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Berthe au Grand Pied

Par Mafalda

Avril_2012_021Une belle jeune fille, montée sur un magnifique palefroi, s’avançait vers Paris à travers les routes de France, par une belle matinée de printemps de l’an 737. Elle était fille du comte de Laon, et se nommait Berthe. On l’avait surnommée Berthe au Grand pied, car, dit la légende, elle avait un pied légèrement plus grand que l’autre.
Elle était accompagnée de deux femmes, la mère et la fille, ses suivantes ; et de son cousin Tybers qui commandait les hommes d’armes qui lui servaient d’escorte. Elle se rendait à la cour du roi Pépin le Bref qui, sur le bruit de sa merveilleuse beauté avait demandé sa main, et l’attendait pour s’unir à elle.
Mais malgré les brillantes destinées qui lui étaient promises, Berthe se montrait soucieuse.
Son inquiétude lui était inspirée par les propos insinuants des deux femmes qui voyageaient avec elle, la jeune Aliste, qui offrait une extraordinaire ressemblance avec sa jeune maîtresse, et sa mère Margiste. Cette dernière dépeignait sournoisement à Berthe le roi Pépin le Bref comme un montre qui lui réservait les plus mauvais traitements. Vous pensez bien qu’elle avait  un projet secret, qu’elle ne devait pas tarder du reste, à mettre à exécution.
« Hélas ! Disait Berthe en soupirant, faudra-t-il que j’aie quitté les tendresses de mère pour vivre à côté d’un époux barbare et cruel ! »
Margiste entretenait perfidement ces craintes, qui augmentaient à mesure que le voyage avançait. Quand vint le dernier jour, voyant Berthe tout à fait effrayée, elle osa lui proposer de changer de vêtements avec Aliste et de laisser présenter au roi comme sa fiancée, cette dernière.
« C’est par dévouement que je vous fais cette offre, disait l’hypocrite. De cette façon vous éviterez le danger, et si le roi n’est pas aussi méchant qu’on le représente, vous pourrez le lendemain reprendre votre place. Aliste vous ressemble tellement que personne ne s’apercevra de rien. »
Berthe eut la faiblesse d’écouter ce conseil. Tybers, gagné par les suivantes, se prêta à cette trahison. Le lendemain, Aliste couverte des riches habits de sa maîtresse arrivait à la cour, et, la nuit, suivante, Berthe saisie par des assassins à qui Margiste avait promis une grosse somme d’argent, fut conduite dans la forêt du Mans pour y être égorgée.
Peu de jours après, au milieu de grandes réjouissances, Aliste épousait le roi et montait sur le trône de France.
… Il y avait quatre que ces faits s’étaient passés, quand Blanchefleur, mère de Berthe au Grand pied, qui ne connaissait pas le sort de sa fille et la croyait reine, résolut de venir la voir. Elle partit en grand apparat, se promettant une grande joie de revoir son enfant si tendrement aimée. Mais ce qu’elle entendait sur la route n’était pas pour la satisfaire. Aliste se montrait aussi méchant et avare que Berthe, dont elle avait pris le nom, était bonne et généreuse. Aussi en voyant passe le cortège de Blanchefleur, les gens disaient :
« Voilà la mère de la plus méchante reine qui ait jamais existé. »Avril_2012_020
Ces propos venaient aux oreilles de la voyageuse et lui causaient la plus grande peine.
Enfin Blanchefleur arriva à Paris.
Vous pensez qu’Aliste conçut une grande inquiétude de cette visite et des conséquences qu’elle pouvait avoir. Une mère n’est pas facile à tromper. La jeune femme de Pépin le Bref, montée sur le trône par un crime, eut peur d’être démasquée. Elle résolut de feindre une maladie et se se servir de ce prétexte pour ne pas montrer son visage à la mère de Berthe.
Quand celle-ci se présenta au palais, le roi Pépin vint au devant d’elle et lui annonça que sa fille malade en ce moment, était couchée dans une chambre obscure par ordre du médecin et ne pouvait la recevoir. La reine Blanchefleur en ressentit une grande douleur.
« Ma fille est donc bien changée, dit-elle, les larmes aux yeux, qu’elle ne veuille pas voir sa mère quand elle est malade ? Autrefois elle ne pouvait pas se passer de mes tendres soins. »
