Magazine Journal intime

Où il est question de ma première nouvelle partie!

Par Vivresansargent

Jeudi 29 Avril (17H) :

Quand tout bascule

Il fait si chaud. Cette année encore, l’été est en avance. Les arbres proposent aux amateurs de couleurs et de senteurs leurs premières fleurs. Les papillons flamboyant, virevoltent et jouissent de leur vie d’un jour. Les chiens sont allongés, comme mort, à l’ombre des longs murs de pierre.

Un homme au cheveux roux se lève, il est fourbu de ces dernières heures passées aux champs, à bêcher, planter et ratisser. En clopinant, il se dirige vers une bassine en émail qu’il a exposé au soleil depuis le matin. Il plonge le bout des doigts de sa main droite. L’eau n’est pas chaude, mais elle n’est pas froide non plus. Il récupère un bocal de verre qu’il plonge dans la bassine rouge. Il y a bien six litres d’eau dans la bassine rouge, ça sera suffisant pour ce qu’il veut en faire. Une poignée de la gamelle dans chaque main et une serviette nonchalamment jetée sur l’épaule droite, il se dirige vers ces trois planches plantées en u dans le sol, là-bas, au bout du jardin. Avec ces trois planches, l’année dernière, l’homme s’est fabriqué une douche. Un simple bac posé au sol, trois murs de bois et un quatrième mur qui s’avère n’être qu’un léger rideau, une porte.

A l’aide de son bocal de verre qu’il plonge dans la bassine, il couvre son corps d’eau. L’eau glisse sur sa peau. Il plonge à nouveau le bocal dans la bassine. Ses yeux se ferment de plaisir. L’homme frotte, frotte et frotte encore. Le savon, lui, tient sur la peau. Très vite, son corps de paysan est recouvert de mousse. Quand il se rince, l’eau emporte avec elle le savon souillé de la crasse qu’il a ramené des champs.

L’homme aux cheveux couleur de rouille, une serviette autour de la taille, traverse le jardin dans l’autre sens. La bassine dans une main et la serviette mouillée toujours sur cette même épaule droite. Quand il s’installe sur la table de jardin, à l’abri de ce soleil qui tape si fort aujourd’hui, il est propre, léger et souriant.

La machine à écrire est devant lui. Rien d’autre sur la table que cette vieille machine à écrire qu’il a récupéré chez son vieil oncle Jean, l’année dernière. Il glisse une première feuille et écrit : « Exercice du jour : raconter une histoire, d’un seul jet, sans savoir de quoi traitera l’histoire en la commençant et sans retirer une seule ligne une fois l’histoire terminée. Une histoire, d’un seul jet. Amuse toi, écrivain du dimanche ! ». Il arrache la feuille. Il lit l’énoncé. Le lit de nouveau. L’homme sourit.

Il écrit :

« J’aurais jamais dû laisser cette fenêtre ouverte, bordel! Jamais ! Pourquoi moi putain ! Comment j’vais faire ? Putain j’suis mal ! Ça craint cette histoire, j’suis vraiment mal. Ils vont jamais me croire ces cons. Ça craint ! » Des heures passent ainsi. Alban tourne en rond. Il panique. Il n’arrive pas a mettre ses idées au clair. Il a peur. Il s’assoit, prend sa tête dans ses mains et pose ses coudes sur ses genoux. Après cinq minutes de silence son voisin lui demande:

-Qu’est ce que t’as fait ? Pourquoi t’es là ?

Pour seule réponse, le silence d’Alban. Les coudes toujours enfoncés dans les cuisses, il pleure. Il ne peut contenir ses larmes. Il est perdu. « Qu’est-c’qui va m’arriver bordel ? Comment ça va finir ce merdier ? »

Entendant les sanglots d’Alban, son voisin repart à l’abordage :

-Hey ! Oh ! Pourquoi t’es là ? Qu’est c’qui t’arrive ? Raconte.

Alban lève sa tête pleine de peur. Ses yeux rouges de terreur fixe son voisin:

-Qu’est-ce que ça peut bien te foutre, c’qui m’arrive ! Ça va t’soulager si j’te raconte ma galère, c’est ça? finit-il pas dire, la voix tremblante.

-Raconte déjà, j’te dirais après si ça ma soulagé ! Qu’est c’que tu fous en taule ? Qu’est c’que t’as fait?

-J’suis routier, se lance-t-il. J’ faisais une pause la nuit dernière sur l’autoroute en direction de la capitale. Je dormais quand j’ai entendu du bruit dans la remorque. Quand j’ai ouvert ma porte, j’ai vu partir en courant trois ou quatre types, des ombres. J’ai vérifié la porte du camtard. Tout était en ordre. J’suis allé m’recoucher.

