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CONTE DE NOËL, d'après Maupassant

Publié le 01 mars 2012 par Dubruel

6566023823_62e7af9a14.jpgJ’ai vu un miracle ! Je l’ai vu.

Vu,

De mes propres yeux, vu

Ce qui s’appelle vu.

Je crois

À la foi.

Je sais qu’elle transporte les montagnes.

J’étais alors médecin de campagne.

L’hiver fut terrible cette année-là.

La blanche descente des flocons commença

Une semaine avant Noël.

En une nuit,

Toute la plaine fut ensevelie.

Un matin, le père Tubœuf

Trouva sur la neige un œuf.

Ille porta à sa femme.

-Tiens, v’là un œuf que j’ai trouvé indemne !

La femme l’examina d’un œil méfiant.

-Un œuf ? Par ces temps ?

-Qué que tu veux qu’y ait ?

-J’sais ti mé ?

Elle se mit à le manger en hésitant,

Le goûtant,

Le laissant,

Le reprenant.

-Eh bien ! Qué goût qu’il a ?

Elle ne répondit pas

Et acheva de l’avaler ;

Soudain, sur son homme elle planta

Des yeux hagards, affolés ;

Elle leva les bras,

Les tordit,

Et poussa d’horribles cris.

Toute la nuit

Elle se débattit

En des spasmes effrayants,

Secouée de tremblements

Épouvantables

Et déformée par de hideuses convulsions.

Elle hurlait d’une voix infatigable.

Les voisins n’osaient pénétrer dans la maison.

Convulsée de la tête aux pieds,

Le père Tubœuf fut obligé de la lier.

Elle était folle. Il me fit venir.

J’ordonnai des médicaments sans obtenir

La moindre guérison.

Alors avec une incroyable rapidité

La nouvelle se répandit de maison en maison :

-La mère Tubœuf qu’est possédée !

Le curé du village fut prévenu.

Il accourut,

Étendit les mains,

Tenta d’exorciser.

L’esprit ne fut point chassé.

La Noël était pour le lendemain

Quand le prêtre vint me dire :

-J’ai envie de la faire venir

À l’office de cette nuit.

Espérons que le Seigneur

Fasse un miracle en sa faveur.

-Si l’esprit agit lors de la cérémonie,

Elle peut être sauvée sans autre remède.

Je vous promets mon aide.

au soir, je me rendis chez Tubœuf.

On la vêtit d’habits neufs

Et à quatre, à l’église on l’emporta.

On la fit entrer au Gloria.

Elle se débattit avec vigueur

En poussant d’aiguës clameurs.

On la fit asseoir.

Le prêtre prit l’ostensoir,

S’avança de quelques pas,

L’éleva et le présenta

Aux regards effarés de la démoniaque.

Elle contemplait l’ostensoir fixement,

Toujours secouée de tremblements.

Puis tout à trac,

Les yeux fixés sur l’hostie,

Elle cessa de gémir. Son corps raidi

S’amollissait,

S’affaissait.

L’assistance se prosternait,

Se signait.

La possédée maintenant s’était tue.

Soudain je m’aperçus

Que ses yeux demeuraient fermés.

Elle dormait,

Hypnotisée, pardon !,

Vaincue par la contemplation

Et terrassée par le Christ victorieux.

On était tous bouleversés mais heureux.

On l’emporta chez elle,

Pendant que le curé remontait vers l’autel.

Elle dormit quarante heures d’affilée

Et ne se souvint pas d’avoir été possédée.

Jérôme ANÇAIS

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 Le moyen de voir par la foi, c’est de fermer les yeux à la raison.

B. Franklin

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