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Embryon humain : vers la personnalité juridique ?

Publié le 23 février 2012 par Vindex @BloggActualite
Embryon humain : vers la personnalité juridique ?-Un embryon humain-
L'embryon humain est-il une personne physique, et dispose t-il, de ce fait, de la personnalité juridique ? Alors que cette question fait et fera probablement longtemps débat (mais la question s'est-elle toujours posé ?), les juristes eux-mêmes n'ont que de brefs éléments de réponse, impropres à répondre clairement et simplement à une questions aux abords -tant scientifiques et moraux- si complexes.Il apparaît en tout état de cause qu'un arrêt de la Cour de Justice de l'Union Européenne, datant du 18 Octobre 2011, apporte un nouvel élément au débat et à la définition du statut juridique de l'embryon, lui apportant une protection juridique relativement importante. Il faut néanmoins s'interroger, avant toute chose, sur les éléments de définition autour de la situation de l'embryon humain, avant de voir les apports de l'arrêt en question, et peut-être d'étendre le sujet vers d'autres débats susceptibles d'être affectés par cet arrêt. Ce que prévoient les textesL'article 16 du code civil dispose que "La loi assure la primauté de la personne, interdit toute atteinte à la dignité de celle-ci et garantit le respect de l'être humain dès le commencement de sa vie". Cela pose donc la question de l'apparition de la personnalité juridique.La personnalité juridique des personnes physiques commence au moment de la naissance, à condition que l'enfant soit né vivant et viable. A contrario, en principe, l'enfant né mort n'a pas la personnalité juridique. Exceptionnellement, la seule conception peut conférer la personnalité juridique à un enfant, mais à conditions que cela soit dans son intérêt et qu'il fut viable pendant la gestation : c'est la règle « Infans conceptus pro nato habetur quoties de comodo ejus » tirée de l'article 311 du code civil : L'enfant conçu sera considéré comme né chaque fois qu'il pourra en tirer avantage.C'est donc une sorte de personnalité anticipée et conditionnelle attribuée à l'enfant conçu, qui peut se retrouver par exemple dans un arrêt rendu par la première chambre civile de la Cour de Cassation le 10 Décembre 1985. Le fait que la personnalité juridique commence seulement à la naissance pose le problème du statut d'un embryon et d'un fœtus : ils ne sont pas des personnes juridiques, sauf infans conceptus. Mais il constitue tout de même un être humain potentiel : ce n'est donc pas une chose entrant dans un patrimoine.

Le code civil a tranché : les embryons peuvent être détruits en application du droit à l'avortement par exemple. Une loi de 2004 (figurant au code de santé publique) réglemente le statut de l'embryon. Ainsi, par exemple, le fait qu'un fœtus n'ait pas la personnalité juridique a pour conséquence qu'un médecin provoquant accidentellement le décès d'un fœtus ne peut être poursuivit pénalement pour homicide involontaire (Cour de Cassation, Assemblée Plenière, 29 Juin 2001) bien que la jurisprudence en la matière soit plus complexe.

Cependant, de nombreuses controverses vont se développer en l'occurrence.

La jurisprudence

Saisis pour bon nombre de la question, les juges n'ont pas manqué de livrer leur interprétation sur la question.

-Le conseil constitutionnel : En France, La loi du 30 Mai 2001 relative à l'interruption volontaire de grossesse et à la contraception porte notamment disposition de l'allongement à 12 semaines du délai maximal autorisé pour pratiquer une interruption volontaire de grossesse (au lieu de 10 semaines), pour le cas où la femme se trouverait en situation de détresse. Elle dispose de plus en d'une procédure préalable à la décision de pratiquer une interruption volontaire de grossesse, qui est réformée en l'occurrence, allégée pour la consultation sociale puisqu'elle ne devient obligatoire que pour une femme mineure non émancipée, et allégée également pour le « dossier-guide » remis lors de la première visite médicale sollicitée par une femme voulant bénéficier d'une IVG. Enfin, une troisième disposition tendait à supprimer la possibilité, pour un chef de service d'un établissement public de santé, de s'opposer à ce que des IVG soient pratiquées dans son service.

Saisi de cette Loi, le Conseil Constitutionnel a rendu une décision en date du 27 Juin 2001.

Sur le grief des risques eugéniques, le conseil constitutionnel répond par la définition légale de l'eugénisme disposée par l'article 16-4 du code civil, comme étant « une pratique tendant à l'organisation de la sélection des personnes », ce qui ne serait ni l'objet ni l'effet de la loi en présence, bien que cela puisse être critiquable du fait qu'individuellement les personnes puissent être tentées par de telles motivations.

Concernant la seconde disposition, le conseil constitutionnel estime que les garanties restent suffisantes alors qu'elles ont été allégées (plus d'obligation des mentions d'aides sociales, de recours à l'adoption, (etc.) sur le dossier guide), la femme pouvant toujours, à sa demande, disposer des conseils appropriés, alors que ces conseils ne plus obligatoire, ce qui ne porte pas atteinte au principe de liberté selon le conseil constitutionnel. Quel est pourtant l'intérêt du gouvernement de l'époque de rendre si succins les contrôles limitant l'accès à cette opération pourtant si grave ? Quel intérêt de libéraliser à ce point cette pratique ?

