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Cool dimanche 54 : La joie de celui qui ne croit en rien - Robert Misrahi - 1/3

Par Plumesolidaire

 


"Je suis heureux, sans vergogne" par partenariatslibe

Entretien  de Libération de mars 2010

Source : clés.com

Dans le présent contexte de campagne électorale l'un des candidats s’est avisé de commencer par s’en prendre à l’« élite », dont il est le représentant emblématique dans sa version « manager bling bling ».

Pourtant, il fait bon se tourner vers l’élite de ceux qui pensent la (ré)conciliation, la solidarité, le bonheur et la joie de vivre.

Et de tourner le dos aux rhétoriques inusables et démagogiques de la haine d’autrui, aux idées fondées sur la conception matérialiste et comptable de la vie, autoritaire et intrusive du pouvoir d’Etat.

C’est profondément réconfortant.

J’ai dit

Pume Solidaire

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Robert Misrahi

Un philosophe qui fut l’élève des plus grands, et qui présente pour beaucoup la meilleure lecture de Spinoza aujourd’hui, propose de sortir du "désenchantement violent", par l’élaboration d’une nouvelle éthique du bonheur.

"Le bonheur, dit-il, n’est pas un état passif, c’est un acte !"

Né à Paris en 1926, de parents turcs, Robert Misrahi choisit à l’âge de dix ans de devenir français « par option » et refuse en même temps la Bar Mitsva juive (à laquelle on pourrait comparer la première communion chrétienne), affirmant très tôt sa laïcité et sa liberté. Agrégé en philosophie après avoir suivi les cours de Jankélévitch, Bachelard et Merleau-Ponty, il a enseigné durant trente ans à l’université Paris I. Parmi ses derniers ouvrages, citons Un juif laïque en France et Le bonheur (éd. Dervy).

Marie de Solemne, qui interroge ce sage, est elle-même philosophe et conférencière, à l’écoute des penseurs de notre temps. Ses derniers ouvrages : Le chant rauque de l’absence (éd. Albin Michel), Moi + Toi = Moi2 (éd. Dervy) et avec Robert Misrahi L’enthousiasme et la joie au temps de l’exaspération (éd. Dervy).

Nouvelles Clés : En tant que philosophe, vous êtes sans aucun doute sensible à la morosité qui, depuis quelque temps, s’empare de notre pays (tant sur le plan politique, économique, social, qu’individuel) où il semble régner une sorte de désenchantement sournois. Pensez-vous que nous ayons atteint un état critique de perte des valeurs humaines ?

Robert Misrahi : Oui, je ressens cela. Parfois, devant le spectacle de notre monde (je parle de ce monde et non de certains individus ou de moi-même), il me semble que je deviens un peu plus sceptique. Le monde me paraît vraiment effrayant ; effrayant et, en effet, parcouru de mouvements auto-suicidaires. Je suis donc de votre avis : le monde va mal. Le monde va mal, il ne sait pas où il va et compense son désarroi par la violence.

N. C. : Croyez-vous que l’on puisse mettre en relation cette sorte de "désenchantement violent" avec un constat de perte des valeurs les plus élémentaires : valeurs familiales, sociales, etc. ?

R. M. : Vraisemblablement, ce phénomène est lié à la perte de cette valeur essentielle qu’est la prise de conscience de l’autre et le respect de l’autre. En ce qui concerne la perte du sens de la famille, je pense qu’il s’agit de la conséquence de cette perte première : la perte du sens de l’autre. La perte de ces valeurs est en fait la perte d’une sorte de culture, car la culture (en général) développe le sens de l’Autre - du moins le plus souvent.

N. C. : Lorsque vous évoquez une « perte de culture », à quelle culture faites-vous référence ?

R. M. : Je pense à une culture classique ; culture que l’on a méprisée, que l’on a voulu remplacer par une culture scientifique ou par une absence de culture due, entre autres, à la confusion entre le sens des mots « culture » et « mœurs ». Je fais donc référence à la culture de l’esprit, et c’est la perte des études de cette culture qui est à l’origine du fait que les individus perdent le sens d’autrui. Une autre source possible à ce « désenchantement violent » (ce n’est qu’une hypothèse car je ne suis pas sociologue) serait une sorte d’incompréhension ou d’inflation de la revendication des droits. Aujourd’hui, il semble que les individus soient surtout braqués sur leurs droits individuels sans voir que leurs propres droits devraient correspondre aux mêmes droits chez les autres.

N. C. : Cela veut-il dire qu’ils sont axés sur leurs droits en oubliant leurs devoirs ?

R. M. : Personnellement, je ne n’aime pas beaucoup le mot « devoir » (rires). Seulement, en se focalisant sur leurs propres droits, leurs propres revendications, leurs propres souffrances, leurs propres malheurs, les gens en ignorent complètement ceux des autres, ou alors, exceptionnellement, comme, par exemple, durant cet été 2003 quand, face aux conséquences de la canicule, ils s’aperçoivent soudain que l’autre existe et se lancent dans des attitudes charitables... Subitement, le monde découvre que les vieux sont seuls et meurent seuls, que l’humanité est mortelle... !

N. C. : De nos jours, le mot « religion » dérange ou même effraie. La religion est parfois vécue comme un carcan dans lequel les générations actuelles ne trouvent pas leur place et ne veulent pas être enfermées. Le terme « spiritualité » a d’ailleurs tendance à supplanter peu à peu celui de « religion », comme si cela permettait ainsi d’évacuer l’idée de dogme. Est-ce réellement une nouvelle voie qui se dessine, ou bien sommes-nous dans l’erreur en s’imaginant réformer l’état d’esprit en modifiant l’appellation ?

R. M. : Ça, c’est le risque majeur ! Car, dans la plupart des cas, derrière le mot spiritualité on trouve un esprit religieux, ce qui signifie bien que l’on n’a rien changé. On a simplement remplacé un mot qui faisait peur par un autre qui, en réalité, cache la même chose. En revanche, si nous prenons au sérieux l’évolution sémantique, l’évolution des mots, il est vrai ques les mots esprit et spiritualité pourraient ouvrir un nouveau chemin. Mais à la condition que nous soyons sûrs qu’il ne s’agit pas de spiritualité religieuse.

N. C. : À cette aube du XXIe siècle qui a nourri beaucoup d’espérance et semble, finalement, offrir de nombreuses désillusions, que pouvons-nous mettre dans le mot « spiritualité » pour qu’il prenne un sens pour chacun ?

R. M. : Le mot spiritualité peut comprendre : l’existence, la valeur et l’efficacité de l’individu. Je parle de l’individu dans le sens où il est une conscience individuelle et intelligente et non de l’individu uniquement défini - comme on le fait trop souvent - par des instincts et des pulsions. Le mot « individu » est à entendre dans son sens philosophique, c’est-à-dire comme une personnalité bien individuée. Il est essentiel de concevoir que chacun est une personnalité ; une personnalité qui détient un pouvoir tout à fait singulier : la liberté et l’intelligence - intelligence, pour ne pas dire « raison » (le mot raison, lui aussi, fait peur) et pour ne pas dire « réflexion » (qui n’est guère mieux vécu, alors qu’il s’agit pourtant bien de réflexion). Il faudrait, ainsi, prendre conscience du pouvoir, à la fois, structurant et libérateur de la pensée, ou de l’esprit.

Dès lors, si le mot spiritualité évoque la conscience, l’esprit et la réflexion, je suis entièrement en accord avec ce mot.


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