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Berenice Abbott : la photographie froide

Publié le 23 février 2012 par Marc Lenot

Berenice Abbott : la photographie froide

Berenice Abbott, Eugène Atget, 1927

Bien sûr, on commence par Atget, qu'elle 'découvrit', qu'elle 'inventa', dont elle acheta les tirages et dont elle fit la promotion après sa mort, l'enfermant ainsi dans ce que Abigail Salomon-Godeau a nommé "la camisole de force de l'histoire de l'art".  Mais là n'est pas le propos de l'exposition consacrée à Berenice Abbott au Jeu de Paume (jusqu'au 29 avril). Celle qui, fait assez rare pour être souligné, ne fut pas l'amante de Man Ray (même s'il la photographia nue), mais seulement son assistante, puis sa 'concurrente' en matière de portraits, se voit consacrer une belle exposition sur son oeuvre, dans la série des femmes photographes présentées en ces lieux.

Berenice Abbott : la photographie froide

Berenice Abbott, Willow Place NYC, 14 V 1936

Le plus remarquable dans cette exposition, ce sont sans doute ses photographies d'immeubles new-yorkais, ses constructions à la fois réalistes (anti-pictorialistes, très inspirées par la modernité, la Nouvelle Vision) et mythiques, retrouvant le rythme des temples grecs, la scansion des colonnes, la déstructuration des formes par les jeux d'ombre et de lumière. De retour à

Berenice Abbott : la photographie froide

Berenice Abbott, New York Album, 1929-30

New York en 1929 après huit années parisiennes, elle prend alors la ville pour unique sujet ou presque. L'exposition narre ses nombreuses tentatives plus ou moins fructueuses de gagner une légitimité, d'exposer, de vendre; ainsi, ci-contre, cette page d'un album fait main où elle regroupe ses photos d'architecture, qui est aussi un chef d'oeuvre d'assemblage, de collage où les formes se font écho.

Berenice Abbott : la photographie froide

Berenice Abbott, Flatiron building Broadway & Fifth Av., NYC 1938

Chez elle, les gratte-ciels sont des personnages, chacun avec sa présence propre, sa personnalité, sa relation aux autres. Des documents de travail présentés dans une vitrine montrent à quel point chaque photographie est étudiée, planifiée, construite, avant d'être prise, avec dessins préliminaires, plans de situation, croquis architecturaux; rien n'est laissé au hasard.

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Berenice Abbott, Photomontage, NYC, 1932

La plupart des photographies ainsi composées existent par elles-mêmes, et le photomontage ci-dessus (qui fait la couverture du catalogue) semble être une exception,

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Berenice Abbott, Statues shop, Water Str. NYC, 1932

avec l'espace découpé par les poutrelles et la partition des rivets, et l'apparition de scènes de rue ou de monuments dans les vides.

C'est dans ses grandes compositions architecturales que s'exprime le mieux son talent. Dans ses vues de boutique, on ne peut que penser à Atget, aux reflets dans les vitrines et à l'apparition incongrue des objets exposés dans la scène de la rue.

Berenice Abbott : la photographie froide

Berenice Abbott, Sunoco station, Trenton NJ, 1954

Une partie de l'exposition est consacrée à Route 1, son voyage dans le Sud, mais on la sent moins à l'aise avec ces bicoques, ces maisons à taille humaine, ce côté photo-reportage. Avec ces fanions dans une station-service, elle frise le pittoresque : si cette série est historiquement et sociologiquement intéressant, elle me semble moins convaincante esthétiquement. Il faudra attendre Robert Frank...

Berenice Abbott : la photographie froide

Berenice Abbott, Cedar Str. from William Str. NYC, 26 III 1936

D'ailleurs, ses vues d'immeubles ne donnent pas grand place à l'être humain, quelques passants furtifs, quelques enfants jouant (voir Willow Place plus haut), apparaissant presque par accident. Dans cette superbe vue d'un 'canyon' new-yorkais (ci-contre) où la lumière rebondit sur les pierres de la façade, ce n'est qu'après coup qu'on distingue le visage du 'cop' en bas à droite.

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Berenice Abbott, André Gide, 1927

On revient alors vers ses portraits, dans la première salle, et, pensif, on se dit que les meilleurs portraits sont ceux où elle a photographié le sujet comme si c'était un immeuble, froid, massif, impénétrable. Ainsi André Gide, insaisissable, minéral, comme revêtu d'un masque mortuaire; ainsi son partenaire commercial (et rival

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Berenice Abbott, Julien Levy, 1927

intime dans l'affaire Atget) Julien Levy, au visage lisse, au crâne chauve, en chemise d'une blancheur insoutenable : aucun pittoresque, aucune empathie.

Cette même distance se retrouve dans ses superbes photographies scientifiques faites pour M.I.T. dans les années 1950s afin de glorifier la science américaine à l'époque de la guerre froide. Elles ont une froide poésie, une beauté surréaliste (on pense aux 'sculptures' de Poincaré). Ce miroir parabolique en particulier est à la fois une documentation scientifique et un clin d'oeil démultiplié, plumes de paon ou divinité mythologique aux cent yeux. Ce fut pour moi la découverte de cette exposition.

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Berenice Abbott, Miroir parabolique, M.I.T. 1958-1961

 Photo 3 de l'auteur; photo 7 courtoisie du Jeu de Paume.


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