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Carte blanche à Claude Guerre : Jacques Darras, le décathlonien de la poésie française

Par Florence Trocmé

Jacques Darras, le décathlonien de la poésie française 
Conférence dans le cycle « Figures d’humanité » 
Sous le titre "Réflexions sur un silex taillé. La poésie et le Temps" 
 

Nous invitons Jacques Darras à nous donner, à son tour, en conférence, sa pensée à propos de la maintenant fameuse phrase de Jaurès : « L’humanité n’existe point encore ou elle existe à peine ».
C’est un homme des lumières que nous recevrons le 10 mars, nourri de critique et d’espérance, débatteur impitoyable et militant de l’humain, poète-diseur au large visage. Sans doute le Whitman moderne européen. 
 
le samedi 10 mars à 16 heures 
à la Maison de la Poésie 
 
1- Jacques Darras puise son écriture au pays de la Maye, court fleuve de Picardie qui, à Rue, court se jeter dans la mer du Nord. Ce territoire d’arbres battus par les vents, de plages de sable qui s’allongent jusqu’à l’Angleterre, croit-on, quand la mer se retire, ce paysage de labour où les maisons s’appellent longères, ce pays d’histoire tourmentée, inspire à Jacques Darras son vœu d’être un homme parmi les hommes, établissant sa poésie et sa raison au cœur de leurs disputes et combats. Le pauvre pays de la Maye invite alors l’universel langage des hommes à l’enrichissement. Jacques Darras agrandit sans cesse son territoire. Il invente le Nord, contre la réification folklorique Chti. Il dit « moi j’aime la Belgique » ce pays laboratoire des langues opposée, pays à taille humaine cependant, dont il dit plus loin : « ce qui est bien avec la Belgique, c’est qu’on peut en sortir ». 
 
2- Son écriture allonge le pas, elle agit :  
«  Poème parlé marché ». La poésie est un engagement. Contrat à la main avec ses lecteurs, la poésie doit nous apprendre. Elle réfléchit – « la Maye réfléchit ». La poésie dispute. La poésie n’obéit pas. La poésie invente le monde, elle prend ses responsabilités aujourd’hui comme hier. Reflet, représentation, cartographie d’émotions, sonorités du chant profond de la langue, laboratoire linguistique, tentative perpétuelle d’accéder à l’inouï, tentation de beauté, art par excellence depuis Orphée et jamais démentie, la poésie occupe sa place dans la vie des humains, dans tous les pays et dans toutes leurs heures. Et dans La Maye, de Jacques Darras, en 8 volumes, aux éditions Le Cri et Gallimard.  
 
3- La poésie de Jacques Darras mène sa course de fond dans la route lyrique. Une poésie qui ne se dissimule pas en prose. Une poésie qui ne se contente pas de dresser des listes. Une poésie qui ne ricane pas. Une poésie qui ne refuse pas le travail harassant de la création dans l’héritage. Et qui se saisit de la prose, du document, de la sonorité, de l’ironie pour créer une valeur ajoutée à la langue. Elle œuvre artisanalement au jour le jour. Elle compose comme en musique. Elle construit avec les matériaux de la métaphore, du vers, de l’alternance avec la prose, de la critique et de la connaissance, dans le grand art de la « common decency ». Un arpenteur de l’univers historique, un penseur de la poésie, un original, un critique en poésie, un intarissable combattant des mots, un grand poète, Jacques Darras, oui. 
 
4- La poésie de Jacques Darras est lyrique,  mais elle romance aussi. Je veux dire qu’elle ne refuse pas le combat fraternel avec les romanciers, qu’elle renoue avec le roman parlé chanté si ancien dans notre littérature, et qui fut même à l’origine, l’a-t-on oublié, du roman, précisément. Ainsi Jacques Darras mène sa plume contre la marginalisation de la poésie. Combat titanesque, on le voit d’un seul coup d’œil aux tables des libraires.  
 
5- La poésie de Jacques Darras élucide. Elle compare, elle travaille la polysémie, elle construit, elle bataille. Elle ne contemple pas le monde en silence, elle mène le combat dans les territoires chauds : pensez à lire « La reconquête du tombeau d'Émile Verhaeren », poème-essai, où, sur le fleuve Escaut, l’auteur part à l’assaut du tombeau d’Émile Verhaeren, avec sa troupe, dans un Zodiac de fortune. D’où l’histoire contée du poète flamand qui écrivait en français, Émile Verhaeren, poète socialiste récupéré en poète national. Un poème d’action par Jacques Darras qui nous fait traverser, par canaux et fleuve, le plat-pays en tempête, et connaître le passé colonial de la Belgique. 
 
