À l’occasion d’un concert partagé avec Le Volume Courbe et Christine and the Queens dans le cadre du festival Les Femmes S’en Mêlent, Ela Orleans est de retour à Paris après un concert l’an passé à l’International (voir). Si la musique d’Ela Orleans fascine, c’est aussi et surtout parce que celle-ci incarne l’itinérance. Itinérance solitaire, noctambule ou géographique, ses disques en sont le produit et décrivent la trajectoire d’une artiste aussi introvertie dans son travail que prolifique. Retour sur une récente carrière à l’aune de chroniques déjà publiées.
De Low Sun/High Moon à Lost, de Glasgow à New-York
Fruit d’un déracinement géographique – Ela Orleans est née à Auschwitz en Pologne et vécu un temps à New-York, - mais aussi de l’isolement de l’artiste devant son grimoire et ses instruments (guitares, violons, claviers, sampler), Lost (La Station Radar) diffuse en neuf morceaux un climat sombre et énigmatique, où la voix d’Ela, tel un spectre à l’androgynie déroutante, transperce une nuée d’arrangements peaufinés à l’extrême. Comme si l’évidence d’un Velvet Underground, affublé de la pénétrante Nico, n’était plus réduit qu’à sa plus simple expression lo-fi (Something Higher, Rocket Trip to Nowhere, Myriads) dans un syncrétisme rythmique à la discrétion redoutable. Deux instrumentaux, Yes, Of Course et Barry Lyndon, joués en compagnie du guitariste Wende K. Blass (Burkina Electric) et empruntant tant à l’afro-pop qu’au flamenco castillan, magnifient d’ailleurs ces chemins de traverse en tranchant avec l’intensité dramatique née de la répétition de motifs brinquebalants sur Reading Stones ou des déluges de violon tout au long d’Amsler Grid. L’emprise est totale mais pas inédite.
De NEO PI-R et Double Feature à Mars is Heaven, de New-York à Brighton.
NEO PI-R est un disque spontané, sorti sur Clan Destine Records (lire), correspondant à l’installation d’Ela à Brighton. Partageant avec Lost une même cartographie d’un psychisme ambivalent où s’entremêlent, par le biais de vocalises tonalement dissemblables, songes éveillés et cauchemars éventés, le continuum NEO PI-R dévoile une intimité, inquiète et mouvante, à la fragilité magnétique. Un dénuement susceptible – à la faveur de plages instrumentales (Night Ride – part 1 & 2, Three Stages of Sleep) ou hantées (Voices – part 3, Voices - part 1), étreignant d’un écrin volubile une poignée d’instantanés admirablement chantés (Apparatus, My Friend Angel, Walking Man), – de ne se déployer que dans les interstices d’une nuit conférant à chaque bruit ou grincement, la musicalité ondoyante et pénétrante des grandes œuvres.
Ela Orleans et Alex Zhang Hungtai – Dirty Beaches (lire) selon son patronyme scénique, - se sont rencontrés à New-York. S’agissant de leur rencontre, Alex lève le voile : «J’ai contacté Ela après avoir découvert sa musique sur MySpace. Je l’ai invitée à jouer avec moi lors d’un concert à New-York au cours d’une tournée américaine. Elle nous a hébergés, nous préparant le meilleur des petits-déjeuners. (…) Ela était déjà chez la Station Radar, et Fleur et Jérôme ont eu la gentillesse de me demander si je ne voulais pas sortir quelque chose pour eux. C’est à ce moment que Shawn a découvert la musique d’Ela, et que nous sommes tous devenus amis.» Avec Double Feature, cette amitié est gravée dans le sillon sous les hospices d’une bienveillante co-production réunissant les labels français La Station Radar et Atelier Ciseaux, en plus de Night People. Aux confins d’une impénétrable obscurité, l’onirisme serein et enivrant déployé par Ela Orleans se projette alors sans effort en contrepoint de la besogne, intense et charnelle, de son double antithétique, auteur il y a peu de Badlands (Zoo Music) et incarnant, dans l’acier de ses pérégrinations, le phantasme éveillé de l’exilé détroussé, sans cesse en quête d’un ailleurs qui ne lui appartiendra jamais.
Écrit à New-York et masterisé à Brighton, Mars Is Heaven tient donc tant à la fois de l’Olympe que du phantasme, à savoir de cette délicate immixtion entre la caresse d’une voix vespérale, triturée, et la promesse d’une instrumentation mate et veloutée, volontairement passéiste, conviant avec parcimonie sur fond de collages et de boucles sonores, piano, guitare et batterie. Nonobstant une certaine légèreté, drapée dans ses plus beaux atours mélodiques (Planet Mars, Into The Woods), on devine cette fêlure mélancolique transperçant de part en part un disque mature mais habité, où l’apparente quiétude recèle son lot d’indicibles craintes. À la manière de John Black – capitaine du vaisseau échoué sur Mars selon la nouvelle fantastique écrite par Ray Bradbury dont Ela s’est inspirée de bout en bout dans la confection du disque – et conscient malgré lui que quelque chose se trame, on ressent l’ambiguïté d’une atmosphère oscillant entre calme emprunté et panique avérée. On se plaît alors à écouter Wonderful Us, dernier morceau du disque, tel un générique de fin où le nom des acteurs défile en surimpression de scènes de paisibles désolations, entre corps décharnés et immondices matérielles abandonnées. Précisément là où le paradis stellaire se meut en enfer extraterrestre.
Pour (re)lire…
Interview, chroniques et mixtape, cliquer ici (mars 2011)
Chronique de NEO PI-R, cliquer ici (juin 2011)
Chronique de Double Feature w/ Dirty Beaches, cliquer ici (juillet 2011)
Chronique de Mars Is Heaven, cliquer ici (novembre 2011)
Concours
Ela Orleans, Festival Les Femmes S’en Mêlent, le 22 mars au Point Éphémère
Pour être parmi les trois chanceux à vérifier ces dires sans trop s’amputer d’espèces sonnantes et trébuchantes le 22 mars prochain, envoyez-nous vos nom et prénom à l’adresse [email protected]. Les gagnants seront tirés au sort le 19 mars et prévenus le lendemain par mail.
Le Volume Courbe - Christine and the Queens - Ela Orleans
Point Éphémère
20:00 – 15/17 €
Préventes
Le Point Éphémère
200 Quai de Valmy
75010 Paris
Jeu de briques
Snake
Pacman
Bubble