Magazine Beaux Arts

Trail des vignes dans l’ile de Ré ou le petit vin doux de la mémoire (version intégrale)

Publié le 30 mars 2012 par Sheumas

huppe-en-fin-juin--10-.jpg

10h00, dans ce petit matin où la montre joue des tours, il n’est pas 9h00 mais 10h00. Ceux qui n’ont pas pensé à régler leurs montres ne pourront pas s’aligner pour le départ de cette belle course qui s’élance de la commune de Sainte-Marie de Ré. Village où tu venais, chaque été, passer des vacances familiales. C’était à l’époque des bacs, des ânes en culottes et des tours de France sans dopage.

   La course s’annonce aussi délicieuse qu’un grand cru : « trail des vignes »... Coupe de vin pour griser le coureur et lui offrir autre chose qu’un simple parcours de course. Environ 500 coureurs égayés dans les vignes. Mais pas d’esprit fouacier ! « Comme c’est beau ! » s’exclamera l’une des concurrentes au moment d’arriver sur la plage.

   10h00. C’est parti ! Direction la Noue, puis les Grenettes. Plage de ton enfance... Odeurs de varech, cris de goélands. Coopératives viticoles, vin de chais, pineau... « Rendez-vous à l’apéro ! ». Dernières plaisanteries. A présent, concentration ! « C’est dur un trail ! », il faut « gérer sa course » comme le rappellent ceux d’entre vous qui courent en club. Volets verts encore clos, « debout les pyjamas ! » Jardins clos, piscines brillant derrière oliviers et pins maritimes. Claquement et impatience des baskets sur le bitume, foulée encore souple et légère. Mollets luisants. Odeur de crème décontractante sur les cuisses.

   Ciel clair et bleu du matin. Ruelles tortueuses, usées. Dentelles de venelles effritées, blanches en quichenottes sous la figure voutée du soleil... Mais les quichenottes ont disparu et les premiers touristes en bigoudis sortent effarés dans le jardin, regardent passer à toute vitesse les quêteurs de plage et les chercheurs d’or...  « Mais vers où courent-ils donc ? »... La plage est encore loin, tout au bout, après le Bois-Plage, au lieu-dit « le Gouillaud ».

   Le chemin s’engage dans le bois. Pénombre. Les groupes se disloquent. « On suit, on suit, mais où on va ? » te souffle une voix qui remonte de l’arrière... Panurge est devant ! De l’autre côté de la dune, avec les moutons de la mer. Tout ce que tu sais, c’est que tu ne plongeras pas.

   Ensablement sous les pieds. Maintenant, tu te souviens... Du côté des Grenettes, les pneus des voitures enfonçaient à l’époque. Dérapage contrôlé sur ton vieux biclou, celui de l’arrière-grand-mère. Tu finissais par rattraper l’auto de tes parents et le panier de pique-nique avec son chocolat fondu sous le soleil. Les rouleaux de la mer et les embruns qui remontaient jusqu’à la dune en même temps que les clameurs de la plage. Vieux blockhaus et munitions d’été, mitraillette de sable blanc et assaut des puces de mer. Tu portes comme les autres une puce à la cheville gauche, bracelet électronique : dossard 303.

   Course échevelée jusqu’au bas de la dune, les bras écartés. Odeur forte de marée. Défilé de toutes les plages. Plage, sable, horizon, plage, sable, horizon... Phare de Chauveau où ton arrière-grand-père allait pêcher le crabe, de l’autre côté des écluses. 11h00. Marée basse, sable humide. Par delà Oléron, un immense treillis de soleil monte lentement, fait vibrer l’espace de la plage, chauffe le sable et les coins d’eau entre les rochers. Crevettes rosissant dans les flaques. Tu passais des heures à la pêche à pied.

   Les baskets sur les cailloux font désormais un bruit de coquillage. Il monte à ton oreille et tu entends la mer. Coques, berniques, coquilles d’huitres, couteaux tirés au ras du sable. Derrière toi, une fille gracile voltige entre les galets. Tu as toujours admiré la dextérité des filles à la pêche à pied. Elles ne mouillaient jamais leurs chevilles.

   Slalom entre les galets. La plage, c’est fini. Jeunes filles en fleurs sous les parasols. Tu reprends ton vélo à regret... Tu dois rentrer à toute vitesse. A l’heure du souper, les aïeux assis près de la grande horloge n’aiment pas attendre trop longtemps. Déjà l’odeur de la soupe aux crustacés remplit l’espace de la maison rue du 14 juillet.

   Pistes de sable où le pied s’enfonce. Route blanche entre les vignes, piste cyclable. Le pignon rouillé de ton biclou tourne comme une vieille horloge. 11h15, le pas s’est alourdi. Tu n’a plus dix-sept ans ! Dans les courses à pied, à l’inscription, si tu as au-delà de trente cinq ans, tu es un « vétéran ». Cher clocher de Sainte-Marie posé sur l’horizon. Clocher de Tansonville de Marcel Proust... Méandres de mémoire tout autour de ce repère sacré qui sonnait bon les vacances d’été. Après le bac et le phare de Chauveau, c’était lui le gardien.

   Petit sentier malaisé devant la thalasso. Robes de chambres blanches devant l’hôtel de Balbec. C’est le même océan que celui d’Elstir. Coups de pinceaux dans le bleu de la mer. Les Charlus et les Guermantes vous regardent passer. Les cuillères tintent au fond des tasses. Du thé, un nuage de lait, peut-être un bout de madeleine ? Souvenir d’un repas de noces d’or, phare de Chauveau, pêche au crabe. L’arrière-grand-père a quitté son île. Il a emprunté le pont pour la première fois. Il n’est plus revenu promener sa gourbeuille du côté des rochers.

   Retour à travers les vignes, le bon petit vin de l’ile et le sable d’or qu’il dépose sur le palais de la mémoire.


Retour à La Une de Logo Paperblog

A propos de l’auteur


Sheumas 243 partages Voir son profil
Voir son blog

l'auteur n'a pas encore renseigné son compte l'auteur n'a pas encore renseigné son compte