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Les saints patrons des métiers du cuir à Gordes (84)

Par Jean-Michel Mathonière

La jolie cité de Gordes, dans le Luberon (Vaucluse) abrite l'église Saint-Firmin, bâtie au XIIe siècle et reconstruite au milieu du XVIIIe siècle. Daniel Impératori n'a pas manqué d'y remarquer des éléments relatifs aux métiers.

Il s'agit d'abord d'un beau tableau daté de 1634, exposé dans la chapelle dédiée à saint Crépin, et représentant trois saints tenant leurs outils emblématiques. A gauche et à droite, les saints Crépin et Crépinien ont en main un couteau à pied et un tranchet ou une serpette, l'usure de la peinture ne permettant pas d'être plus affirmatif. Ce sont les saints patrons des cordonniers, métier qu'ils exercèrent avant d'être martyrisés à Soissons au IIIe siècle, selon la tradition. Ils sont fêtés le 25 octobre.

Les saints patrons des métiers du cuir à Gordes (84)

La main que l'on discerne au pied du saint à droite est peut-être une allusion à un épisode de leur martyre (on leur enfonça des roseaux pointus sous les ongles).

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Au centre se trouve saint Simon, l'apôtre, dit le Zélote ou le Cananéen, portant une grande scie. C'est son attribut habituel et l'on s'est toujours interrogé sur sa raison d'être, car ce saint n'est pas mort martyrisé par cet instrument mais a été crucifié. C'est Emile Mâle (dans L'Art religieux du XIIIe siècle en France) qui a remarqué que certaines œuvres le représentaient découpé par une scie alors que rien ne le justifie, et il en a conclu au cheminement suivant : saint Simon n'ayant pas d'attribut particulier, c'est seulement la première syllabe de son nom (Si, scie) qui conduisit les artistes et l'Eglise à lui faire porter une scie, l'outil agissant comme un moyen mnémotechnique. Ensuite seulement la légende de son pseudo-martyre avec une scie se serait élaborée, pour justifier la présence de cet attribut.

Saint Simon, qui est fêté le 28 octobre (trois jours après les patrons des cordonniers) est le protecteur des tanneurs et corroyeurs. La présence à ses pieds, à gauche, d'un couteau à dérayer ou couteau à revers le confirme. Ce couteau particulier, employé par les corroyeur pour égaliser le cuir, comporte un manche perpendiculaire et un manche parallèle aux lames. Ce témoignage est intéressant car il permet d'attester que cet outil était connu dès le premier tiers du XVIIe siècle, alors que certains auteurs prétendent qu'il n'a été introduit qu'au milieu du XVIIIe siècle, en France, à Pont-Audemer (Eure), et par les Anglais.

Mais pourquoi saint Simon est-il le patron des tanneurs ? Ce n'est pas cette scie dentée, à une poignée, qui le justifie, car cet outil n'est pas employé dans le travail des cuirs et peaux. Ce patronage résulte en fait d'un amalgame comme les anciens savaient en faire lorsqu'il s'agissait de rattacher un saint à une catégorie d'artisan.

Il existe deux saints Simon cités dans les Ecritures saintes, mais qui n'ont aucun rapport avec le cuir, et un troisième Simon, qui n'est pas saint, mais qui est corroyeur.

Le premier, c'est saint Pierre. Pêcheur de son état, il se nommait Simon mais le Christ lui a donné le nouveau nom de Pierre. Le second saint se nomme Simon, c'est l'un des douze apôtres. Avec son frère Jude il évangélise l'Egypte et la Perse mais, comme nous l'avons dit, il ne périt pas par la scie et n'exerce pas un métier en rapport avec le cuir.

Il faut en revenir aux Actes des Apôtres pour trouver l'explication. En effet, les versets-clefs nous apprennent que : "Pierre demeura un certain temps à Joppé chez un corroyeur appelé Simon" (9, 43), "Maintenant donc, envoie des hommes à Joppé et fais venir Simon, surnommé Pierre. Il loge chez un certain Simon, un corroyeur, dont la maison se trouve au bord de la mer." (10, 5-6), "Envoie donc quérir à Joppé Simon, surnommé Pierre, il loge dans la maison du corroyeur Simon, au bord de la mer." (10, 32). C'est l'association des noms de Simon Pierre et de Simon le corroyeur, le premier saint, le second corroyeur, et la confusion qui s'est établie avec saint Simon apôtre, qui expliquent pourquoi les tanneurs et les corroyeurs l'ont choisi pour patron.

La plaque apposée dans l'église, sous le tableau, comporte donc une erreur d'interprétation puisque, si elle désigne bien les saints Crépin et Crépin comme patrons des cordonniers, elle attribue le patronage de saint Simon aux…carriers ! La scie qu'il tient a dû être considérée comme un crocodile. La plaque ajoute qu'il y avait des carrières à Gordes, dont celle de Barbarousse, fermée, et aux alentours, à Saint-Pantaléon, en activité.

En fait, l'association des saints Crépin, Crépinien et Simon sur ce tableau est probablement à mettre en relation avec la présence d'une communauté de métiers réunissant en une seule confrérie les cordonniers et les tanneurs, qui sont étroitement liés comme fabricants et transformateurs de cuir.

Les saints patrons des métiers du cuir à Gordes (84)
© Photographies Daniel Impératori, D.R.

Un autre tableau représentant Marie Madeleine comporte par ailleurs un encadrement doré dont le motif supérieur est un blason, composé d'un couteau à pied et d'un couteau à couper le cuir, emblèmes des deux métiers.

Les saints patrons des métiers du cuir à Gordes (84)

L'homme pense parce qu'il a une main. Anaxagore (500-428 av. J.-C.)


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