A ce moment du récit, Alban s’arrête. Après un long silence respecté par son voisin de cellule il reprend : « Ensuite, ch’ais pas, deux heures plus tard, des flics ont déboulés d’un coup dans ma cabine en hurlant que j’étais en état d’arrestation ! Ils me braillent que je suis arrêté pour meurtre ! » Son visage se crispe. Les mains d’Alban deviennent des poings. Il se lève et frappe le mur blanc de la cellule, tel un boxeur challenger et hurle en direction du couloir : «  S’il vous plaît ! S’il vous plaît ! » Le couloir reste silencieux, méprisant. « Mais putain quoi ! Écoutez moi ! Y’a quelqu’un ? J’ai rien fait bordel ! S’il vous plaît ! »

-Arrête toi l’ami, lui conseille son voisin. Tu va te casser la voix, c’est tout ce que tu vas obtenir. A c’te heure là, y a personne. Cherche pas. Garde tes forces. Un silence puis, il reprend. Tu me casses les noix à hurler comme ça, comme un gamin. Tais toi !

-Garder mes forces ! Lâche Alban, hurlant sur le même ton. Mais putain lâche moi toi, sans déconner ! Lâche moi ! J’ai pas besoin d’un grand frère de mes deux pour m’en sortir ! Il vont bien finir par me croire. Ta gueule !

-Reste poli mon vieux ! Dans cette cellule, soit tu fais en sorte qu’on soit copain soit tu fais en sorte qu’on soit ennemi. Mon dernier ennemi est mort. Et tu sais quoi, c’est pour ça que je suis là !

-Et moi ch’uis pas un tueur mec ! Ok ! Tu me lâche bordel avec tes conneries ! Putain, mais qu’est c’que j’fous ici putain !

De plus belle Alban hurle. Il hurle pendant une heure. Son voisin ne bronche pas, il en a vu d’autre.

« Ça craint, ça craint un max. Y’a pas un rat dans cette taule a part ce gros con et moi ! Ils sont où ces connards de flics ! Et pourquoi j’ai pas pu appeler d’avocat ? Combien de temps j’vais poireauter ici avec ce barjeot ? »

Après cette nouvelle série de questions dont il n’a pas les réponses, Alban lâche les barreaux de la cellule et s’allonge sur sa couche, un simple matelas crade et humide. Il s’endort, épuisé d’avoir peur.

Quand il se réveille, son voisin, assis en tailleur sur son matelas pas moins crasseux ni humide que celui d’Alban, le fixe du regard. Alban est calme. Il regarde sa montre, il vient de dormir trois heures.

-T’as buté quelqu’un sur l’autoroute ? lui demande d’une voix basse, le voisin.

-C’est quoi ton nom ? interroge Alban.

-Appel moi Zan, c’est mon surnom depuis que je suis gosse, j’en bouffais des tonnes.

-Ok Zan. Dans les champs derrière le parking de l’autoroute, les flics ont trouvé le cadavre d’une femme. Me demande pas pourquoi, mais le couteau qui a servi au tueur était dans ma cabine et quand les flics m’ont réveillé, j’avais du sang sur les fringues. Le sang de la femme.

-Je vois. T’es mal là !

-J’ai rien fait ! J’l'ai pas tué ! J’ai tué personne ! répond Alban, calmement.

-L’arme et le sang sur tes fringues ?

-Ch’ais pas ! J’dors toujours la fenêtre ouverte. Ils ont dû balancer la lame et faire couler du sang par cette putain de fenêtre ! Pour mettre les flics sur une mauvaise piste! « J’aurais jamais du laisser cette foutue fenêtre ouverte, bordel ! C’est trop con ! ».

-Mission réussie. Ils sont tranquilles, pas toi. lui répond Zan.

Le silence s’installe de nouveau dans la cellule. Zan s’allonge. Maintenant qu’il a les réponses à ses questions, tout va bien. Il peut se reposer.

Du bruit dans les escaliers. « Ils arrivent ! ». Alban se jette sur les barreaux.

Trois gardes en uniforme marron font face aux deux prisonniers. L’un d’eux fait un pas en avant et, d’un geste sec du menton, demande à Alban :

-Approche, c’est l’heure de vérité ! Les deux autres esquissent un sourire tordu, des plus menaçant.

