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Censure vs BD : Les Schtroumpfs (2 sur 3)

Publié le 03 avril 2012 par Edelit @TransacEDHEC

Après « Tintin contre Bienvenu Mbutu Mondondo », il est temps qu’un autre grand de la BD se confronte à un super détracteur. Cette fois Les Schtroumpfs et leurs frasques immorales seront disséquées méthodiquement par un enseignant à l’IEP de Paris, j’ai nommé Antoine Buéno.

Les Schtroumpfs : Un village si décadent ?

Nouveau ! Calé entre le Schtroumpf raciste et le Schtroumpf communiste : Le Schtroumpf antisémite. En fait, malheureusement, ces trois grandes rumeurs planent depuis longtemps au-dessus de l’œuvre de Peyo. Commençons par le plus célèbre, et le plus léger (actuellement) : les schtroumpfs sont une allégorie du communisme. Ce sujet déchaîne les passions, et ce depuis la parution du premier tome des schtroumpfs. Souvent posé en question pour les débats scolaires, on trouve sans cesse de nouvelles preuves et de nouveaux éléments confirmant ou infirmant la thèse. Cela n’est pas vraiment le sujet d’aujourd’hui mais cela peut être une piste de réflexion pour les autres thèmes que l’on va aborder. Tout ceci ne serait-ce pas qu’une question d’époque ?  Car qualifier les schtroumpfs de communistes était un cas extrêmement grave il y a une trentaine d’années, une controverse méritant bien plus qu’une joute verbale à la rentrée de l’EDHEC.

Un Science-po schtroumpf l’affaire

Pourtant l’été dernier, Le petit livre bleu relance la polémique. Ecrit par Antoine Buéno, écrivain et enseignant-chercheur à Science Po Paris en science politique, ce livre s’attaque aux Schtroumpfs de façon très argumentée, posée, bien loin des critiques aveugles que l’on a l’habitude de voir. Pour résumer, l’auteur nous laisse le choix d’interpréter le village des Schtroumpfs comme une société communiste ou nazie. Le communisme, comme on l’a vu précédemment est relativement facile à détecter (société autarcique, bannissant l’argent, la figure du « petit père du peuple » à travers le Grand Schtroumpf etc…), mais le côté nazi ressort d’une analyse plus poussée et assez novatrice. Buéno nous présente le Schtroumpf nazi : un mélange de racisme, d’antisémitisme et de sublimation de la race aryenne.

Idées Noires

Selon Buéno, et beaucoup d’autres détracteurs, Les Schtroumpfs regorge d’allusions racistes, dont le fer de lance est, ni plus ni moins, l’album Le Schtroumpf Noir. Dès le premier volet de sa série phare, Peyo aurait donné le ton ? C’est vrai que le syndrome apparait comme une maladie dégénérescente, rendant violent, cannibale et volant la capacité d’élocution. Tout pour réduire nos pauvres petits hommes bleus en sauvages et bêtes hommes noirs. Les schtroumpfs contaminés perdent tous ce qui faisait leur force : fraternité, soutient, ingéniosité, culture. Le combat noir / bleu n’est rien de plus qu’un combat entre la nature primaire et la civilisation, avec une volonté de ces derniers à remettre les premiers dans le « droit chemin ». Cela ne vous rappelle-t-il pas une vague période qui avait déjà coûté cher à notre cher ami Tintin ? Un relent de la colonisation transparaitrait dans l’œuvre de Peyo (un Belge, pour changer), avec les Schtroumpfs « normaux », civilisés, qui doivent « soigner » leurs comparses devenus (ou est-ce leur état primaire qui s’est réveillé sous la piqure de la mouche?) sauvages. Des envahisseurs bons à rien d’une autre couleur qui se multiplient en mordant la queue des gentils et honnêtes travailleurs… Une polémique raciste qui n’a pas loupé d’être censuré devinez où…? Aux Etats-Unis ! L’astuce consistant à passer d’une couleur rappelant la communauté afro-américaine, et donc sujet à controverse, à une couleur… violette!, « neutre » pourra-t-on dire.

