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Police des déchets et des ICPE : nouvel épisode de l'affaire "Wattelez"

Publié le 15 mars 2012 par Arnaudgossement

balance.jpgLe 26 juillet 2011, le Conseil d'Etat avait rendu, dans un affaire ancienne et qui aura beaucoup contributé au progrès de la jurisprudence environnementale, un arrêt trés important, relatif à la responsabilité du détenteur de déchets sur un site ICPE. La Cour administrative d'appel de Bordeaux, saisie de nouveau vient de faire application de la solution retenue par la Haute juridiction administrative (arrêt du 1er mars 2012) : le propriétaire d'un terrain anciennement ICPE peut être qualifié de détenteur de déchets abandonnés et contraint de procéder à leur élimination. 


L'arrêt rendu ce 1er mars 2012 par la Cour administrative  d'appel de Bordeaux peut être téléchargé ici. 

Pour un rappel des circonstances de fait et de droit de cette affaire "Wattelez", je vous invite à vous reporter à mon commentaire de l'arrêt rendu le 26 juillet 2011 par le Conseil d'Etat.

Rappelons simplement que le Conseil d'Etat avait jugé que :

« Considérant que le propriétaire du terrain sur lequel ont été entreposés des déchets peut, en l’absence de détenteur connu de ces déchets, être regardé comme leur détenteur au sens de l’article L.541-2 du code de l’environnement, notamment s’il a fait preuve de négligence à l’égard d’abandons sur le terrain ».

Ainsi le propriétaire d'un terrain, notamment d'un terrain ayant accueilli une ICPE peut, à certaines conditions, être qualifié de détenteurs de déchets abandonnés à sa surface, et, partant, contraint, notamment par le maire en sa qualité d'autorité de police des déchets, de procéder à leur évacuation et à leur élimination. 

Le Conseil d'Etat avait par la suite jugé : 

« Considérant qu’il ressort des énonciations de l’arrêt attaqué qu’après avoir elle-même exploité, sur un terrain lui appartenant, une usine de régénération de caoutchouc, la société Wattelez a vendu son fonds de commerce et, notamment, son stock de marchandises et de matières premières,  à la société EURECA, par un contrat conclu le 30 mars 1989 ; qu’ayant été mise en liquidation de biens en février 1991, la société EURECA a cessé son activité et laissé sur le terrain, plusieurs milliers de tonnes de pneumatiques usagés ; qu’en jugeant que, si ces pneumatiques sont devenus des déchets à la suite de leur abandon, les requérants, en leur seule qualité de propriétaire du site sur lequel ont été entreposés les déchets et en l’absence de tout acte d’appropriation portant sur ceux-ci, ne peuvent être regardés comme ayant la qualité de détenteurs de ces déchets au sens de l’article L.541-2 du code de l’environnement et comme ayant celle de responsables au sens de son article L.541-3, la cour administrative d’appel a commis une erreur de droit ; que, dès lors, son arrêt doit être annulé ».

L'arrêt d'appel objet du pourvoi ayant été annulé, la Cour administrative d'appel de Bordeaux devait statuer de nouveau, ce qu'elle a fait, par arrêt rendu ce 1er mars 2012. 

Tout d'abord, la Cour administrative d'appel de Bordeaux juge, à la suite du Conseil d'Etat, que la présence de déchets sur un site, peu importe qu'il s'agisse d'une ancienne ICPE, justifier l'intervention du maire à l'encontre de leur détenteur, en sa qualité d'autorité de police des déchets : 