Alban, un maton dans le dos et les deux autres devant lui, avance à petits pas les mains attachées par des menottes serrées trop fort. Dans le couloir les matons jouent au plus fort. Ils veulent en mettre plein la vue au prisonnier, faire monter la pression. C’est plus facile d’interroger un suspect terrorisé. Et ça fonctionne. « Putain ! Quelle bande de cons ! C’est bon, arrêtez vos conneries ! J’suis pas un tueur ! Mieux vaut ne pas les brusquer d’avantage. Tais-toi Alban ! »

Un instant plus tard, un quatrième garde vient se joindre au groupe. Il demande :

-Jacques ! Vous allez où comme ça avec lui ?

-Au grenier, répond le plus vieux des gardes. Sous les toits. Ordre du patron, dit-il avec un brin d’ironie.

-On va crever de chaud là-haut, intervient Sam. Organiser des interrogatoires au grenier en plein été ! Il en a de bonnes le dirlo !

-T’as qu’a le lui dire au boss que t’es pas heureux Sam ! Glousse le doyen du groupe.

Les escaliers de bois grincent au passage des hommes. « Dans quel trou j’suis tombé ici ? C’est dégueulasse ! Comment se bâtiment tout pourri tient-il debout. Un coin crasseux pour des flics et des prisonniers crasseux. Je pue, c’est une horreur ! »

-Encore un étage les mecs, grince Sam, en cognant, comme si de rien n’était, l’épaule d’Alban.

-Deux heures de folie et après, apéro et grillades, reprend-t-il. C’est con, toi tu vas rester au trou un bon moment, ajoute-t-il en regardant le prisonnier de biais.

« Quel connard ce type ! Ok, c’est lui qui va jouer le rôle du méchant. Le gentil c’est qui ? Le vieux ! Reste cool, reste cool. »

Une fois au grenier, au cinquième, les hommes sont essoufflés. Plus personne ne parle. La porte s’ouvre sur une petite pièce aussi sombre que le cœur d’une pierre.

-Assis toi là, dit le vieux, en montrant à Alban la ridicule chaise de bois posée en face du bureau. Alban s’exécute. A peine est-il installé que Sam lui flanque une gifle à déboucher les artères. Alban s’écroule. Comme ses mains sont toujours attachées dans son dos, il ne peut se relever. Le prisonnier garde un silence qui n’en est pas un car dans sa tête, il hurle sa colère. Le vieux l’aide à se relever et l’installe de nouveau sur la chaise qu’un maton a replacé, le dossier contre le bureau. Alban fait face aux quatre gardes, le bureau dans le dos. Alban ouvre la bouche mais n’a pas le temps de dire le moindre mot car Sam lui décoche un violent coup de poing dans l’estomac. Dans la même seconde, le garde au rôle de méchant, soulève Alban par le col de sa chemise, dont deux boutons blancs cèdent. Le bruit sec et doux de ces deux boutons qui roulent sur le plancher précède celui, plus sourd, du nez du prisonnier, qui lui, cède, quand Sam le frappe d’un coup de tête. De nouveau Alban se retrouve au sol. Il gémit. Il vomit.

-Qu’est-c’qui te prends non de dieu ! T’es con ou quoi ! hurle Jacques en se penchant sur le blessé.

-Lâche moi Sam, ce mec mérite une trempe ! C’est un tueur de gonzesse !

Alban, laisse le vieux le redresser une seconde fois. Quand, furtivement, il passe devant Sam, il lui crache au visage le sang qui lui inonde la bouche. Sam hurle de colère et se jette sur le prisonnier. Les trois autres gardes se jettent sur Sam pour le contrôler. Le bureau et les chaises volent. Tous les hommes, excepté Alban qui se tient debout près de la fenêtre, hurlent. Deux gardes, non sans mal, emmènent Sam dans le couloir. La porte se referme. En silence, le vieux remet le mobilier en place. Il s’installe derrière le bureau. Le silence est lourd, très lourd. Cinq minutes passent ainsi, les deux hommes se défiant du regard.

-Assis toi, demande t-il au prisonnier. Alban enjambe la chaise et s’assoit. De nouveau le silence s’installe. Au loin on entend Sam qui hurle et du mobilier glisser sur le plancher, le faisant vibrer.

-Excuse mon collègue, il est un peu…un peu con ! « c’est rien de l’dire ! Enfoiré ! »

-Il faut que vous m’écoutiez monsieur, s’il vous plaît ! Je n’ai pas tué cette femme ! Je suis innocent !

-On a des témoins qui affirme t’avoir vu sortir du camion, on a l’arme du crime dans ton camion et du sang plein tes fringues. Explique moi ça, tu veux !

