La « personnalité » ou l’identité réelle du ou des individus qui se sont
attelés à la tâche d’écrire tel ou tel texte n’a que peu d’intérêt, et ce
même dans le cas où le livre contient des éléments autobiographiques. L’
autobiographie en effet, et ce même si elle est « vraie » au sens où elle
relate des événements qui se sont réellement déroulés, construit
nécessairement une image médiatisée de celui qui s’exprime. L’écrivain
pénètre dans le champ de son propre texte et par là même devient un objet
comme les autres de son écriture, laquelle doit en principe se suffire à
elle-même. Ce qui se fixerait pour but de dévoiler la « véritable »
personnalité de l’auteur n’aurait aucune raison d’en donner une description
plus juste ou plus véridique que ce que le texte lui-même en a dit : mais,
au contraire, coupée des buts premiers du texte d’origine, une telle
description ne pourrait qu’être inférieure, en qualité et en intérêt, à ce
qui pourrait se déduire de l’autobiographie elle-même.
Mais, évidemment, les choses n’en restent jamais là. L’idéologie de « l’
artiste » et de son « oeuvre », si prégnante actuellement, pousse le marché
de l’édition à promouvoir l’auteur en tant qu’auteur. De haut en bas de la
hiérarchie une telle logique est à l’oeuvre : ce qui fait que même les «
auteurs » inconnus se retrouvent pris au piège de ce fonctionnement stupide
mais universel dans le monde du capital. Quelle que soit la volonté de celui
qui écrit et de l’éditeur, le simple fait de publier transforme le
signataire en « auteur », avec tous les inconvénients que cette
transformation implique.
On dira, à raison, qu’il n’y a aucune obligation à publier quoi que ce soit
dans le circuit commercial. La brochure anonyme et gratuite ou le livre
auto-édité échappent largement à ces inconvénients, et trouvent, dans le
réseau des infokiosques, une possibilité de diffusion. Mais le problème de
la diffusion de la théorie ne peut se concevoir qu’à partir de l’analyse que
l’on fait du rôle de celle-ci. Les « idées » (du moins celles dont il est
question ici, et que nous pourrions qualifier, faute de mieux, « d’idées
critiques ») ne possèdent aucune force agissantes par elles-mêmes : elles ne
sont qu’adéquates à une situation et à un moment. Leur puissance est de
servir à exprimer la vérité d’une position dans un moment de la lutte. Mais
pour qu’elles puissent rencontrer la situation à laquelle elles peuvent être
adéquates, encore faut-il que ces idées soient diffusées relativement
largement, ce qui n’est possible actuellement que par le biais de la
distribution commerciale.
Ce qui vient d’être dit ne traduit aucune volonté de dicter à qui que ce
soit ce qu’il faut faire, penser ou dire : une lutte retrouve par elle-même
toutes les déterminations qui comptent pour elle et invente au moment où
elle agit les formes adéquates de son expression autonome. Ce qui peut
transiter par un circuit commercial, ce ne peut donc certainement pas être
une prescription quelconque. Mais s’il n’y a pas d’idée libératrice par
elle-même, il existe en revanche des conceptions inhibantes associées à des
dispositifs stérilisateurs. Si critiquer de telles conceptions ne revient
pas à détruire les dispositifs en question, du moins cette critique, par son
existence même, peut aider à secouer le joug du dispositif au moment crucial
où il faut savoir s’en débarrasser pour créer les formes positives de la
révolte.
Tel est le cas, par exemple, de la critique de la démocratie. Cette critique
ne doit pas disparaître du champ de la pensée en général, non parce qu’elle
pourrait par elle-même provoquer une remise en cause de la démocratie (cela
est faux et illusoire) mais plus simplement parce qu’on a pu constater
récemment combien, au moment d’agir, l’injonction démocratique de ne rien
faire joue pleinement son rôle. C’est à cet instant précis qu’il peut être
décisif de refuser de voir la démocratie comme un horizon indépassable, de
façon à ce qu’on ne s’oblige pas à renoncer à ce qu’on projetait de faire
avant même de l’avoir fait. C’est ici que se situe la motivation véritable
qui a présidé à l’écriture à la publication de Mort à la démocratie.
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de Léon de Mattis, l'auteur de "Mort à la démocratie" - le blog de l'auteur : http://www.leondemattis.net