"Considérant en deuxième lieu, qu'aux termes du II de l'article L. 541-1 du code de l'environnement, dans sa rédaction applicable : Est un déchet au sens du présent chapitre tout résidu d'un processus de production, de transformation ou d'utilisation, toute substance, matériau, produit ou plus généralement tout bien meuble abandonné ou que son détenteur destine à l'abandon ; qu'il ressort des pièces du dossier que le terrain dont la société et les consorts C sont propriétaires au lieu-dit Le Puy Moulinier au Palais-sur-Vienne a été le lieu d'exploitation entre 1918 et à tout le moins 1989, et essentiellement par la SOCIETE C, d'une activité de régénération de caoutchouc ; que ce site, après la cessation de son exploitation, est resté encombré de plusieurs milliers de tonnes de résidus divers, certains liquides ou pulvérulents, dont des produits très toxiques comme le pyralène ; que si l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie a évacué 971 fûts de produits et déchets dangereux en 1993, le site contenait encore, à la date de l'arrêté attaqué, un volume total d'environ 50.000 mètres cubes de résidus de caoutchouc et de pneumatiques disséminés, ainsi que des cuves de stockage de combustible neutralisées ; qu'il n'est pas contesté que ces résidus de caoutchouc et de pneumatiques, et les autres biens meubles présents sur le site, sont abandonnés ; que ces biens abandonnés constituent donc des déchets au sens de l'article L. 541-1 précité du code de l'environnement ; qu'il s'ensuit que le maire du Palais-sur-Vienne a pu légalement faire application des prérogatives de police en matière de déchets qu'il tient du chapitre Ier du titre IV du livre V du code de l'environnement ; que la circonstance que le maire ait mentionné dans l'arrêté attaqué la pollution de la Vienne, laquelle aurait pu également donner lieu à des mesures préfectorales destinées à mettre fin à cette cause de danger et d'atteinte au milieu aquatique au titre de la loi n° 92-3 du 3 janvier 1992 sur l'eau, n'est pas susceptible d'entacher cet arrêté, qui n'a pas été pris sur le fondement de ladite loi sur l'eau, d'incompétence"

Par la suite, la Cour va rappeler dans quelles conditions un "détenteur de déchets" est désigné comme tel : 

"Considérant qu'il résulte de ces dispositions, interprétées conformément au droit communautaire dérivé, que le propriétaire du terrain sur lequel ont été entreposés des déchets peut, en l'absence de détenteur connu de ces déchets, être regardé comme leur détenteur au sens de l'article L. 541-2 du code de l'environnement, notamment s'il a fait preuve de négligence à l'égard d'abandons sur son terrain"

Au cas présent, au terme d'un rappel des circonstances de fait et de droit qui ont marqué l'historique de ce dossier, la Cour administrative d'appel va juger légal l'arrêté du Maire de la Commune de Palais sur Vienne

"Considérant que les requérants font valoir que, tant que le site dont ils étaient propriétaires est resté exploité par la société Eureca, qui le tenait à bail et à laquelle la SOCIETE C avait vendu en 1989, d'une part son fonds de commerce de régénération de caoutchouc, et d'autre part son stock de matières valorisé au franc symbolique, ils n'ont commis aucune négligence ; que pour la période postérieure, ils font valoir également qu'ils ont assigné cette société en référé afin qu'elle libère les terrains, et qu'ils ont ensuite obtenu une ordonnance de la cour d'appel de Limoges faisant obligation à son liquidateur d'avoir à évacuer les lieux de tous produits liquides et toxiques dans un délai de trois mois ;

Considérant qu'il ressort toutefois des pièces du dossier que la société Eureca, mise en redressement judiciaire le 2 février 1990 puis en liquidation judiciaire en février 1991, a cessé dès cette époque son activité avant que la clôture de la liquidation ne soit prononcée le 28 novembre 1992 ; que dès le 23 octobre 1991, la société Eureca a offert aux propriétaires de leur remettre les clés ; que la SOCIETE C et les consorts C et E, propriétaires, doivent être regardés comme ayant alors recouvré, au moins à compter de cette date, la disposition de l'usine inexploitée, des terrains et bâtiments attenants, et des déchets qui y étaient entreposés ; que le terrain en cause, dont les sols restent fortement pollués par des hydrocarbures et des polychlorobiphényles, est situé à moins de cent mètres d'une zone d'habitation, à moins de cinquante mètres de la Vienne, et à proximité d'un point de captage d'eau potable ; qu'après la cessation de son exploitation, les déchets dont il est resté encombré ont été stockés dans des conditions ne garantissant pas leur isolation d'avec l'environnement, et se trouvaient d'autant plus exposés au risque d'incendie que leur terrain d'entreposage ne faisait plus l'objet ni de surveillance, ni d'entretien ; que de nombreux incidents dangereux pour la sécurité ou la salubrité publique s'y sont produits, notamment une pollution de la Vienne par hydrocarbures le 23 septembre 1993 et des départs de feu les 16 février et 1er mars 1993, 28 octobre 2004, 23 mars 2005, 25 et 26 avril 2006 ; qu'au demeurant, postérieurement à l'arrêté attaqué, de nouveaux incidents ont eu lieu, notamment un départ de feu le 23 avril 2011, et le site continuait d'être régulièrement visité par des intrus ;

