Magazine Beaux Arts

« Molière » de Laurent Tirard (intégral)

Publié le 18 mars 2012 par Sheumas

 

Ce film de 2007 de Laurent Tirard, explore astucieusement à la fois l’œuvre et la vie du célèbre Jean-Baptiste Poquelin dont le nom est souvent cité par les personnages du film... Car le fait est que Jean-Baptiste n’a pas tout de suite été Molière... Le film est fondé, pour l’essentiel, sur un flash-back qui ramène aux premières années de la carrière de l’artiste. Période où, suite aux difficultés rencontrées à Paris, il décide de s’en aller avec sa troupe, « l’Illustre théâtre », et sa jeune femme, la comédienne Madeleine Béjart, sur les routes de province.

   Pour les amateurs de dates, on dira que cette partie se situe autour de 1644. Jean-Baptiste à 22 ans, il est passionné par la tragédie, genre qu’il juge supérieur à tous les autres. Il n’est pourtant pas doué du tout pour jouer dans ce registre et réussit beaucoup mieux sitôt qu’il s’exprime dans le domaine du comique. Son sens de l’observation et ses audaces lui valent aussitôt le cul de basse-fosse et son père renie le garnement qui déshonore son nom (rappelons que le sieur Poquelin est tapissier du roi). C’est alors que Laurent Tirard a l’idée de faire intervient par miracle un certain Mr Jourdain... Poquelin est emmené dans le grand domaine de ce Mr Jourdain, loin de Paris où il va contre contrat, séjourner deux ans.

   « L’épisode Jourdain » est encadré par deux autres moments dans le film. Le premier, au tout début, renvoie à l’année 1658 où, après treize ans de « voyage », la troupe de Molière devenue célèbre, revient à Paris, invitée par Monsieur, frère du Roi, à donner des spectacles dans le cadre du théâtre du Petit-Bourbon, en alternance avec « les Italiens ». Molière voudrait hausser le niveau des farces et des comédies qu’il a données au cours de sa longue tournée... mais il doit se résigner, Monsieur, comme le reste de la troupe du reste, exige qu’on lui donne du rire.

   Le second moment (après l’épisode Jourdain) ramène le spectateur au moment du triomphe de Molière à la cour. L’artiste a suivi les conseils de Mme Jourdain et a su « inventer un nouveau type de comédie », fondé sur l’exploitation de ses années d’apprentissage et d’observation de la nature humaine. Les pièces qui défilent alors, « les Fourberies de Scapin », « le Bourgeois gentilhomme », « le Misanthrope », « Tartuffe », « les Femmes savantes », font écho à des situations, des répliques, des dialogues entendus au cours de l’épisode Jourdain, sur lequel repose donc l’essentiel de la trame.

   En cachette de son épouse Elmire (le nom de la femme d’Orgon dans « Tartuffe »), Mr Jourdain est un bourgeois cousu d’or (admirablement interprété par Fabrice Lucchini) qui s’est mis en tête de séduire une précieuse, une certaine Célimène, dont le nom renvoie aussi au fameux « Misanthrope ». Ainsi ce Jourdain là emprunte-t-il notamment ses traits à la fois à Alceste (le misanthrope), à Orgon, à Harpagon (il a une armoire rempli d’or) et au bourgeois gentilhomme.

   Pour parvenir à ses fins, il souhaite, comme le vrai Mr Jourdain, acquérir une éducation et pratiquer le beau langage, apprendre à bien parler à la fameuse « belle marquise » ! Belle marquise, beaux vos yeux me font d’amour mourir... Toute une cour de profiteurs fréquente sa maison : maître de musique (un certain Valère qui, comme dans « l’Avare », courtise sa fille Henriette), maître de danse, maître de philosophie, maître de peinture et maître chanteur...

   Car, pour l’introduire auprès de l’inaccessible Célimène qui tient un salon de précieuses, Mr Jourdain compte sur les bons soins d’un certain Dorante (imposteur qui utilise pour son propre compte les présents dont le galant honore sa dame !). Dans cette société de flatteurs, Poquelin est embauché pour apprendre le théâtre à Mr Jourdain.

   Il fait son entrée dans la splendide propriété sous l’identité de Mr Tartuffe et sous l’habit de l’ecclésiastique. Elmire n’est pas très longtemps dupe de la mascarade. Elle est même sensible au charme de ce faux-Tartuffe avec qui elle rejoue autrement (et pour son propre compte !) la scène d’Orgon sous la table... Malgré la différence de statuts et la différence d’âge, Jean-Baptiste et Elmire deviennent amants. Elmire apprécie en particulier le talent de l’écrivain et le brio dont il témoigne face à toutes les situations les plus inattendues. Comme son mari, cette femme libre et intelligente, s’autorise une amourette dont elle sait qu’elle ne durera pas.

   Le temps est en effet venu pour le jeune auteur de « se mettre au travail »... Pour venir en aide à ce maître odieusement abusé par une coquette, Poquelin propose d’abord à son « complice » de jouer une scène de théâtre afin de mettre un terme à « l’opération Célimène ». Mr Jourdain, sous le masque d’une vieille précieuse, assiste dépité au portrait caustique que la cruelle femme savante, aiguillée par un faux « marquis de Poquelin », fait de lui dans son salon. Il a recours à une autre scène pour éviter le mariage entre Henriette et Dorante, et réconcilier les époux Jourdain : il invente une histoire qui sera reprise à la base dans « les Fourberies de Scapin ». Mais que diable allait-il faire dans cette galère ?

   Cette fois, c’est Elmire qui est mise à contribution et qui s’en tire brillamment. La famille recomposée, Poquelin n’a désormais plus rien à faire dans la maison Jourdain. Il peut s’en aller et rejoindre le reste de la troupe à Paris. Madame Jourdain l’y encourage... Quinze ans plus tard, à la fin du film, le spectateur la retrouve victime des saignées des médecins (autre thème ô combien moliéresque !). Elle le félicite et l’encourage toujours à écrire des comédies « qui expriment l’âme humaine » et qui se nourrissent du regard porté sur ses semblables.


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