurs descendants domestiques, ou mixtes : brouteurs-pâtureurs comme les bisons et chevaux pour clairièrer la forêt et maintenir des espaces prairiaux. Il manquerait, tout de même, les fibrivores style éléphants, girafes, mais avec les nouveaux prêts de Pandas de la Chine l’obstacle pourrait être levé !

LBDA : les pandas, girages et éléphants ne sont pas présents dans les nombreuses figurations pariétales, sur les murs de Lascaux. Par contre, à Niaux en Ariège, on retrouve 54 bisons, 29 chevaux, 15 bouquetins, des cerfs, des poissons ! La morphologie des chevaux évoque celle du pottok actuel, cheval endémique des Pyrénées encore présent au pays basque.

GB : Pour moi, cette vision romantique qui peut être enfermée dans des parcs protégés au titre de réserves ou de parc d’attraction touristique n’est pas intégrable dans le cas précis des espaces montagnards.
 
La raison essentielle est que le secteur montagnard, durant l’hivernage, n’est pas à même de nourrir ces animaux spécialisés et qu’il serait nécessaire que ceux-ci puissent migrer vers les plaines ou au moins les piémonts. Or, ces espaces sont occupés par les hommes! De même, on voit assez mal comment pourrait cohabiter un tourisme vert montagnard estival compte tenu de la dangerosité de ces animaux non enclins à céder le terrain et à s’effaroucher devant la présence de l’Homme.
Chevaux et bovins domestiques sont nettement préférables à condition, au moins pour les bovins, que des bêtes proches du terme ne soient pas montées. La mise bas en estive fait encourir des risques dus à l’agressivité des vaches amouillantes. Risques également de mortalité pour les races fortement sélectionnées liés à la fréquence des vêlages difficiles. L’avantage du bétail domestique réside dans le fait que celui-ci est repris en mains au cours de l’hivernage et est reconditionné à la dominance sinon au respect de l’Homme.
LBDA : Aux Pays-Bas, où la densité de population est bien supérieure à la France, existent 100 zones de paturages naturels de 20 à 500 ha et 2 réserves de plus de 5000 ha où cerfs, bisons, tarpans et tourisme guidé cohabitent. Dans les montagnes basques, les bétizus sont des bovins vivant à l'état sauvage sur les deux versants des Pyrénées. L'association Iparraldeko Betizuak a pour objectif d'œuvrer pour l'étude et la protection des populations existantes d'une part, et d'autre part de faire connaître au grand public ces bovins caractéristiques, les seuls à vivre en totale liberté en Europe.

Vache Bétizu (photo betiweb.fr) Vache Bétizu (photo betiweb.fr)

GB : Effectivement la vachette bétizu (population composite plutôt que race) est une curiosité anecdotique, avec le Pottock, qui tient sa place dans le folklore et la tradition d’usage de certains usufruitiers paysans qui laissaient dans la montagne et les landes inoccupées, équivalentes des bas-vacants, des animaux vivre en semi marronnage, prélevés épisodiquement comme à la chasse. Sa survie possible tient du fait que sur cette extrémité des Pyrénées nous sommes en régime de montagnettes, que les hivers sont assez cléments et que les animaux ont loisir de redescendre sur les bas-vacants non sans provoquer quelques conflits avec les propriétaires des terres cadastrées à proximité.
Les vaches sont bien connues pour avoir capacité à s’ensauvager, notamment en proximité forestière où certaines s’isolent et adoptent un comportement nocturne. Ces animaux peu maitrisables sont régulièrement abattus en raison de leur dangerosité potentielle.
Les Bétizus, en dépit de leur petite taille, peuvent être source d’accidents pour les randonneurs dans les zones traversées par les GR, souvent inaptes à les différencier du bétail ordinaire et pas toujours équipés du bâton adéquat. En outre, au plan sanitaire, ces animaux incontrôlés, à cheval sur la France et l’Espagne, sont des réservoirs de maladies potentiels pour les ongulés domestiques.