Dans cette décision on voit que le Conseil Constitutionnel tente de concilier deux principes : la liberté de la femme découlant de l'article 2 de la Déclaration des Droits de l'Homme est du citoyen (interprétation extensive), et la dignité humaine, puisque limitant les dispositions applicables au seul cas (très subjectif cela dit) de "la situation de détresse de la femme enceinte", ce qui ménage selon le conseil cet équilibre.

L'apport de cet arrêt sur le statut de l'embryon est nul, mais il permet d'illustrer où se situe le débat dans la plupart des cas : le critère de vie de l'embryon n'est pas débattu juridiquement, sa situation n'est pas prise en compte, et est reléguée au second plan en considération de la situation de la femme enceinte.

Ceci résulte du fait que la situation juridique de l'embryon n'est pas considérée comme égale à celle de tout être humain pourvu d'un patrimoine juridique, et donc de droits, et donc du droit à la vie.

-La Cour Européenne des Droits de l'Homme : celle-ci à eu l'occasion de se prononcer sur le droit à la vie de l'enfant à naître, et en l'occurrence sa réponse est plus claire. Dans un arrêt du 5 Septembre 2002, G.Boso contre Italie, le requérant estimait que la législation Italienne permettant l'avortement portait atteinte à l'article 2 de la Convention Européenne des Droits de l'Homme (relatif au droit à la vie). La Cour estime que le droit à la vie dont il est question ne concerne que des personnes et que, implicitement, elle ne reconnaît pas cette qualité au foetus, puisque sa vie peut-être atteinte sous certaines conditions cependant, lesquelles étaient en l'occurrence respectées. Une telle solution a de nouveau été retenue en 2007 dans l'arrêt Evans contre Royaume-Uni (la Cour ne sanctionnant pas une législation ne reconnaissant pas la personnalité juridique à l'embryon), avec cependant un bémol : les gouvernements disposent d'une certaine marge de manoeuvre dans la détermination de la situation juridique d'un embryon dans leur droit interne, ce qui leur laisse donc une certaine liberté. Cependant dans une logique de conciliation, on peut très estimer qu'une reconnaissance juridique de l'embryon pourrait contrevenir à la liberté de la femme que la Cour prend en compte (notamment dans l'arrêt Bosco).-La Cour de Cassation : celle-ci a rendu un arrêt intéressant en la matière : selon elle, dans un arrêt rendu par la chambre criminelle en date du 2 Décembre 2003, "il y a homicide involontaire lorsque la mère, enceinte de huit mois au moment de l'accident, a donné naissance à un enfant qui est décédé une heure après des suites des lésions subies au moment de l'accident". Cette jurisprudence doit cependant être nuancée puisqu'il ne s'agissait pas ici d'un embryon mais bien d'un foetus (stade scientifiquement plus évolué avant la naissance), et également du fait qu'il s'agissait de circonstances de fait bien particulières (ainsi un avortement involontaire d'un foetus de 5 mois n'a pas été qualifié d'homicide involontaire : Cour de Cassation, criminelle, 30 Juin 1999). L'arrêt en questionAvant toute chose, il convient de rappeler qu'en droit français la problématique de l'arrêt en cause est abordée à l'article 16-4 du code civil : "Nul ne peut porter atteinte à l'intégrité de l'espèce humaine. (...) Sans préjudice des recherches tendant à la prévention et au traitement des maladies génétiques, aucune transformation ne peut-être apportée aux caractères génétiques dans le but de modifier la descendance de la personne". L'objet de cet article est donc de tenter de concilier (mais est-ce vraiment possible ?) d'un côté le respect physique de l'embryon et de l'autre le progrès scientifique.L'arrêt qui fait l'objet de cet article est le suivant : Cour de Justice de l'Union Européenne, Olivier Brüstle contre Greenpeace eV, 18 Octobre 2011, affaire C-34/10.En l'espèce, M. Oliver Brüstle détenait un brevet, portant sur des cellules précurseurs neurales, produites à partir de cellules souches embryonnaires humaines utilisées pour traiter les maladies neurologiques, telle que la maladie de Parkinson par exemple. L'association Greenpeace eV a contesté la validité d'un tel brevet devant le Tribunal Fédéral des Brevets d'Allemagne du fait qu'il portait sur des procédés issus de manipulations sur des cellules souches d'embryon humain. La Cour fédérale de justice Allemande, saisie en appel par M. Brüstle (lequel avait donc vu son brevet annulé en première instance), sursois à statuer pour poser à la Cour de Justice une question préjudicielle sur l'interprétation de la notion d'« embryonhumain », non définie par la directive 98/44/CE relative à la protection juridique des inventions biotechnologiques : "Que convient-il d’entendre par 'embryons humains' au sens de l’article 6 de la directive ? Cette notion recouvre-t-elle tous les stades de développement de la vie humaine à partir de la fécondation de l’ovule ou d’autres conditions doivent-elles être satisfaites, par exemple un stade de développement déterminé doit-il être atteint ?" Le reste de la question découle de cette première interrogation en terme d'applicabilité de la directive à certains types de gamètes. En effet la directive