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LE REMPLAÇANT, d'après Maupassant

Publié le 04 mars 2012 par Dubruel

-Madame Bondroi ?

-Oui, Mme Bondroi.

-Pas possible ! Mme Bondroi ?

-Je vous le dis ; Mme Bondroi.

-La vieille dame à bonnets de dentelle,

La dévote, la sainte, la fidèle

Madame Bondroi !

-Elle-même. Du temps de M. Bondroi,

L’ancien notaire,

Mme Bondroi utilisait, dit-on, les clercs

Pour son service particulier.

C’est une de ces bourgeoises à vices secrets

Et à principes inflexibles,

Indéfectibles.

Elle aime les hommes, quoi de plus naturel ?

N’aimons-nous pas les belles demoiselles ?

Voici donc l’aventure invraisemblable

Que m’a raconté mon ami Pierre Monable,

Capitaine des dragons :

-L’autre matin en arrivant à la garnison,

Il apprit

Que deux hommes de sa compagnie

Venaient de se flanquer

Une abominable tripotée.

Ils s’étaient battus pour Mme Bondroi.

-Quoi ?

-Oui, mon ami !

Et voilà ce que lui a dit

Le brigadier Rubaine.

-Mon cap’taine,

Y a z’environ dix-huit mois,

Je me promenais avenue du Bois

Quand m’aborda une particulière :

-Voulez-vous beau militaire

Gagner dix francs

Par semaine, honnêtement ?

Elle me dit :

-Venez me trouver demain à midi.

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Je suis Mme Bondroi,

6 rue Jouffroy.

-Je n’y manquerai pas.

Puis elle me quitta

D’un air content

En ajoutant :

-Je vous remercie

-C’est moi qui vous remercie.

Ça ne lassa pas d’me taquiner

Jusqu’à la matinée

Du lendemain.

À midi, je sonnais chez elle.

-Dépêchons-nous, dit-elle

Parce que ma bonne pourrait revenir.

-Qu’est-ce que j’dois accomplir ?

Alors elle se mit à rire et riposta :

-Tu ne comprends pas ?

Elle vint s’asseoir tout près de moi, là.

-Ne répète pas un mot de tout ça.

Si tu ne jures pas que tu seras muet,

Je te ferai mettre en prison, mon minet.

Je lui jurai ce qu’ell’voulut,

Mais j’y étais plus.

Pi v’là qu’ell’m’embrasse

Et qu’ell’ m’jette à la face :

-Tu veux bien ?

Ell’se fit alors comprendre ouvertement.

Quand j’vis de quoi i’ s’agissait vraiment,

J’lui montrai qu’dans l’armée

On n’recule jamais.

Ce n’était pas, malheur !,

Qu’ça m’tentait

Car la particulière n’était

Pas dans la primeur.

Mais faut pas s’montrer regardant,

Vu qu’il se fait rare l’argent.

Corvée achevée, ell’ aurait bien voulu

M’garder un peu plus.

Alors j’lui dis :

-Un p’tit verre, ça coûte deux sous,

Deux p’tits verres, ça coûte quatre sous.

Ell’comprit

Et m’donna un billet de dix francs.

Voilà deux ans qu’ça dure, mon cap’taine.

J’y va chaque semaine.

Or mardi dernier, j’me trouvai indisposé.

Pas moyen de m’ déplacer.

J’me mangeais les sangs,

Par rapport aux dix francs

Dont j’me trouve accoutumé.

Si personne y va, j’suis rasé.

Qu’ell’prendra un artilleur. Vrai,

Ça m’révolutionnait.

J’appelle Balonne que nous sommes pays

Et je lui dis :

-Y aura cent sous pour toi,

Cent sous pour moi.

Y consent, et le v’là parti.

Y frappe ; elle l’introduit.

Ell’l’y regarde pas,

S’aperçoit point qu’c’est pas l’même.

Un soldat et un soldat,

Quand ils ont l’casque, c’est idem.

Soudain, ell’découvre la transformation.

Consternation !

-Qui êtes vous ?

Que voulez-vous ?

Balonne démontre que j’suis indisposé,

Expose que j’l’ai adressé

Pour remplaçant.

Ell’ l’accepte vu que Balonne

N’est pas mal de sa personne.

Mais quand c’t animal fut revenu

A la caserne, il voulait plus

Me donner mes sous.

Alors j’y dis, j’avoue :

-T’es pas délicat pour un dragon.

Que tu déconsidères not’ garnison.

-C’te corvée-là,

Ça valait ça.

Chacun son jugement, pas vrai ?

J’y ai mis mon poing dans l’nez,

Saperlipopette !

Vous avez, cap’taine, connaissance du reste.

-Mais cela s’est arrangé comment donc ?

-La mère Bondroi garda ses deux dragons.

 

 

Bienvenu ATOI


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