Mirentxu BERNEZ-VIGNOLLE a réalisé une étude pour obtenir le grade de vétérinaire : "Le Bétizu, une population bovine des montagnes basques : statut juridique et modalités de gestion."
Dans le cas d’un accès partagé de la montagne il est nettement préférable de rentrer le bétail l’hiver pour le redomestiquer, que ce soient les Bétizus où d’autres races à potentialité rustiques, Casta, Aubrac, Gasconnes, bien adaptées à la montagne.
Là encore, nous sommes en présence de la lubie des hommes et parfois de la recherche d’originalité : réintroduction de vaches sauvages dans le milieu semi-ouvert, élevage en quasi domestication de cervidés en enclos. Le marronnage est une vieille pratique de cueillette : chèvres dans les îles pour l’avitaillement des marins, mustangs des grandes plaines, lapins de garennes relâchés chez les voisins.
L’acharnement du syndrome identitaire secrété par le régionalisme fait feu de tous bois en s’appuyant sur les oripeaux défunts du passé agricole dont les races à faibles effectifs constituent des emblèmes folkloriques. N’a-t-on pas recréé de toutes pièces la petite race Bordelaise ?
Dans ce cas précis de mode d’élevage (si l’on peut dire) par abandon du bétail… (ce qui n’est pas le cas sur le versant espagnol), restent posées la déclaration de possession et la responsabilité qui en incombe en cas d’accidents. Une interrogation latente supplémentaire : la loi interdit au particulier la possession d’animaux sauvages, l’ensauvagement d’animaux domestiques peut-il être admis ?
LBDA : C'est une question de statut. Contrairement à ces races où l’on hésite entre le sauvage et le domestique, les grands prédateurs, ours et loups survivent à l’Etat sauvage en montagne, malgré les hivers rudes. L'Ours présente la particularité d'une présence "loyale et constante" dans les Pyrénées. Le dernier loup français a été exterminé en 1937 avant de revenir en 1992 dans le Mercantour. La période "sans loup" ne représente que deux générations !

GB : Oui, au dessus des herbivores, dans la gamme des prédateurs, l’Ours est justement un animal bien adapté au profil montagnard puisque sa capacité à hiberner lui évite d’avoir à redescendre dans les espaces habités par l’Homme. En outre, sa crainte de l’Homme et sa très grande discrétion le rendent bien moins dangereux pour les touristes que des vaches rustiques.
A l’inverse, le Loup ne dispose pas de cette faculté saisonnière, et son régime de carnivore spécialisé ne le prédispose pas à pouvoir s’intégrer dans un processus de cohabitation sereine. La régulation, à côté des mesures de protection, m’apparaît incontournable.
LBDA : Ici, on touche à la différence entre deux types de rapports homme/nature. Cette différence de point de vue, on l'a retrouve aussi dans les associations environnementales. « La vision biocentrique qui sépare l’humain de la nature, reconnaît une valeur sacrée à la vie (1)» et donc refuse le principe même des tirs de loups et « la vision écocentrique qui fait de la nature un tout dans lequel l’humain est un élément parmi les autres.(1) » et accepte une quantité limitée de tirs de loups dans certaines conditions trop défavorables aux éleveurs pour peu que la population ne soit pas en danger.
Ces deux visions des rapports hommes/animaux s’opposent en partie entre-elles mais elles s’opposent ensemble à la vision anthropocentrique qui sépare l’humain de la nature, en fait le maître incontesté (qui domine la nature et l’exploite) ou le gardien (2). Vision dominante dans l’agriculture, la chasse, le secteur minier ou pétrolier.
Vous vous situez entre l’éradication complète des prédateurs prônée par les uns, appliquée secrètement par les plus extrêmes d’entre-eux et la protection totale et définitive dans le temps prônée par les autres. « La régulation, à côté des mesures de protection, vous apparaît incontournable. » Sur quelles bases doit s'établir le contrôle des populations :sur des bases sociales, quantitavives ou géographiques ? Comment fixer la limite ? Comment la faire accepter ? Comment la faire respecter ?
GB : une suite de questions difficiles qui sortent tout à fait de ma compétence. Cependant, on ne peut occulter que notre espace n’est pas une Taïga inoccupée, encore moins un Sahel (sauf caprice du réchauffement climatique), ni une forêt amazonienne luxuriante. Les fronts de colonisation se sont situés majoritairement au néolithique supérieur avec une régression par défrichement de la forêt native d’environ 40%. Depuis les hommes n’ont cessés d’occuper l’espace en ont pris possession (régimes divers de propriété), mouvement qui n’est pas prêt de s’infléchir en regard de la démographie. La part du sauvage s’est restreinte naturellement comme peau de chagrin.
La notion d’espèces à protéger est le premier pas concret à déterminer. L’historique du tableau des mauvaises espèces (nuisibles) par opposition aux bonnes et celles des espèces protégées même si elles peuvent être nuisibles, montre bien que nous sommes dans un processus de consensus sociétal évolutif, fonction de l’état d’avancement des connaissances, de l’imprégnation éducative, de la balance des avantages/inconvénients et enfin d’une sorte de conscience intuitive qui nous conduit à éviter la disparition définitive d’une espèce contemporaine...