Considérant qu'il ressort également des pièces du dossier qu'en octobre 1991, M. C a chargé une entreprise de travaux publics, sans autorisation préalable, d'entasser les déchets en désordre dans les dépressions naturelles du site puis de les enfouir sous un mètre de terre végétale ; qu'il ne lui a pas donné l'ordre d'interrompre ces travaux après l'adoption par le préfet, en urgence, d'un arrêté de cessation d'exploitation de cette décharge sauvage ; que le 3 novembre 1993, la chambre correctionnelle de la cour d'appel de Limoges, après avoir constaté que l'intéressé n'avait pas entendu rendre moins gênants ou moins dangereux les déchets, a reconnu M. C coupable d'exploitation sans autorisation d'une décharge de déchets industriels, et l'a condamné de ce chef à payer 50.000 francs d'amende ; que le pourvoi formé contre cet arrêt a été rejeté par la Cour de cassation le 12 juillet 1994 ; qu'outre cette tentative avortée de faire grossièrement disparaître les déchets, la SOCIETE C et les consorts C et E se sont bornés à apposer des pancartes interdisant l'accès au site, et ce seulement sur l'insistance des services de l'Etat ; qu'ils se sont en revanche dispensés de toute surveillance et se sont abstenus de tous travaux d'entretien qui auraient permis de limiter les risques présentés par le site ; que notamment, ils ne se sont pas opposés à l'envahissement du terrain par les broussailles susceptibles de favoriser la propagation du feu, et n'ont fait procéder à aucun aménagement de nature à faciliter l'accès au site des services de secours et de lutte contre l'incendie ; que lorsque, en avril 1993, l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie a sollicité des propriétaires du site l'autorisation d'y pénétrer afin d'en évacuer des produits toxiques et d'en renforcer la sécurité, les consorts C sont restés silencieux tandis que la SOCIETE C lui opposait un refus exprès ; que le préfet a, dans ces conditions, été contraint de prendre, le 11 mai 1993, un arrêté portant autorisation d'occupation temporaire de propriété privée au profit de cette agence ; 

Considérant enfin qu'il ne ressort pas des pièces du dossier que les mesures prises, par la suite, pour assurer la sécurité du site, aient été le fait des requérants ;

Considérant que dans ces conditions, et contrairement à ce qu'ils soutiennent, la SOCIETE C et les consorts C et E ont fait preuve de négligence à l'égard des abandons de déchets sur leur terrain"

Ainsi, le propriétaire du terrain, à la suite de la disparition du dernier exploitant de l'ICPE, est responsable, en sa qualité de détenteur des déchets, de leur élimination. 

Le fait que le site ait été l'objet d'une exploitation d'ICPE ne s'oppose pas à l'intervention de la police des déchets : 

"Considérant en quatrième lieu, que comme qu'il a été dit, la société Eureca, dernier exploitant du site, a cessé d'exister le 28 novembre 1992 en abandonnant sur place les déchets litigieux ; que dans les circonstances de l'espèce, alors au demeurant que ces déchets résultent pour l'essentiel de l'exploitation antérieure de l'activité de régénération de caoutchouc par la SOCIETE C, et eu égard à ce qui a été dit sur les négligences commises à leur égard par cette société et les consorts C et E, propriétaires du site, le maire du Palais-sur-Vienne a pu légalement regarder les requérants comme les détenteurs de ces déchets au sens de l'article L. 541-2 du code de l'environnement ; que c'est donc sans méconnaître l'article L. 541-3 du code de l'environnement qu'il les a tenus pour responsables au sens de ces dispositions et qu'il a fait reposer sur eux la charge financière des travaux nécessaires"


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