6- Comme on voit, la poésie de Jacques Darras polémique. Elle ne se fait pas bien aux attendus et convenances. Elle prend parti, elle guerroie, elle est une arme dans un poing. « Nous ne sommes point faits pour la mort », « Nous sommes tous des romantiques allemands »,  
« Les Îles gardent l’horizon », « Progressive transformation du paysage français par la poésie », « Gracchus Babeuf et Jean Calvin font rentrer la poésie avec l’Histoire dans la ville de Noyon » poèmes et essais combattants par un gouverneur de la rosée au pouvoir éphémère de la république métaphorique, dont on sait qu’elle est la seule à n’avoir pratiqué ni l’esclavage, ni l’exercice de la police et de la torture, ni la violence d’état… Immense tâche que celle du poète qui prétend pour la poésie à une place dans la controverse, et une obligation à l’élaboration des grandes idées de son époque. 
 
7- La poésie de Jacques Darras défend les autres arts. La peinture, sans cesse, à tous les siècles et dans tous les pays. Vous l’écouterez chanter les peintres flamands, « Van Eyck et les rivières », mais vous saurez aussi que son poème le plus célèbre et qu’on apprend par cœur dans les écoles, le poème à Tinguely dédié, prend le sculpteur aux mots et compose un hymne sonore à l’œuvre mécaniste et cinétique de l’artiste suisse. Mais Jacques Darras se veut peintre lui-même : « Ma préoccupation est de peindre l'homme... (mais) en réalité, ce que j'aime peindre, ce sont des idées. »  
 
8- L’œuvre de Jacques Darras se chante et se dit haut et fort. Lui-même ne se prive jamais de répondre aux invitations à jeter ses mots et ses vers aux yeux et aux oreilles des auditeurs spectateurs. Et Son compère du Nord, ami de longue date, Jacques Bonnaffé, a commis en sa compagnie le plus beau spectacle qui soit dans la langue darrassienne, « Les deux Jacques », qui triompha au Théâtre de la Bastille et sur les scènes de France. Par là, Jacques Darras connaît les exigences du spectacle de poésie, acte d’art et d’intelligence en direction du grand public, capacité nouvelle que notre époque inventa d’un « théâtre de poésie ». Il faut du souffle, du rythme, de l’effort, et le répéter tous les jours. 
 
9- Jacques Darras agit également en politique poétique. Il participe en poète à de nombreux Conseils d’Administration, celui de la Maison de la Poésie ou celui du Marché de la Poésie. Il prend ses responsabilités citoyennes et les assume quel qu’en soit le prix. Par là il continue sa longue pratique d’enseignement et de gouvernance à l’Université d’Amiens dont il fut le Doyen. Il mène un travail herculéen d’édition de revue, dont la toute jeune dernière-née « Inuit dans la jungle ». 
 
10- On sait que Jacques Darras traduit de l’Anglais et de l’Américain. Mais sait-on qu’il est, parmi les grands poètes traducteurs, celui à qui l’on confie les missions impossibles telle la traduction de William Blake aujourd’hui, celle de Whitman, hier. Et l’on connaîtra un jour qu’il a introduit en France Tony Harrison. Qu’il a donné à lire en français Ted Hugues, Heaney, Ginsberg, Malcolm Lowry, Ezra Pound, Samuel Taylor Coleridge et autres Bunting, Hill, Mac Diarmid, Ginsberg, Ferlinghetti. Qu’il traduit en ce moment pour la Pléiade américaine William Carlos Williams… L’impossible translation de la langue de Shakespeare décasyllabique en vers français ne le rebute pas, et au jour le jour, il continue d’aider au passage de celle-ci par-dessus le Channel et l’Atlantique, et de contredire l’anti-américanisme basique ignare imbécile.  
 
Ainsi Jacques Darras pratique l’art d’être présent dans toutes les épreuves de la poésie. Il tient la longueur. Il a le souffle de l’ensemble. Il possède la foulée générale. Dans lui se compose l’unité de tous les contraires. Il compose pour nous la grande épopée qui rend à la poésie une présence indiscutable dans le monde. Le poète se lève tôt et débute ses « travaux et ses jours » aux premières lueurs où dorment encore vedettes et journalistes. Il mène parmi ses pairs, foulées et sauts, lancers, courses d’obstacles, sauts de rivière… sur les stades annexes tandis que sonnent ailleurs les trompettes des réputations, puis, le soir, dans les longues ombres couchées, tandis que le monde célèbrera ses libations dans les salons dorés, vous le trouverez courant dans l’amitié de l’effort la dernière épreuve. Jacques Darras est le décathlonien de la poésie française.  
 
[Claude Guerre] 
 
Conférence de Jacques Darras  
le 10 mars à 16 heures 
à la Maison de la Poésie 
réservations au 0144545300 


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