LBDA : - une éthique ?

GB : - ... par compassion ou solidarité entre partenaires du monde vivant. Les associations naturalistes sont évidemment des sentinelles et des éveilleurs de conscience de premier plan. La sortie récente des rapaces du monde ténébreux des nuisibles en est une illustration parlante.

LBDA : - Les mêmes qui s'opposent aux prédateurs travaillent dûr, avec la complicité de la presse locale, pour les faire revenir dans la liste des nuisibles, malgré les incohérences zoologiques, malgré les nombreux démentis scientifiques...

GB : - Le premier postulat est celui de la priorité de l’autochtone sur l’immigré ! (constante de l’habitus humain quel que soit l’endroit du globe) d’autant que ce dernier est en phase de conquête et s’adapte trop bien en perturbant les équilibres connus. C’est le cas de l’envahissement par des plantes exogènes ou d’insectes comme le frelon asiatique qui à cause de ses inconvénients : piqûres à risque pour l’homme, ravage de nos abeilles semi-domestiques, le font passer dans la catégorie des nuisibles. L’endémisme est un viatique magique qui permet de surqualifier encore les espèces postulantes.

LBDA : - C'est aussi une manière de protéger la biodiversité et de luter contre la disparion d'espèces locales.

GB : - A l’inverse, une population déclinante, lorsqu’elle atteint un seuil d’alerte en matière de capacité à se reproduire et à condition qu’elle soit autochtone, nuisible ou pas, passe dans la classe des espèces protégées. C’est le cas de l’Ours.
Lorsqu’une espèce a disparu de la scène de notre environnement, à partir de combien de générations de l’espèce considérée ou de notre propre espèce (le temps de faire son deuil) le consensus d’état de disparition peut-il être pris pour la rendre non autochtone ?  Véritable problématique d’AOC pour la détermination de l’usage loyal et constant. C’est le cas du Loup qui, pour beaucoup, est une espèce aujourd’hui immigrée, en phase de conquête et donc nuisible.

LBDA : Vous posez la question mais apportez la réponse pour le loup : 2 générations !

GB : On voit que les frontières sont ténues d’autant qu’en fonction du degré de tolérance de la Société au regard des inconvénients ressentis (informations, désinformations) la doctrine sera perméable : introduction de marmottes, de mouflons, invasion de la tourterelle turque etc, se fondent dans le paysage sans trop de remous. Au total, c’est l’acceptation de la Société qui prime sur le statut des espèces sauvages.
Lorsqu’on aborde la notion de régulation sur quelles bases s’appuyer ? Pour les espèces qui ne sont pas sous statut protégé, il est évident que celles-ci se fondent sur la densité des effectifs dans les lieux concernés et au prorata des dommages provoqués, déclarés et constatés. La chasse et les battues administratives jouent ce rôle.
Pour les espèces protégées, tant qu’elles n’ont pas reconquis des effectifs leur permettant une survie que les spécialistes sont à même de définir, elles ne peuvent être prélevées à l’exception de certains spécimens qui pourraient s’avérer dangereux pour l’Homme, ceci sous tutelle administrative.
De même, la  différence de nature des territoires en lien avec l’activité des hommes doit être prise en compte. Sur les terres cadastrées où le régime de la propriété privée et où les activités humaines sont les plus intenses, il apparaît sensé d’admettre des densités moindres en fonction du risque de dégâts potentiels.
Dans le cas particulier d’espèces prédatrices potentiellement dangereuses, celles-ci doivent être systématiquement refoulées et en dernier recours abattues, en cas de signes d’agressivité envers les personnes humaines. Le rapprochement de l’habitat humain est soit une familiarité qu’il convient de combattre par l’effarouchement, soit le fait d’animaux atteints par la rage, à abattre.
Dans les espaces collectifs et à plus forte raison dans les réserves privées ou domaniales, l’attitude est toute autre, ils sont chez eux. Lorsqu’une cohabitation doit être institutionnalisée, alors il faut se donner les moyens de protéger les troupeaux contre les risques de prédation.
La loi doit faire référence et être appliquée. Dans le même temps, des moyens spécifiques d’aides peuvent être pris avec avantage pour mettre en œuvre les mesures de protection et, sous couvert de la signature d’une charte de bonnes pratiques, les dommages réels constatés indemnisés comme c’est la coutume sur les domaines privés.
LBDA : Les associations pastorales opposent une biodiversité « écologiste » responsable de « l’ensauvagement  des territoires » de la fermeture des milieux et une « biodiversité à visage humain », domestique, figeant de « beaux paysages » accueillants, humanisés. Mais les paysages ne sont pas figés. Ils évoluent au rythme de la reprise ou de la déprise agricole, de la pression sur le foncier, du retour à la terre des néo-ruraux.
GB : Question compliquée par le ressenti individuel et l’appréciation ponctuelle de la manifestation visible du monde vivant dans ses composantes des règnes végétal et animal. Pour l’invisible ? Chacun chausse et ajuste les lunettes qu’il peut !
Les milieux fermés sont souvent présentés comme des supports assez pauvres en matière de biodiversité car très sélectifs et privatifs de la pénétration du rayonnement solaire, source de vie pour une majorité d’êtres vivants. Ces milieux, en dehors des végétaux ligneux, des insectes, des champignons et des microorganismes de la litière se résument souvent au rôle d’abris pour la faune. Leur fonction nourricière est très saisonnée, surtout centrée sur l’automne (glands, châtaignes, faines, divers petits fruits, cornouilles, alise, poirotes etc.) ; Ce n’est qu’à sa périphérie physique que l’explosion de biodiversité prend forme : clairières, canopée et lisières.
Les milieux ouverts sont aussi assez sélectifs, d’autant que la pression agricole ou pastorale est plus intense, non seulement au niveau de la flore mais également au niveau de la faune. La complexité des associations végétales est inversement proportionnelle à la pression de pâturage, mais tout de même très supérieure à celle des espaces agricoles soumis à l’acte agricole classique (travail du sol, semis d’espèces et de variétés sélectionnées souvent en monoculture, engrais, pesticides, modalités de récolte etc.). Ces espaces sont naturellement plus adaptés aux animaux domestiques très spécialisés en termes de régime alimentaire.
Les milieux intermédiaires de type landes clairsemées ou mêmes partiellement arborée type savane de pays tempérés semblent présenter un compromis intéressant entre table alimentaire et refuge protecteur pour satisfaire à la reproduction et favoriser la stratégie de refuge dans les relations prédateurs/prédatés de la faune et la flore sauvages.
C’est sans doute dans le maillage de ces associations que l’optimisation de la biodiversité se situe. Or, cet équilibre n’est pas d’ordre naturel car les climax induisent des schémas dominants que seuls perturbent de temps en temps, et de manière aléatoire, les grandes tempêtes, les grands incendies.

