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« Espionnage et renseignement » passés à la loupe

Publié le 09 mars 2012 par Savatier

« Espionnage et renseignement » passés à la loupeLes activités d’espionnage et de renseignement alimentent l’imaginaire collectif dans un jeu subtil de fascination/répulsion. En témoigne le succès populaire des romans et surtout des films (songeons à l'inoubliable série des Monocle de Georges Lautner) consacrés à ces domaines, mais aussi la méfiance que, depuis longtemps, ils inspirent. Peu nombreux sont en revanche ceux qui qualifieraient les structures étatiques de renseignement de « services publics ». Cependant, elles appartiennent bien à cette catégorie, au même titre que les réseaux de transport publics ou les services postaux. Cette précision est notamment apportée par François Heisbourg dans le très intéressant essai qu'il vient de publier, Espionnage et renseignement (Odile Jacob, 218 pages, 21,90 €).

Grand connaisseur de ces questions, l’auteur, après avoir clairement défini l’utilité des services de renseignement pour assurer la défense d’un pays, brosse un panorama historique de son sujet, articulé autour de la Seconde Guerre mondiale, puis de la Guerre froide. Considérant, avec lucidité, que la mondialisation et l’émergence des nouvelles technologies ont bouleversé le paysage du renseignement, il en décrit les évolutions et les pratiques. Celles-ci étant devenue de plus en plus intrusives et pouvant nuire aux libertés individuelles, François Heisburg aborde ensuite sans détour le statut qui devrait être celui du renseignement dans une démocratie avant de proposer un certain nombre de réformes plus spécifiquement liées à la situation française.

« Espionnage et renseignement » passés à la loupe
Parmi ces propositions, l’auteur évoque les questions de gouvernance, les éventuelles réorganisations des différents services et les financements nécessaires à leur bon fonctionnement. Une section intitulée « Le renseignement doit-il se mettre au service d’intérêts privés ? » aborde la question de l’intelligence économique, que François Heisbourg qualifie curieusement de « mode » et traite avec un certain mépris au point de la réduire à une simple activité de veille concurrentielle ou partenariale censée être déjà réalisée par les divisions du développement et du marketing des entreprises. Pour pratiquer l’intelligence économique depuis plus de vingt ans, j’avoue trouver cette vision particulièrement réductrice, voire caricaturale. Quant aux réticences qu’exprime l’auteur de voir les services de renseignement porter assistance aux entreprises (à l’exception, naturellement, du contre-espionnage industriel), elles sembleront un peu naïves lorsque l’on sait comment l’Intelligence Community américaine, par exemple, n’hésite pas à communiquer plus ou moins discrètement à ses industries un certain nombre d’informations stratégiques. A la fin des années 1990, le site Internet de la NSA incluait d’ailleurs une page assez surréaliste de « référence-clients » (disparue assez rapidement, comme on peut le comprendre) sur laquelle figuraient les noms de grandes entreprises américaines !

Bien plus intéressante est la section mettant l’accent sur les dangers évidents de l’externalisation du renseignement, en d’autres termes l’utilisation par les Etats de sous-traitants privés pour l’accomplissement de tâches jusqu’à présent régaliennes. Cette pratique, proche de l’engagement de mercenaires cher aux dictatures exotiques, tend en effet à se répandre pour des motivations diversement avouables. On sait, par exemple, le rôle que joue pour le gouvernement des Etats-Unis une entreprise comme Blackwater, notamment sur les théâtres d’opération. Déjà lorsqu’elles travaillent pour le secteur privé, trop de sociétés de sécurité et de renseignement (employant souvent d’anciens agents de l’Etat) s’affranchissent des règles éthiques et du cadre légal existants ; les scandales régulièrement dévoilés par la presse - dont certains, très récents - le prouvent. On imagine alors à quelles dérives elles pourraient être conduites si elles venaient à travailler pour un Etat…

« Espionnage et renseignement » passés à la loupe
L’ouvrage ne se limite naturellement pas au seul domaine français ; les services américains, russes, britanniques, allemands et israéliens font ainsi l’objet de développements dans lesquels leurs stratégies, pratiques et techniques sont décrites et analysées. Loin des livres exagérément critiques ou, au contraire, de propagande, Espionnage et renseignement aborde objectivement les problématiques liées à ce « monde de l’ombre » ; il ne fait aucunement l’impasse sur l’utilisation dévoyée que le pouvoir politique pourrait faire de ces services. Ainsi lit-on (p. 166) : « A ce risque constant de retour au sordide s’ajoute la crainte contemporaine et non spécifique à notre pays que les services ne soient à l’avant-garde d’un monde où régnerait Big Brother avec ses grandes oreilles et ses caméras de surveillance omniprésentes. » Page 174, l’auteur insiste encore sur la nécessité impérieuse pour notre pays de « ne pas transformer le service public du renseignement en service partisan de basse police » – des remarques fort pertinentes dans un contexte où, depuis quelques mois, les caméras de vidéosurveillances, qui nous avaient été « vendues » comme purs auxiliaires de sécurité, servent surtout, dans un nombre croissant de villes, à verbaliser les automobilistes dans un souci (non avoué, bien sûr) d’autofinancement.

Illustré d’anecdotes historiques et d’exemples concrets glorieux ou désastreux qui, sans être secrets, demeurent peu connus du public, cet essai satisfera les lecteurs désireux de faire le point sur un secteur d’activité encore trop méconnu, voire entaché, parfois non sans raison compte tenu de ses errements passés, d’une assez mauvaise réputation.

Illustrations : Affiche des films Le Monocle noir (1961) et L'Oeil du Monocle (1962), de Georges Lautner.


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