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A la fin, la fin

Publié le 10 mars 2008 par François Monti

Il me semble pratiquement impossible de parler de façon intelligente d'Arno Schmidt. Béni soit celui qui y parvient ! Mais laissez moi quand même vous dire deux trois mots sur " Léviathan " et son auteur.


J'ai commencé ma ballade dans la lande de l'esprit schmidtien par " Le cœur de pierre " et le coup reçu fut rude. Il y avait longtemps que je n'avais rien lu d'aussi déstabilisant et je me rends compte maintenant qu'il y avait des portes d'entrée peut-être moins représentatives mais sans doute plus stables pour le non-initié. " Léviathan ", son premier livre, est probablement de celles-là. Après avoir essayé en vain de vendre son logarithme, Schmidt parvint à refiler le manuscrit de ses trois récits à un éditeur. Ainsi se mit à voguer la galère. Et donc certains seraient tentés de se demander " que ce serait-il passé si c'était le contraire ", ce qui est absurde puisqu'on a plutôt l'impression que logarithme et paragraphe schmidtien c'est deux faces de la même chose et on aurait envie de croire que le dit logarithme, hein, à première vue, étourdisse complètement le mathématicien, et que comme ça, le littéreux comprenne le plaisir du matheux et vice-versa. Mais ne prétendons pas que l'écriture de Schmidt c'est de maths en mots, ce serait une connerie et ce n'est pas ça qu'on essaye de dire. Rideau. Léviathan.


Hobbes. Grand génie du mal, Hobbes ! Gouvernement central fort, Hobbes ! Aime pas ça, Schmidt ! Faut dire que, comme pas mal d'Allemands, il en est revenu du fort. Il veut qu'on le laisse tranquille, Schmidt ! Et son " Léviathan " le dit, ça !


Premier livre donc, 1949. Gadir, Léviathan, Enthymésis. Trois hommes aux prises avec le monstre, d'une façon ou d'une autre. Schmidt a retrouvé pour vous, pour nous, les journaux de ces trois malheureux. Pythéas de Massilia est détenu par les Carthaginois comme un vulgaire espion grec. Malgré son âge canonique, il ne fait que rêver de s'évader. Que rêver. A la fin, la fin. Un officier allemand, une jeune femme. Début de débâcle, dans un train pour fuir, avec un vieux, un gosse d'autres soldats. Un train doté d'une " arrache-traverse ", aucune perspective de retour : la voie se défait derrière eux à mesure qu'ils avancent. Aucune perspective de retour. Et les avions star-spangled et unionjacked virevoltent, bourdonnent, tabularasent. A la fin, la fin. Philostratos arpente le globe pour en donner la mesure. Il est convaincu que le dit globe n'est en fait guère plus qu'un disque. Guère plus qu'un disque. Avec ces co-expéditeurs, il se dispute et part seul. Sans manger, sans boire. A la recherche du bout du disque. Et il s'envole, oiseau. A la fin, la fin.


On dit que puisque Schmidt nous raconte ses histoires à travers les fragments de journaux retrouvés des trois hommes, " Léviathan " est le " témoignage d'une irréductible victoire de l'imagination ". Diablement romantique tout ça. Nous, ce qu'on voit, c'est à la fin, la fin. Diablement déprimant tout ça. Le salut ne vient pas de l'hypothétique triomphe des traces écrites sur les carcasses chaque jour plus proches de la poussière, non, mais vraiment du génie de Schmidt. En 1949, son écriture sort à peine des cases, elle commence à se tortiller pour se libérer mais ne l'est pas encore (libérée), ce qui n'empêche pas de sentir qu'aux récits empreints du désir de ne plus être prisonnier de l'Etat, de la guerre, du temps ou de la société, réponds une soif insatiable de libérer aussi la façon de jeter langue l'encre sur le papier. Ce n'est pas la folie, ce n'est pas la poésie, ce n'est pas la colère, ce n'est pas la liberté, ce n'est même pas la lande, c'est Arno Schmidt qui commence à creuser son sillon de ce qui deviendra terre fertile d'où s'élèvera l'une des œuvres essentielles du siècle passé. Le savait-il ? Je n'ai en tout cas pas l'impression que nous le savons.


Arno Schmidt, Léviathan, Christian Bourgois, 13,72€


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