- Et les grands herbivores ou espèces structurantes.

- Au dessus de tout cela il serait artificiel d’occulter la main de l’Homme puisqu’aujourd’hui, dans nos pays anciennement peuplés, elle est omniprésente.
LBDA : les déclinaisons sont cependant variables selon que l’on se situe en plaine ou en montagne ?

GB : Dans les régions de plaines c’est la valeur agricole des terres qui commande en matière de couverture végétale. Les zones les moins propices pour un usage rentable (notion relative fonction des orientations économiques) : landes, marais, ripisylves, estrans, forêts, s’affranchissent quelque peu de la monotonie anthropisée mais restent toutefois très encadrés par l’usage et les actions tutélaires des Hommes.
C’est le cas des massifs forestiers qu’ils soient artificiels (plantations : résineux, peupleraies), climaciques, ou mixtes, leur développement reste toujours sous contrôle de l’exploitation forestières, avec différentes techniques de coupe selon les modes et les théories du moment.
Les friches prennent naissance de façon transitoire sur les terres cédées par la déprise agricole ; leur rôle tampon leur vaut de constituer d’excellents réservoirs de biodiversité. La faune sauvage qui s’y développe reste elle-même sous surveillance (chasse) d’autant que leur habitat forestier reste cerné par les terres cultivées. De tout temps, une nécessaire régulation s’est imposée afin d’atténuer les dégâts provoqués sur les cultures de proximité (cervidés, sangliers, lapins).
Les prédateurs capables de s’attaquer au bétail domestique (loups) ont été anciennement éliminés et n’ont pas loisir de s’y réinstaller en raison de la situation d’ilotage et de l’opposition que leur retour rencontrerait de la part d’une population fortement implantée. Pour la faune ordinaire d’assez grande taille il semble nécessaire de mettre en place des corridors de liaison entre les différents massifs forestiers de sorte à faciliter les échanges génétiques.
Au sein des zones consacrées à l’agriculture, la présence de haies participe à rompre la monotonie paysagère et permet aussi de consolider des petites réserves de biodiversité. A cet égard, les formations bocagères liées à l’élevage sont appréciables.
Dans les milieux montagnards, la saisonnalité et la rudesse du climat montagnard segmente altudinalement la tendance générale des espaces : l’étage montagnard est propice au développement de la forêt, ce biotope permettant l’expression des capacités germinatives des semis naturels d’arbres et l’humidité régnante restant favorable à la croissance.
C’est dans cette fraction que furent essartées les inclusions agricoles des zones dites "intermédiaires" pour gagner de l’espace agricole sous la forme de terrasses flanquées de leurs granges foraines. Dans un second temps, transformées en prairies de fauche et en pâturage de transition pour les intersaisons, celles-ci sont de plus en plus court-circuitées, notamment dans la moitié Est du massif et abandonnées. Fréquemment, la montée en estive se fait directement en camions.
L’enfrichement consécutif provoque la fermeture ressentie de cet espace, l’inertie paysagère n’étant que d’une dizaine d’années. A l’inverse, l’inertie des estives est plus lente (de 30 à 50 ans selon le niveau altudinal et l’exposition), ce qui leur confère une apparente stabilité.
En conséquence, l’impact de la fermeture des zones intermédiaires ne semble pas spécialement préjudiciable à la biodiversité si on observe que le retour se fait naturellement en direction de la forêt. Cependant, la réduction de la disponibilité fourragère de complément accroît encore le besoin ressenti par les éleveurs valléens de pouvoir disposer d’estives.