ne donne pas de définition de l'embryon humain, donc la question se pose en terme de champ d'application de cette directive. De par son pouvoir d'interprétation, la Cour estime que le législateur de l’Union a entendu exclure toute possibilité de brevetabilité, dès lors que le respect dû à la dignité humaine pourrait en être affecté. Il en résulte que la notion d’« embryon humain » doit être comprise largement, et que par conséquent la protection assurée est d'autant plus large. La Cour poursuit en estimant que tout ovule humain doit, dès le stade de sa fécondation, être considéré comme un « embryon humain » dès lors que cette fécondation est de nature à déclencher le processus de développement d’un être humain. Même l’ovule humain non fécondé, ("dans lequel le noyau d’une cellule humaine mature a été implanté, ou encore "induit à se diviser et à se développer par voie de parthénogenèse") peuvent recevoir une telle qualification, laquelle est alors entendue très largement, du fait que dans de tels cas il y a tout de même développement de l'être humain.Il convenait également, dans l'arrêt, de savoir si l'usage d'embryons humains à des fins industrielles et commerciales pouvait également avoir des fins de recherche scientifique. Cependant dans l'affaire en question, dès lors qu'il existe un brevet, il existe un objet commercial qui ne peut se détacher de la seule finalité scientifique, d'où l'exclusion de la brevabilité des embryons humains En conséquence, la Cour conclut que la recherche scientifique impliquant l’utilisation d’embryons humains ne peut pas accéder à la protection du droit des brevets, sauf à considérer un intérêt thérapeutique s'appliquant à l'embryon et lui étant utile. La Cour conclu en estimant qu’une invention ne peut être brevetable lorsque la mise en œuvre du procédé requiert, au préalable, soit la destruction d’embryons humains, soit leur utilisation comme matériau de départ.L'ensemble de cet arrêt ne consacre donc pas un statut juridique propre à l'embryon, donc pas encore de patrimoine propre à lui accorder des droits, mais il assure à son égard une protection renforcée.Il est cependant à noter que cette interprétation très large de la notion d'embryon implique une interprétation tout aussi large de la conception du début de la vie humaine, qui serait ici entendue non à compter de la naissance, du battement du coeur, mais dès la conception, donc dès la fécondation. Cette conception différente peut avoir un impact sur la notion d'interruption de grossesse et donc sur son champ d'application et surtout la nature même du régime juridique qui le régit actuellement dans certains pays. Avec une telle logique en effet, l'IVG (et non l'avortement, puisque cette intervention n'est autorisée que jusqu'à 12 semaines de grossesse pour la voie chirurgicale) pourrait ne plus être nécessairement un droit mais plutôt une exception se rattachant à un certain nombre de cas extrêmes autorisant cet acte sous conditions (comme c'est par exemple le cas en Pologne, même si la Cour Européenne des Droits de l'Homme a estimé, dans un arrêt Tysiac contre Pologne du 20 Mars 2007,"qu'une fois que le législateur a décidé d'autoriser l'avortement, il ne doit pas concevoir le cadre légal correspondant d'une manière qui limite dans la réalité la possibilité d'obtenir une telle intervention", restreignant ainsi la marge de manoeuvre et d'appréciation des Etats membres sur ce point).ActualitéActuellement, une première information retient notre attention dans un thème (récurrent) lié à la notion d'embryon humain. En effet, en Espagne, après un clair élargissement de ce droit depuis une loi du 5 Juillet 2010, le gouvernement de droite nouvellement porté au pouvoir envisage une restriction de ce recours.De plus, suite à l'affaire Brüstle contre Greenpeace, la COMECE (Commission des Episcopats de la Communauté Européenne) a salué la solution de la Cour de Justice (dans un communiqué de presse du 18 Octobre 2011) en estimant que "l‘embryon humain doit être considéré, à chaque étape de son développement, comme un être humain doué de potentiel, et pas uniquement comme un être humain potentiel". Il a poursuivi que cet arrêt pourrait réorienter les recherches scientifiques davantage vers les cellules souches adultes. Dans un autre communiqué de presse du 7 Décembre 2011 (intitulé "L’UE devrait actualiser sa politique de recherche en matière de cellules souches"), cette même COMECE demandait à l'Union de privilégier la recherche sur les cellules souches adultes et non embryonnaires, pour respecter davantage "la primauté de l'intérêt et du bien de l'être humain sur le seul intérêt de la société ou de la science", prévue à l'article 2 de la Convention d'Oviedo de 1997 pour la protection des Droits de l'Homme et de la dignité de l'être humain à l'égard des applications de la biologie et de la médecine".Enfin, plus récemment encore, François Hollande, candidat PS aux élections présidentielles de 2012, a pour projet d'autoriser la recherche sur les cellules souches embryonnaires, encore actuellement interdites par principe et soumises à exception en France. Rémi Decombe.

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