-Vous pouvez me détacher. J’ai besoin de me rincer le visage. Votre…collègue, m’a éclaté la gueule !

Le vieux se lève, fait le tour du bureau, sort un mouchoir de la poche intérieur de son pas moins vieux veston et essuie, d’un geste furtif, la bouche du prisonnier.

-J’imagine qu’ils ont balancé tout ça par la fenêtre, pour faire diversion. Il faut que vous me croyez, s’il vous plaît ! J’peux pas aller en prison !

-C’est un peu léger comme explication. Il…Alban le coupe:

-Vous avez trouvé ma trace ADN sur le couteau! Ça m’étonnerais ! « Pourvu qu’ils n’aient rien trouvé, pourvu qu’ils n’aient rien trouvé ! »

-Quand bien même il n’y aurait pas ton ADN sur le couteau, ça ne prouve pas que tu sois innocent !

-Comment ça va finir cette histoire ? Pourquoi n’ai-je pas parlé à un avocat ? J’ai droit à un avocat ! hurle Alban.

Le vieux se lève, reste dix secondes devant Alban, et, en silence, s’approche de la porte. Il est dans le couloir. Au moment de refermer celle-ci, il arrête son geste, passe la tête dans l’entrebâillement et dit à Alban :

-Dans ton pays, t’as peut-être droit à un avocat. Un silence. Mais t’es pas dans ton pays. Il reprend son geste pour fermer la porte et, au dernier moment, l’ouvre de nouveau pour dire :

-Sois coopératif. Réfléchis un peu à tes perspectives ! La porte se referme. Alban est seul, toujours attaché.

Le sang, plus faiblement, continu de couler le long de son cou et sa chemise en est couverte. Il sent son cœur battre dans ses tempes. Il tremble et ses mains gonflées ne cessent de s’ouvrir et de se refermer, au rythme de son cœur. Une larme coule sur sa joue et vient se mêler au sang et à la sueur qui glissent sur ses lèvres. D’un coup de langue, il nettoie sa bouche. Il se penche sur sa cuisse gauche et vient essuyer sa joue droite, laissant ainsi une traînée de sang sur son pantalon de toile. Il tourne la tête de gauche à droite, il est perdu. Il passe ainsi une bonne heure, ne sachant pas quoi penser ni quoi faire. « Comment j’vais me sortir de cet enfer ! ». Les larmes brouillent ses yeux.

On vient.

La porte s’ouvre sur Jacques et deux nouveaux gardiens. Le vieux prend sa place au bureau et les deux jeunes flics eux, restent debout, entourant Alban.

-C’est une fournaise là-d’dans souffle le vieux. Ouvre donc Philippe, tu rendras service à tout le monde ! Quand le garde ouvre la fenêtre, un souffle d’air frais pénètre dans la petite pièce et fait voler les feuilles que le vieux vient de poser sur la table. D’un geste rageur, il rassemble ses document et demande à Alban :

-Alors ! A-tu quelque chose à nous dire ? As tu réfléchis petit?

-On n’a pas garder les vaches ensemble dit le prisonnier en parlant dans des moustaches qu’il ne portent pas.

-OK ! Reprenons. Soit tu passes aux aveux, soit tu passes aux aveux, comme tu veux !

Une deuxième bourrasque sème les papiers du vieux à travers la pièce. Les deux jeunes matons, plein de bonne volonté, s’affairent, aux quatre coins de la pièce, à récupérer les documents. Le vieux, peste et jure sous le bureau, Alban se lève, d’un coup de pied fait glisser sa chaise sous la fenêtre, prend deux pas d’élan et se jette dans les airs, la tête en avant. Il s’écrase sur le sol.

Les trois hommes, dans la pièce, n’ont rien pu faire.

-Merde, merde et merde ! glapît le vieux en rejoignant les deux autres qui se penchent par la fenêtre.

Pendant une minute le silence règne. Les trois flics ont les yeux rivés sur le corps démantibulé d’Alban. Une voix perce le silence :

-J’aurais jamais dû laisser cette fenêtre ouverte !

 Fin.

Le rouquin, toujours bien installé sur sa table de jardin, retire la dernière feuille de la vieille machine à écrire de son vieil oncle Jean. Il relit les quatre feuilles qui composent son exercice du jour. Il sourit, il s’est bien amusé. Les quatre feuilles et l’histoire d’Alban lui serviront à allumer son feu quand la nuit, tout à l’heure, s’installera.

Voyagez plus pour vivre plus !

(21h : Je sais suis plutôt du genre lent !)


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