L’étage subalpin correspond à une zone de transition, gagnée en partie sur le front supérieur de la forêt lors de la forte pression pastorale des siècles passés. Le pâturage permet de lui conserver son apparence d’ouverture. L’abandon pastoral produit rapidement l’apparition d’une lande de transition qui se parsème d’essences forestières notamment de pins à crochets pour les parties supérieures.
L’étage alpin reste naturellement ouvert et plutôt orienté vers le profil de landes d’altitude constituées, selon les expositions, d’imbrication de petits ligneux et de pelouses herbacées compte tenu de la présence d’un tapis neigeux sur 5 à 6 mois et des très faibles températures.
Sur ces étages supérieurs, il peut être défendu qu’une pression de pâturage mesurée et guidée puisse être bénéfique à l’organisation de mosaïques végétales complexes, favorables à une bonne expression de la biodiversité.
C’est aussi un bon compromis pour satisfaire les exigences des différents utilisateurs de la montagne :

  • éleveurs à la recherche d’une réserve d’herbe indispensable au maintien de leur activité,
  • chasseurs en quête d’un écosystème giboyeux,
  • touristes adeptes de chemins praticables, d’une certaine beauté paysagère où la vue peut porter loin et où la diversité chromatique saisonnière de la flore est source régulière d’émerveillements. Quand  le frissonnement de la vie qu’apportent les mouvements de la faune sauvage s’invite dans ce décor, la journée devient mémorable.

Dans ces tableaux bucoliques, les animaux domestiques participent pour beaucoup aussi à la qualité de leur scène vivante d’autant que leur observation ordinaire contraste avec la rareté de la vision fugitive de la faune sauvage. A défaut de "voir l’ours", pour des touristes majoritairement d’origine citadine certaines espèces domestiques font parfois aussi figure de découverte.

LBDA : C'est vrai qu'apercevoir l'ours des Pyrénées, sauvage et libre, est une chance et une expérience inoubliable, source de motivation pour le protéger. Je trouve dommage que les hommes politiques n'aient pas encore eu la chance de l'admirer. Celà pourrait changer beaucoup de choses. C'est possible en Italie, en Slovénie et ailleurs. Pour moi et une bonne vingtaine d'autres personnes cela a été possible en août 2011, dans les Pyrénées, dans le Val d'Aran. J'en profite pour remercier F. qui m'a téléphoné : " Tu viens voir l'ours ce soir ? " L'ours était au rendez-vous ! J'espère que tous ceux qui en rêvent auront la chance de le voir... un jour. Les Pyrénées sans ours ET sans troupeaux seront des montagnes bien plates. Acceptons l'émotion dans nos rapports à la nature.

Gérard Bozzolo, merci de m'avoir accordé cet entretien, très intéressant.

Baudouin de Menten

Voir l'ours dans les Pyrénées. Ici, Nheu dans le Val d'Aran (Photo BdM) Voir l'ours dans les Pyrénées. Ici, Nheu dans le Val d'Aran (Photo BdM)

(1)   Nicole Huybens, 2010, p83.
(2)   Beauchamp, 1993, p61 « Il s’agit de passer d’une conception despotique (dominer, écraser, réduire, manipuler, se prendre pour Dieu en insistant sur la vilence et le pouvoir) à une conception de la gérance (collaborer, améliorer, comprendre, partager, ressembler çà Dieu créateur et gérer sous sa conduite comme un intendant serviable et responsable »
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