Magazine Culture

NUIT DE NOËL, d'après Maupassant

Publié le 02 mars 2012 par Dubruel


4355277157_98b42724de.jpg
Le réveillon ! le réveillon !

Ah ! je ne réveillonnerai pas, non.

Il y a deux ans, le 24 décembre,

Nous raconte Henri Delambre,

Je décidais de sortir

Rôder dans les lieux de plaisir.

J’ai un faible pour les femmes nourries.

Plus elles sont en chair,

Plus je les préfère.

Elles ne manquent pas à Paris.

Soudain, rue du Vieux Carré,

J’aperçus un profil à mon gré :

Par-devant deux bosses avenantes,

La poitrine et une masse

En-dessous surprenante,

Un ventre d’oie grasse.

En arrivant chez moi, elle dit :

-Ah ! on est bien ici.

Elle ôta son manteau,

Son chapeau,

S’assit et se mit à manger.

Mais elle me parut fatiguée.

Une heure plus tard, on se mit au lit.

J’entendis un profond gémissement,

Comme si elle souffrait horriblement.

-Qu’as-tu, chérie ?

Est-ce que tu te trouves indisposée ?

Elle jeta un cri déchirant.

Son visage était décomposé.

Je demandai, insistant :

-Mais qu’as-tu ?

Dis-moi, qu’as-tu ?

Où souffres-tu ?

Dis-moi, où souffres-tu ?

-Oh ! mon ventre !

Mon ventre !

Je relevai le drap et je vis…

Qu’elle accouchait, mes amis !

-Au secours,

Au secours !

Des hommes masqués,

Des femmes décolletées,

Des Turcs, des Pierrots,

Des mousquetaires, des dominos

Se précipitaient. Un capucin

Se prétendant médecin

Voulut aider la nature.

Quelle aventure !

On était gris comme des ânes.

Quatre débardeurs achevaient mon champagne.

Une laitière me présentant

Un morceau de chair plissée, geignant,

Miaulant comme un chat

Me dit : -C’est un gars !

Monsieur, votre femme…

Je l’interrompis : -Ce n’est pas ma femme.

Que devais-je faire ?

Envoyer à l’hôpital cette pauvre mère ?

Je ne suis pas un manant.

Je la gardai.

Elle restait

Six semaines dans mon appartement.

L’enfant,

Je l’envoyai à Poissy chez des paysans.

Plus tard, il me croira son père !

Pour comble de malheur, la mère,

Cette gueuse, a mal tourné ;

Elle est devenue décharnée.

Je l’ai flanqué dehors.

Mais maintenant quand je sors

Elle m’arrête,

Me baise la main,

Me parle de son gamin.

Bref, sans cesse elle m’embête.

Voilà pourquoi, plus jamais

Je ne réveillonnerai.

Isidore ISSY

---------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

Bâtard est souvent meilleur fils que l’enfant légitime.

Euripide

---------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------


Retour à La Une de Logo Paperblog

A propos de l’auteur


Dubruel 73 partages Voir son profil
Voir son blog

l'auteur n'a pas encore renseigné son compte l'auteur n'a pas encore renseigné son compte

Dossier Paperblog

Magazine