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Le mot de la fin de Mathieu Gaborit

Par Phooka @Phooka_Book

Le mot de la fin de Mathieu Gaborit
L'Imago a choisi les vapeurs d'un bainbrûlant pour s'incarner. Je sursaute, bien sûr, et croise les mainssur mon pubis. Le visage grimace au-dessus de la baignoire et finitpar glousser à tel point que son menton, trop fragile, s'effilocheen lambeaux de brume autour du pommeau de douche.
- Ca va ? Pas trop dur ? demande-t-il.
Je soupire, je me redresse et lorgne le peignoir suspendu à son patère.

- N'y songez même pas, grogne l'Imago en suivant la direction de mon regard. Je me gèle, on reste là.
J'acquiesce. La langueur me tient lieu de dignité. Je renonce à prendre la pose et croise ostensiblement les mains derrière la nuque en ignorant le petit ricanement qui déforme la gueule de la créature. L'Imago oscille dans l'air chaud et, du bout de l'index, convoque le contrat dans un nuage poudré. Des pages iridescentes se dévoilent dans la pénombre et palpitent sous une brise invisible.

- Alors ? dit-il en faisant défiler les pages avec de brefs grognements.

- Alors quoi ?

- Content ?

- Oui... enfin, je crois.
L'Imago lâche un soupir circonspect.

- Il vous en faut peu, monsieur. J'ai trouvé votre prestation... guindée.

- Guindée !?
Son doigt s'arrête sur un paragraphe.

- Article « double bémol en vieux rose velouté », énonce-t-il d'une voix gourmande. Monsieur , encore une fois, vous n'avez pas lu attentivement le contrat.

- Je te faisais confiance...

Nouveau gloussement. Il glisse jusqu'à mon visage et plaque la page contre ma peau comme un masque d'argile.

- J'hydrate votre conscience professionnelle, souffle-t-il alors que je sens la page se durcir et me tirailler les joues.

En séchant, l'article en question se murmure à mon cerveau.

- Vous voyez, monsieur ?

- Non, avoué-je. C'est du charabia.

-Il faut se vendre, monsieur ! En faire des tonnes ! Valoriser votre travail !

-De quoi tu parles ?
Un sifflement irrité s'échappe de ses lèvres floues comme les éructations d'une locomotive.

- Je suis votre agent, ne l'oubliez pas. Et je bosse au pourcentage, merde !
Sur ma peau, le masque se fendille.

- Ras le bol des auteurs qui doutent, grommelle-t-il. Ca fait des manières, ça tourne autour du pot, ça caquette sur l'art, sur l'imaginaire. Y'en a marre ! J'ai une famille, moi. Si vous ne vendez pas vos bouquins, vous n'écrirez plus. Et si vous n'écrivez plus, je vais finir dans un guide touristique ! Ou pire, dans une brochure pour un resto' de sushis, moi ! Trente ans de métier pour finir, au mieux, sur un papier glacé entre des makis et des yakitoris bœuf-fromage ? Non, monsieur !

- Ce n'était pas une opération promotionnelle, rétorqué-je avec force. Juste une discussion ouverte, un truc simple. Des confidences....

L'Imago ferme les yeux d'un air ulcéré.

- Et blablabla... Vous avez vu les critiques ? Certaines sont féroces. Et votre amour-propre, alors ?
J'arrive à sourire :

- Tu aimerais que je... plaise à tout le monde, c'est ça ? Cela n'a pas de sens.

- Vous pouviez m'écrire une décalogie sur le Soupir ! Enfin merde, vous pouviez délier, prendre votre temps. Je n'invente rien, c'est vous qui le dites. Rendre l'imaginaire perceptible. Accompagner le lecteur par la main. Si, si, j'ai lu ça déjà.... Faites attention, monsieur, franchement, faites attention. Si vous continuez comme ça, vous allez perdre votre lectorat.
- Calme-toi. Je n'ai pas l'intention de brouiller les pistes et d'écrire des trucs pour moi.

L'Imago marmonne et, d'une main féroce, arrache le masque de mon visage. C'est vrai, oui : je couine. Ce double bémol en vieux rose velouté parle de compromission, de petits arrangements avec l'imaginaire sous prétexte qu'un livre devrait être déguisé pour mieux se vendre. J'ai la peau à vif et l'esprit vide.




- Je ne sais pas très bien ce qu'on va faire de vous, monsieur, finit-il par lâcher d'une voix maussade.

L'eau du bain rosit et se refroidit.

- Monsieur, déclare l'Imago d'une voix un brin sentencieuse, je suis obligé de vous donner un gage, dit-il. Pour le principe.

-Vas-y. J'ai la conscience tranquille de toute façon. J'ai trouvé ce « Mois de » passionnant, troublant même.

-N'essayez pas de m'attendrir.

Sous l'eau froide, je perçois distinctement la plainte de la page condamnée. Un son aiguë et dissonant comme si des sirènes en goguette hurlaient dans le micro d'un karaoké.


- J'hésite, dit-il avec une moue étudiée. Je me souviens du « tome un » de vos conversations, j'envisage un pèlerinage au M&M's World sur Time Square... Ou la rédaction d'un article pour la convention de Genève sur la protection des « Hari Croco » de couleur vert.  
-C'est de la torture !

-Taisez-vous, je n'arrive pas à réfléchir. Bon... je vais être magnanime. Je voudrais un mot sur cette expérience. Pour ceux qui ont eu l'amabilité de participer et surtout ceux qui n'ont pas aimé vos bouquins. Ce sont eux qu'on doit convaincre de vous lire lorsque vous publierez votre prochain roman. Pensez à moi, monsieur. A mes enfants. Mon aîné a déjà été condamné à un flyer pour une pizzeria. Je vous en conjure, soyez séduisant !

-Séduisant ? Mais je m'en fous de séduire. J'écris, c'est tout.
L'Imago lève les yeux au plafond et me gratifie d'un clin d'oeil avant de disparaître. Un frisson glacé me parcourt la colonne vertébrale. Je m'extrais de la baignoire et me blottis dans un peignoir pour rejoindre mon bureau.  L'écran de l'ordinateur s'allume.  Fébrile, je me penche sur le clavier pour écrire :

Merci à tous, vraiment. A Dup etPhooka, bien sûr, pour avoir initié et orchestré cette rencontreet à celles et ceux qui ont joué le jeu pour le meilleur commepour le pire. Je me suis livré du mieux possible et, croyez moi,l'exercice n'était pas aussi simple qu'il n'y paraît. Avant tout, je retiens votre curiositéet votre appétit de lecture. Ne changez rien. Mars s'annonce. Vite, je disparais :Nicolas Sker vous attend ! Sincèrement. Mathieu G.




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