L'un des (multiples) défauts sur lequel je travaille très fort est ma naturelle et génétique impatience.
À bien des endroits, cette impatience a été le plus grand des services à rendre à mon employeur. Le sentiment d'urgence m'a rendu très efficace. Mais d'une autre côté, ces mêmes employeurs ont bouffé du Jones au cours des années lui en demandant toujours plus et plus et plus et plus et plus encore.
Me menant, hors d'haleine, la langue à terre, k.o mentalement et physiquement.
Je livre une guerre tranquille à la vitesse depuis quelques années. J'essaie de devenir haitien. Je me rend compte que les fondements de cet hantise de la vitesse remonte à il y a longtemps.
1982 ou 1983. La mère d'un ami de l'école primaire, une femme que nous avions vue peu de temps auparavant en temps que parent-accompagnateur lors d'une visite scolaire au musée, était soudainement décédée. Pierre-Luc Ouellet attendait sur la rue, à l'entrée de la cour scolaire, afin de parler le premier au plus grand nombre d'élèves possible et annoncer la triste nouvelle du décès soudain de la mère de notre collègue, Tremblay. Quand mon père m'avait laissé à la porte de l'école comme il le faisait tous les matins et Ouellet m'était aussitôt tombé dessus pour m'anoncer la "nouvelle" j'étais sous le choc pour Tremblay.
Après le choc naturel de digérer l'annonce, perdre un être si important si jeune, mon désarroi s'était concentré sur Ouellet qui courait comme une poule sans tête pour annoncer à tout ce qui avait des oreilles la triste nouvelle. Je ne le rationalisais pas aussi clairement à l'époque parce que je n'avais que 10 ou 11 ans mais son comportement frisait l'indécence. Je me souviens que je le méprisais et que je souhaitais qu'il ferme sa gueule. Bien entendu Tremblay ne serait pas à l'école pour un certain temps mais Ouellet, par la suite, je lui avais demandé ce que ça lui rapportais de...rapporter ainsi avec autant d'empressement. Il m'avait répondu avec agacement "Aaaah...Jones...J'ai ben le droit...".
Tout comme j'avais le droit de le mépriser.
Avec le temps, ce type d'écoeurite s'est glissée dans la livraison de l'information par les différents médias. Aupravant, nous n'avions pas tant de sources à laquelle s'abreuver afin de s'informer. Nous n'avions pas l'internet pour nous sauver la peau du cul quand on avait besoin de savoir quelque chose. Nous n'avions certainement pas de chaines de nouvelles continues à la télé. Les nouvelles s'étaient aux heures des repas. Et même pas au déjeuner. L'actualité du déjeuner c'était le journal. Tout juste avant le dodo, on nous faisait, comme on le fait encore, un rappel des nouvelles de 18h00 avec quelques fois un, deux, trois reportages supplémentaires sur l'activité post-heure du souper ou sur celle du lendemain.
Avec la multiplication des sources d'informations, la compétition s'est installée entre médias et elle devient grotesque dans la rapidité de la livraison de la nouvelle. Souvent érronée. On a tué quelques noms connus sous prétexte qu'on seraient les premiers à vous en informer. Seraient-ils moins morts le lendemain? non. Surtout pas eux qu'on a tué avant l'heure. Encore récemment, je voyais un poste de télé convergent mettre en promotion "vous en avez été avisés 30 minutes avant les autres..."
Ah bon.
Vous vous sentez plus cools de l'avoir su avant les autres?
Cette même station de télé, moins intelligente que les autres, fait la promotion de sa station en disant: "notre station/émission a été mentionnée plus de 15 000 fois sur Twitter"...
Est-ce vraiment une valeur ajoutée? Chaque fois je me suis dit "Moi si j'en parlais sur le net, je n'en dirais pas nécessairement du bien". Mais l'information de la station n'est pas complètement fausse. Je l'aurais mentionnée leur station. En mettant les qualificatifs "moches", "conformistes" et "paresseuses" probablement.
Ceux qui me connaissent savent que ma haine de Twitter y trouve son origine.
Dans cette envie d'aller plus vite tout le temps.
Plus vite à la nouvelle, plus vite au travail, plus vite dans le mur.
A-t-on besoin d'avoir tout ça si vite?
Comment compte-t-on gérer l'impatience dans le futur face à ses gens pour qui attendre deviendra de moins en moins supportable? Et les erreurs, humaines et normales, sont véhiculées aussi rapidement que les bons coups.
Le soir des oscars, Marie-Andrée Poulin, généralement affectée à la météo est improvisée à la couverture des oscars. Elle annonce à moi, qui n'a rien vu encore, "...The Artist a remporté 3 oscars et Hugo 5, dont celui de la meilleure réalisation..."
Je me couche en me disant "Ah Scorcese gagne encore, il a toujours la côte le vieux Marty".
WRONG.
C'est Michel Hazanavicius, le français derrière le film The Artist, qui a remporté l'oscar de la meilleure réalisation. Je l'ai appris deux jours plus tard par hasard. Moi qui avait eu le temps de véhiculer à deux personnes que c'était Scorcese qui avait gagné. En fouillant je me suis rendu compte que la Poulin avait probablement confondu Best Cinematography avec Best Director. Erreur de traduction de la part de la miss météo. Mais peut-on lui en vouloir d'avoir été lancée dans les eaux encore actives par ses patrons?
Pourquoi ne pas avoir attendu au lendemain avant de faire un résumé plus précis de cette soirée qui se terminait autour de minuit? rigueur, rigueur, rigueur. Peu de temps après, sur la même station, on était si préssé d'enterrer Jean Béliveau qui venait de subir un nouvel AVC, ça en devenait indécent.
Mais le summum de l'impatience c'est lundi dernier de la date limite des transactions dans la LNH où au minimum trois stations de sports et surement quelques postes de radios, ATTENDENT LA NOUVELLE d'un échange.
Un soir d'élection c'est normal, la présence de ses gens qui attendent à la télé est un rappel de notre devoir de citoyen d'aller voter. Mais suivre des échanges potentiels entre clubs de la ligue nationale de hockey? C'était 6 à 7 heures de télé que ses gens offraient à attendre qu'il se passe quelque chose et SURTOUT qu'ils soient les premiers à en parler. Il s'en brasse du n'importe quoi ce jour-là, croyez-moi.
Christ les boys, demain tout le monde sera dans son nouveau club.
Le reste, ce lundi-là, c'est de la non-télé. Du corridor mis en images et en son.
De l'impatience.
De la compétition entre stations.
On ne devrait plus jamais être si préssé.
Mon père était l'homme le plus impatient du globe terrestre.
Il est mort à 62 ans en plein élan entre un match de volleyball et un match de hockey.
Il était impatient de se rendre ailleurs. Hypercatif.
Il était préssé de se rendre en haut avant tout le monde.
Il s'est rendu.
Je ne suis pas préssé.
Lever le pied.
Lever le pied.