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Octobre noir

Publié le 07 mars 2012 par Litterature_blog

Octobre noir

Daeninckx et Mako © ad libris 2011

Pour ses copains, Vincent est chanteur dans un groupe de rock lycéen. Pour sa famille, Vincent reprend sa véritable identité, celle d’un jeune algérien prénommé Mohand. Pas simple pour lui de trouver sa place dans la France de 1961, au moment des « événements d’Algérie ». Le soir du 17 octobre, Vincent et son groupe doivent se produire au Golfe Drouot, dans un tremplin pouvant leur ouvrir les portes de l’Olympia. Mais à cette même date le FLN a décidé de mettre sur pied une grande manifestation pour protester contre le couvre-feu imposé aux algériens de la région parisienne par la préfecture de police. Partagé entre ses copains et l’envie de soutenir son peuple, Mohand prend le métro avec son père pour se rendre à la manif mais il s’éclipse discrètement avant le terminus pour filer au Golfe Drouot. En rentrant chez lui ce soir là il apprend que sa sœur Khelloudja, bravant l’interdiction paternelle, s’est jointe à la manifestation et est depuis introuvable…
Vingt-sept ans après la publication de son très beau roman Meurtres pour mémoire, Didier Daeninckx reprend la plume pour parler de la terrible soirée du 17 octobre 1961. Il assume son engagement pour l’indépendance et mâtine son propos de considérations sociales et politiques. Avant la manif, le lecteur découvre ainsi le triste quotidien des travailleurs algériens, leurs logements insalubres et leurs difficultés à joindre les deux bouts. La plongée au cœur du « plus grand massacre d’ouvriers, à Paris, depuis la répression de la Commune en 1871 » est elle aussi saisissante : un soir d’automne triste et humide, une pluie glaciale, ces hommes marchant gravement, sans cris, sans drapeaux et sans armes. Puis c’est la curée, les CRS sont lâchés : coups de feu, coups de matraque, coups de grâce infligés aux blessés, arrestations ultra-violente, la Seine qui se teinte du sang des victimes...
Vieux complice « BD » de Daeninckx depuis des années, Mako donne dans la sobriété. Son trait à l’encrage épais est réaliste et efficace. Avec ces grandes cases, ce découpage simple qui retrace fidèlement la chronologie des événements, ces couleurs forcément sombres, l’album est visuellement très réussi.
A travers le portrait de Khelloudja, le romancier rend hommage à Fatima Bédar, une jeune algérienne de 15 ans qui a absolument voulu manifester ce jour-là et dont le cadavre sera retrouvé le 31 octobre près du canal St Denis. Suicide, conclura la police. Une fois encore avec Daeninckx la petite histoire rejoint la grande. Et une fois encore, son évocation de la « Saint-Barthélemy musulmane » se révèle d’une rare puissance.
Octobre noir de Didier Daeninckx et Mako, éditions ad libris, 2011. 60 pages. 13, 05 euros.
Allez, un petit bonus puisque nous sommes en plein printemps des poètes, je vous offre le poème de Kateb Yacine qui conclut l’album :
« Peuple français, tu as tout vu
Oui, tout vu de tes propres yeux.
Tu as vu notre sang couler
Tu as vu la police
Assommer les manifestants
Et les jeter dans la Seine.
La Seine rougissante
N’a pas cessé les jours suivants
De vomir à la face
Du peuple de la Commune
Ces corps martyrisés
Qui rappelaient aux Parisiens
Leurs propres révolutions
Leur propre résistance.
Peuple français, tu as tout vu,
Oui, tout vu de tes propres yeux,
Et maintenant vas-tu parler ?
Et maintenant vas-tu te taire ? »

Octobre noir

Daeninckx et Mako © ad libris 2011


Une BD offerte par Valérie dans le cadre du loto de Mo’. Un grand merci à elles !
Octobre noir


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