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En quel sens peut-on dire que la conscience est libre ?

Publié le 28 février 2012 par Anargala
En quel sens peut-on dire que la conscience est libre ?
Je parcours avec attention et délectation le livre d'Isabelle Ratié sur la philosophie de la Reconnaissance (pratyabhijñā). Dans sa conclusion, elle constate que tout tient dans la liberté :
"A l'issue de cette exploration des textes d'Utpaladeva et d'Abhinavagupta consacrés à l'identité, à la différence et à l'altérité, force est de constater qu'à tous ces problèmes sans exception, la Pratyabhijñā n'apporte, au fond, c'est-à-dire en dépit de la complexité des controverses dans lesquelles elle se glisse, qu'une seule et unique solution : la liberté (svātantrya) de la conscience.(...)la conscience est svatantra, autonome, en ce premier sens qu'elle ne dépend pas de l'Autre, puisque, selon le principe même des bouddhistes, elle est ce qui se manifeste par soi et prend conscience de soi par soi - c'est pourquoi la liberté de la conscience est "absence d'expectative vis-à-vis de l'Autre" (ananyamukhaprekṣitva) ; mais elle est aussi libre à l'égard de sa propre identité. Son dynamisme ou son "être-agent" (kartṛtā), en effet, c'est précisément le fait que son existence n'est confinée à aucune essence qui lui préexisterait, car si les objets son déterminés une fois pour toutes à avoir une forme particulière qui leur est propre et dont ils ne peuvent s'écarter sans s'abolir, la conscience est capable d'assumer toutes les formes, y compris celle de l'Autre, et peut s'apparaître comme limitée ou contractée alors qu'elle ne l'est pas. Sa liberté n'est donc pas seulement une indépendance vis-à-vis de l'autre, mais encore une indépendance vis-à-vis de soi qu'Abhinavagupta décrit comme "le fait de ne pas reposer seulement dans une adéquation exclusive à soi, contrairement à une entité inerte (ātmamātratāyām eva jaḍavad aviśrāntatvam) : selon la Pratyabhijñā, le Soi, c'est précisément ce qui est sans sans être confiné à un "être-seulement-soi" (ātmamātratā)." (pp. 714-715)
Ainsi, la Reconnaissance n'est pas un non-dualisme de l'être pur (sanmātratā), mais bien de la liberté, y compris par rapport à l'être, pur ou différencié, donné ou construit. La synthèse d'Isabelle Ratié prend ici des accents sartrien, comme en plusieurs autres endroits de son travail. Car c'est, en effet, là un point essentiel aussi bien de la Reconnaissance que de l'existentialisme.
A sa façon, la Reconnaissance célèbre la vacuité d'existence propre, condition de la liberté. Il ne saurait donc être question d'aspirer à perdre toute identification pour simplement "être". Le propre de la conscience, c'est au contraire ce pouvoir de s'arracher à l'être, qui s'exprime aussi bien dans la réflexion que dans la distraction la plus banale.
Dès lors, il devient impossible d'enfermer une conscience - la conscience telle qu'elle s'identifie librement à telle ou telle individualité - dans l'être, dans un concept, dans une nature, dans une forme, dans une essence.D'où cette question : la Reconnaissance ne formule-t-elle pas l'Idée (tātparya) du dharma du Bouddha ? Je veux dire, la liberté n'est-elle pas le concept abouti de la vacuité ?

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