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L’être et le néon

Publié le 24 février 2012 par Marc Lenot
L’être et le néon

Jean-Michel Alberola, Rien, 2011

C'est curieux, de vouloir faire une exposition sur un médium. J'ai toujours eu des doutes sur ces commissaires ou critiques qui se focalisent sur le dessin, le pastel, l'eau-forte, voire le chocolat : la seule bonne question dans ce cas me semble être de montrer ce que le médium apporte de spécifique en terme d'expression artistique, alors que trop souvent on en reste aux spécificités techniques et aux banalités didactiques. C'est bien là l'écueil qui guette l'exposition sur les néons à la Maison Rouge (jusqu'au 20 mai). En quoi le néon (dont, comme le souligne Philippe Dagen*, l'adoption par les artistes fut tardive, 50 ans après son invention) permet-il de faire autre chose ?

L’être et le néon

Joseph Kosuth, Neon, 1965

L'impression première de l'exposition est que le néon, utilisé dans 80% des cas pour écrire, ne représente trop souvent qu'une transposition lumineuse, amusante, jolie, séduisante, de textes plus ou moins intéressants. Je ne suis pas certain qu'écrire avec un tube de néon 'Tout sauf rouge' en rouge (Su-Mei Tse), ou 'Who's afraid of red, yellow and blue' dans ces mêmes couleurs (Maurizio Nannucci parodiant Barnett Newman) soit vraiment novateur (l'étymologie de néon, c'est νέος, nouveau), et encore moins 'La lumière parle' (Eric Michel) : so what ? Si Neon de Joseph Kossuth est ici parfaitement cohérent, sens et médium s'y rejoignant, la néonisation du palindrome debordien (In girum..) par Cerith Wyn Evans en fait un beau lustre décoratif, mais quoi d'autre ?

L’être et le néon

Frank Scurti, Tabac

Il y a toutefois ici des pièces très intéressantes, certaines historiques (hélas un seul Flavin, et pourtant...), mais surtout des pièces qui transforment le regard, qui éblouissent (Light Box d'Andrea Nacciarriti, quasi insoutenable; mais j'aurais aussi aimé pouvoir pénétrer dans une pièce chauffante et étouffante de Nathaniel Rackowe comme là), qui ouvrent l'espace en trompe-l'oeil (deux pièces seulement d'Ivan Navarro, j'aurais aimé une grande installation désorientante, comme à Venise), ou qui font résonner la fragilité mortelle du médium ('Everytime you switch me off, we die a little' de Douglas Gordon, ou 'This work should be turned off when I die' de Stefan Brüggeman). Cette extrême fragilité, cette fois traduite dans le matériau même, je l'avais vue il y a peu dans ce travail tragique de The Plug, mais lui non plus n'est pas là.

L’être et le néon

Saâdane Afif, Essence

On aurait aimé aussi plus d'oeuvres en rapport avec le rôle social, économique, publicitaire du médium, sa dimension marketing, signalétique, attractive, ludique, impérative : il n'y a guère que quelques enseignes, Tabac de Frank Scurti (ci-dessus), Essence de Saâdane Afif, un signe de pharmacie de Jonathan Monk mais, par exemple, le mur de Pascale Marthine Tayou avec ses signes Open/Ouvert/Geöffnet/... n'aurait pas déparé. Une photo de Gimpel, ça aurait été bien aussi, pour donner un peu de perspective historique.

L’être et le néon

Jason Rhoades, untitled, 2004

Il y a d'ailleurs - et c'est bien dommage -  peu d'oeuvres de taille, de vraies installations, d'accumulations, à l'exception de celle de Jason Rhoades où la profusion illisible des signes (divers noms du sexe féminin) séduit, après toutes ces banales phrases murales en lumière qui parle. Trop de néons tout seuls au mur, trop peu intégrés dans des installations : il n'y a guère qu'un Merz avec une charrette de paille, un matelas de Pier Paolo Calzolari et surtout une cage à oiseau parsemée de

L’être et le néon

Laurent Pernot, Captivité

charbon, où une lune prisonnière brille, Captivité de Laurent Pernot. J'aurais aussi bien aimé Journiac, mais bon, on va pas se plaindre, on a échappé à Loris Gréaud....

Car tout n'est pas qu'écriture : on dessine aussi avec le néon, et parfois lettres et dessins se mêlent comme ce Rien crânien de Jean-Michel Alberola (en haut), assez emblématique. Beaucoup de traits, de cercles et de carrés assez ennuyeux, d'où ressort seule ou presque l'intelligence de François Morellet, avec la seule pièce interactive de l'exposition. Et puis une superbe double installation de Bruce Nauman où sexes rapides et mains plus lentes clignotent, changeant de couleur et de position (haut/bas, érection/flacidité) sur deux socles rouges théâtraux.

Et plutôt que l'expérience d'optique amusante de Carlos Cruz-Diez, Chromosaturation qui change nos perceptions un peu comme à la Foire du Trône, j'ai aimé, pour le trouble qu'elle induit, la pièce murale toute simple de Stéphane Dafflon (PM037), fresque de dessins géométriques ondulés dont seuls les deux extrêmes sont des néons, les autres étant peints au mur.

L’être et le néon

Claude Lévêque, Rêvez !

Dans les regrets aussi, un seul Claude Lévêque (Rêvez !). Aucune oeuvre dangereuse non plus, si ce n'est la vidéo de chute de 25 tubes de néon jusqu'à l'obscurité de Delphine Reist, mais (même si ce n'était pas du néon) rien qui inquiète vraiment comme cette pièce de Marcela Armas vue au Fort du Bruissin lors de la dernière Biennale de Lyon.

En somme, une exposition plutôt didactique, ni assez sélective ni assez variée, manquant de passion et d'aspérité, un peu comme un bon manuel d'histoire de l'art contemporain digeste et peu relevé.

* lire par ailleurs sa critique, beaucoup plus positive que la mienne; c'est aussi le cas de  Libé et du Figaro. Nombreux visuels ici, et là.

[Pour mémoire, seuls les tubes fluorescents rouges sont au néon, les autres sont à l'hélium (jaune), au dioxyde de carbone (blanc), à l'argon (Violet), au mélange d'argon et de mercure (bleu) ou bien ils ont un revêtement coloré.]

Jean-Michel Alberola, Joseph Kosuth, Frank Scurti et Claude Lévêque étant représentés par l'ADAGP, les reproductions de leurs oeuvres seront ôtées du blog à la fin de l'exposition.


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