Blanchefleur entra néanmoins dans la chambre obscure où Aliste était couchée, espérant au moins entendre la voix de Berthe et lui prodiguer ses caresses. Aliste, surprise, se retourna vivement sans pouvoir s’empêcher d’exprimer à haute voix sa colère et son dépit.
Blanchefleur s’arrêta un moment, frappée d’étonnement douloureux. Mais, trop d’inquiétude était entrée dans son esprit pour qu’elle ne cherchât point à savoir si c’était bien Berthe qui lui faisait une telle réception.
« Ce n’est pas possible, dit-elle, que l’on ait à ce point changé le cœur de ma fille, et qu’elle m’accueille ainsi par des paroles de haine ! »
A ces mots, Blanchefleur alla prendre un flambeau et rentrant dans la pièce où Aliste était couchée, elle s’approcha du lit et arracha les couvertures, de façon à lui découvrir les pieds;
Aliste tenait son visage caché dans ses mains ; mais Blanchefleur s’écria :
« Ce n’est pas ma fille, ce n’est pas Berthe au Grand pied ! Mon Dieu ! Qu’a-t-on fait de mon enfant ? On l’a tuée ! »
Avril_2012_022A ces cris, tous les habitants du palais et le roi lui-même accoururent dans la chambre de la fausse malade. Quand il sut de quel crime elle était accusée, Pépin voulut que sa femme se justifiât. Mais Aliste troublée ne put que balbutier quelques mots. Pressée de questions, elle finit enfin par avouer la fourberie qui l’avait fait monter sur le trône.
Fou de colère, le roi assembla sur le champ ses barons pour juger les coupables. Margiste fut condamnée à être pendue et Aliste aurait subi le même sort si elle n’avait été mère de deux jeunes princes. On se borna à l’enfermer dans un cloître pour le reste de ses jours.
Après la juste punition des coupables, Blanchefleur désolée regagna toute en larmes son manoir en deuil.
… Moins de six mois après, le roi Pépin chassait dans la forêt du Mans, lorsqu’il aperçut au pied d’une croix une jeune fille d’une merveilleuse beauté.
Il s’approcha d’elle et lui demanda qui elle était.
« Je suis la fille adoptive du garde Simon, dit-elle.
- Où demeure cet homme ? Interrogea le roi.
- Dans cette maison, seigneur, » dit la jeune fille en étendant le bras vers une maisonnette que l’on apercevait à travers les arbres.
Le roi se rendit chez Simon, et le garde lui apprit qu’il avait trouvé, quatre ans auparavant, cette pauvre fille errant dans les bois et qu’il l’avait gardée depuis.
Pressée de questions et rassurée par la bienveillance royale, la belle inconnue consentit enfin à avouer le malheur qui lui était arrivé. De méchantes femmes l’avaient livrée à des soldats pour être assassinée dans la forêt.
Par bonheur, parmi ceux qui devaient exécuter cet ordre sanguinaire, s’en trouvait un moins endurci que les autres qui prit en pitié la malheureuse victime. Quand le sinistre cortège fut parvenu au plus profond de la forêt, la jeune fille comprenant le sort qui  lui était réservé, se traîna aux pieds de ses bourreaux, les suppliant d’épargner sa vie. Le soldat fut touché par ses larmes et réussit à empêcher ses complices d’accomplir leur forfait.Avril_2012_023
Pendant plusieurs années, l’inconnue était donc restée dans cette pauvre maison perdue dans les bois, entre Simon et sa femme, filant de la laine.
Le roi, troublé par ce récit, pressa l’infortunée de lui dire son nom ; elle voulut le taire ; mais Pépin n’avait pas été sans remarquer sa ressemblance frappante avec Aliste, et il comprit qu’il était en présence de la victime de cette méchante femme.
Berthe, car c’était elle en effet, se voyant reconnue, se jeta aux pieds du roi, qui la releva avec émotion.
Le jour même il ramenait en grande pompe dans son palais son ancienne fiancée, et quelques jours plus tard l’épousait en présence de toute la cour.
A partir de ce moment, la reine Berthe au Grand pied ne connut plus que la prospérité.
Elle régna longtemps, donnant l’exemple de toutes les vertus. L’aîné de ses enfants fut Charlemagne.
Félix LAURENT


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