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Lettres à Yves

Par Irreguliere

Lettres à Yves

C'est à toi que je m'adresse, à toi qui ne m'entends pas, qui ne me réponds pas. Tous ceux qui sont ici m'entendent, mais toi seul ne le peux.

L'autre jour, en musardant à l'espace librairie de la fondation Yves Saint-Laurent, je suis tombée sur ce livre qui m'a attirée comme un aimant. L'intuition sans doute, je ne sais pas, quelque chose de l'ordre de l'impératif qui me disais "prends-le". Donc je l'ai pris. 

La situation d'énonciation de ce recueil de lettres est un peu particulière. Ce sont des lettres d'amour, mais des lettres d'amour à celui qui vient de mourir et qui ne pourra donc jamais les lire, sauf à penser qu'il y a un au-delà. Comme un besoin impérieux, vital, de dire son amour une dernière fois. Saint-Laurent meurt le 1er juin 2008, la première lettre date du 5. La seconde ne sera écrite que le 25 décembre, puis elles s'enchaînent jusqu'en août 2009. Un peu plus d'un an donc, d'une correspondance à sens unique, pour faire le deuil de l'amour d'une vie.

Que dire de ce petit recueil, si ce n'est qu'il m'a tellement émue qu'en écrivant cette chronique, j'ai à nouveau la gorge qui se serre ? Oui, j'ai été touchée jusqu'au plus profond de mon âme par ce texte qui a fait résonner en moi de déchirants échos. Je connais trop ce besoin d'écrire des lettres, cette graphomanie dirigée vers l'Absent (même un absent bien vivant), pour ne pas comprendre et ressentir une empathie profonde envers Pierre Bergé, souvent stigmatisé mais qui ici m'a arraché des larmes. Il est dans l'hyperconscience, et c'est presque ce qui est le plus touchant : le dialogue est rompu, irrémédiablement, et il sait que finalement c'est à lui-même qu'il s'adresse en écrivant à Yves. Il lui écrit, une magnifique déclaration d'amour. Car quoi de plus beau, finalement, que de continuer à faire vivre dans son coeur celui qui n'est plus là ? Cet amour se remémore, avec sincérité et lucidité, sans en occulter les difficultés, et notamment la caractère profondément mélancolique de Saint-Laurent (très bien traité dans le livre d'Alicia Drake, qui m'a d'ailleurs servi pour comprendre certaines allusions), incapable de s'ancrer dans le réel (ce qui me rappelle quelqu'un d'ailleurs), et faisant souffrir malgré lui ceux qu'il aimait et qui l'aimaient, au premier rang desquels Pierre Bergé, qui finalement avait tout accepté (mais aimer, n'est-ce pas accepter ce qu'on ne peut pas toujours comprendre ?). L'écriture est en outre très belle, très littéraire, et dans les références, philosophiques et littéraires, on sent l'homme d'une grande culture, ce qui lui permet aussi d'atteindre, malgré le caractère éminemment biographique et intime, une sorte de lyrisme universel. Il se dégage de ce texte une grande mélancolie, celle de la fin d'un monde, symbolisée par la vente de la collection d'art contemporain du couple, et les multiples décès qui viennent meurtrir un peu plus Bergé - qui est d'ailleurs solide, d'autres se seraient laissés submerger.

Ce texte, que j'ai lu d'une seule traite, comme mue par une sorte d'urgence, est de ceux qui restent dans la mémoire, et c'est bien son propos : ériger un mausolée à l'être auquel on a consacré toute une vie. Il n'a pas été sans me rappeler, d'ailleurs,  Lettre à D de André Gortz et surtout  Edwige, l'inséparable d'Edgar Morin.

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