Pourtant cette infestation a plus tendance à rappeler une banale attaque de zombies, qui rassemblent, cette fois sans interprétations vaseuses, tous les traits caractéristiques des Schtroumpfs Noirs. Et la couleur noir (en considérant que le noir est une couleur) fait écho aux croyances populaires du mal allégorisé par le noir, la magie noire etc. De plus l’album est paru en 1963, époque où l’hégémonie colonialiste et la doxa s’y associant commençaient largement à s’estomper. Peyo, à la différence d’Hergé, ne pourra donc même être taxé de reflet de son temps sur ce point-ci.

Une fille aryenne dans une société sexiste ? Huuumm…

Passons sur la polémique liée à Gargamelle, juif  machiavélique au nez crochus et à la cupidité en fait caractéristique de la figure des… sorciers. D’ailleurs Peyo était tellement antisémite qu’il a donné le nom de la femme juive de son meilleur ami au chat de l’infâme personnage… Ou quand l’analyse vire à l’obsession…

Par contre le cas de la Schtroumpfette est largement plus intéressant. Voyons un peu, c’est une fille un peu nunuche, bien manipulatrice, très séductrice, et extrêmement blonde. Pourquoi blonde ? Pourquoi pas ? Non ce n’est pas suffisant. Blonde parce qu’en étant unique elle représente la perfection du genre féminin pour son auteur, pour le village des Schtroumpfs… Ou pour la société ? De là à y voir l’apologie de la race aryenne il n’y a qu’un pas. D’autant que cette Schtroumpfette est un élément à part dans la société. Il y a un Schtroumpf boulanger, un Schtroumpf ébéniste, un Schtroumpf mécano… et un Schtroumpf fille. Qui doit rester à la maison préparer des petits plats. Qui doit être coquette. Qui doit s’évertuer à semer la zizanie par sa bêtise ou ses talents de séductrice dans un climat masculin de franche camaraderie. Le parfait Schtroumpf femme au foyer, parce que, mine de rien, la société en a quand même besoin. Surtout quand ces membres partent en campagne, loin de leurs précieuses terres, pour chercher leurs ressources vitales.

Encore une fois le délire est poussé extrêmement loin, mais ici aucun contre argument vraiment résilient ne fait surface. La Schtroumpfette ferait partie des personnages éminemment comiques, comme le schtroumpf farceur ou le schtroumpf à lunette, ce qui cautionnerait son caractère un peu nunuche ? Son portrait serait une analyse profonde (et très intéressante) de la condition féminine soumise à l’attention libidinale pressante d’un grand nombre de leur congénère ? Ces solutions manquent malheureusement de bases solides. Esquive habile du côté de l’auteur, Peyo aurait « énormément travaillé avant d’obtenir ce qu’il voulait, c’est peut-être pour cela qu’il n’y en a qu’une! » aux dires de son fils Thierry Culliford qui depuis sa mort reprend son œuvre avec le plus grand soin.

Ces analyses qui brisent nos rêves

A la lumière de cette analyse, on pourrait douter de la pertinence d’un tel livre voulant flageller une œuvre mythique, sans réellement y parvenir, mais tout en plantant des germes de réflexions qui n’en finiront plus de « gâcher » la lecture de nos classiques.  Car ses BDs ont bercé notre jeunesse, la dernière chose que l’on veut c’est que l’on nous soutienne que ces livres sont extrêmement dangereux, et pourrait même avoir influencé toute notre enfance. Rousseau a été le premier à développer l’idée que la moindre expérience de notre jeunesse peut avoir des conséquences irréversible sur la construction de notre être. Dès lors un sentiment de culpabilité nait en nous. Est-on vraiment imprégné de ces idéaux communistes ou nazis ? Sommes-nous en train de biberonner nos enfants aux systèmes totalitaristes malgré nous ? La lecture du soir ne sera plus jamais la même.

Non.

Nous saurons que nos enfants, comme nous à notre époque, seront capable de faire la différence entre une histoire et l’Histoire, entre des couleurs en BD et des ethnies, entre une potiche et une vraie femme. Puissent les magnifiques œuvres de Peyo bercer en paix encore beaucoup de générations de petits et grands enfants.

Timothée Guérin


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