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La brique et l’encre, procréer et créer

Publié le 03 mars 2012 par Marc Lenot

La brique rouge en poussière, un sol ruiné, des murs tachés, des traces de sang, de sanguine, comme un cachot d’où on n’aurait pu s’échapper, comme un rituel entre vie et mort, entre désespoir et désir de fertilité.

L’encre aussi un sang, noir dont les gouttes tombent interminablement, éclaboussant, inventant des formes énigmatiques que seul un poète saura élucider, poète aux chapeaux melons plombés d’encre, jetés l’un après l’autre au sol comme autant de feuilles blanches raturées, infertiles, chapeaux stériles à la soie blanche souillée, d’où l’encre ne s’écoule plus, quand la plume ne sait plus écrire, cependant que les iris noirs du hasard se retrouvent accrochés, tondi dérisoires, témoins d’impuissance.

La brique et l’encre, procréer et créer
Une brique avec laquelle on ne sait plus bâtir, mais seulement maculer, une encre avec laquelle on ne sait plus écrire, mais seulement lester : les deux principales* installations géantes de Latifa Echakhch chez Kamel Mennour (jusqu’au 10 mars) sont tragiques et incontournables, on ne sait comment leur échapper. Dans TKAF (le mauvais œil dans un dialecte berbère), Latifa Echakhch s’inspire d’un rituel de fertilité dans un mausolée de marabout marocain, brisant les briques sur le sol de la galerie et marquant ses murs de l’empreinte de ses mains rougies, à l’aune de son corps. Plus qu’une parenté minimaliste (quiconque aligne des briques au sol n’est pas Carl Andre André), j’y vois plutôt un lien avec des artistes chamanes, Beuys peut-être, mais surtout des magiciens du monde, Ana Mendieta ou Pascale Marthine Tayou, avec cette proximité enfouie au fond de nous avec une nature sauvage, avec des rapports au monde aussi vieux que l’humanité.

La brique et l’encre, procréer et créer
Si TKAF est le versant marocain du travail de Latifa Echakhch, Tambours et Mer d’encre serait-il son versant germanopratin ? Il est question ici de poésie, d’écriture et de surréalisme, de création et d’incapacité à créer (après l’incapacité à procréer), et tout y semble plus élégant, plus policé, plus sobre. Ou en tout cas la violence y est plus intériorisée, la rage plus contenue. C’est dans la contemplation de ces toiles rondes d’abord horizontales sur lesquelles, pendant des heures, ont été projetées des gouttes d’encre, dans l’infinie brutalité de ces gouttelettes de torture, dans la translation radicale de ces réceptacles horizontaux ensuite exposés, mis au mur, c’est là que plus subtilement se fait jour, non point tant ses filiations que son originalité radicale, hybride, magique.

* On n’en dira pas autant de la tunique au jasmin, un peu trop anecdotique en ces temps de printemps arabe, ni des miroirs à demi voilés dans l’autre espace de la galerie.

Photos : 1. Latifa Echakhch, Tkaf, 2011, Installation in situ : Briques et pigment, Dimensions variables.
2. Latifa Echakhch, idem, plus Mer d'encre, 2012, Installation au sol. Chapeaux melon, résine et encre. Dimensions variables. & Tambour 11', 2012, Encre indienne noire sur toile. 173 cm de diamètre.
Vues de l'exposition "Tkaf", kamel mennour, Paris, 2012. © Latifa Echakhch Photo. Fabrice Seixas. Courtesy the artist and kamel mennour, Paris


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