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LA REINE HORTENSE, d'après Maupassant

Publié le 07 avril 2012 par Dubruel

3883356679_9f97bfb7fe.jpgOn l’appelait à Lens

La reine Hortense.

Pourquoi ? Personne ne sut jamais.

Parce qu’elle était sèche et impérieuse,

Grande et osseuse ?

Peut-être parce qu’elle parlait

Ferme comme un officier.

Peut-être parce qu’elle dirigeait tout.

Peut-être parce qu’elle régnait

Sur un peuple de perruches, de serins,

De poules, de chats, de toutous,

De moutons, de caprins…

D’ailleurs pour ces animaux,

Elle n’avait ni gentils mots,

Ni gâteries, ni tendres familiarités.

Elle les gouvernait avec autorité.

C’était en effet une vieille fille,

Une de ces vieilles filles

À la voix cassante,

Au geste sec, à l’âme repoussante.

Elle n’admettait jamais ni contradiction,

Ni réplique, ni hésitation.

Elle n’allait pas à l’église

Et appelait la religion

Marchandise à pleureurs.

Depuis trente ans, elle habitait

Une petite demeure

Avec un petit jardin sur le devant.

Elle avait en ville quelques amis fervents.

Le soir, on l’invitait de temps en temps.

Mais dans ces réunions,

Elle s’endormait inévitablement.

Elle s’occupait à mille besognes de garçon,

Menuisant, maçonnant

Jardinant,

Coupant le bois à la scie,

Réparant sa maison vieillie.

Elle avait des parents

Qui la venaient voir deux fois l’an ;

Les Cimme et les Colombier,

Ses deux sœurs ayant épousé

L’une un barbier, l’autre un petit rentier.

Les Cimme n’avaient pas de descendants ;

Les Colombiers avaient trois enfants :

Henri, Paule, et Armand.

Henri avait vingt ans,

Paule dix-sept, Armand trois ans seulement,

Étant venu alors qu’il semblait impossible

Que sa mère fût encore fertile.

Nulle tendresse entre la vieille fille

Et sa famille.

Au printemps de l’année 1882,

La reine Hortense tomba malade.

Sa voisine appela le médecin

Qu’elle chassa.

Un prêtre lui fut présenté.

À demi-dénudée,

Elle se leva.

Affolé, il prit congé sur le champ.

Jeanne, sa bonne, lui donna un médicament

Et appela ses deux sœurs.

Les Cimme et les Colombier

Arrivèrent vers onze heures.

Cimme, petit personnage anémié

Demanda :

-Eh bien ! Jeanne, ça ne va pas ?

La bonne gémit :

-Elle ne me reconnait seulement pas.

Le médecin dit que c’est fini.

Tout le monde se regarda.

Cimme se tourna vers son beau-frère,

Homme pâle, jaune et maigre,

Ravagé par une maladie du foie.

Et qui boitait affreusement.

Il prononça à mi-voix :

-Bigre ! il était temps.

Les différents membres

De la famille entrèrent dans la chambre.

Les mains de la mourante s’agitaient,

S’ouvraient, se refermaient.

Les doigts remuaient

Comme si une pensée les eut animés,

Comme s’ils eussent indiqué des idées.

Le reste du corps restait

Immobile sous les draps blancs.

La figure n’avait pas un tressaillement.

Les yeux demeuraient clos.

Elle prononçait des mots,

Appelait des personnes imaginaires :

« Mon petit Philippe, embrasse ta mère.

Tu l’aimes bien ta maman.

Dis, mon enfant,

Rose veille sur ta sœur Amélie

Pendant que je serai sortie.

Ne la laisse pas seule, tu m’entends

Et je te défends

De toucher aux allumettes.

Henriette !

Dis à ton père de venir me parler

Avant d’aller travailler.

Je suis un peu souffrante aujourd’hui.

Ne rentre pas trop tard, chérie.

Tu diras à ton directeur

Que j’ai mal au cœur.

Il est dangereux, tu comprends,

De laisser seuls les enfants

Quand je suis au lit.

Je vais faire un plat de riz.

Les petits aiment beaucoup cela.

Elle sera contente, Paula ! »

 Puis la reine Hortense eut un rire bruyant.

« Quelle drôle de tête il a, Jean !

Il s’est barbouillé avec la confiture !

Regarde donc sa figure ! »

M. Colombier murmura :

-Elle rêve qu’elle a des enfants et un mari.

C’est l’agonie.

La bonne prononça :

-Faut retirer vos chapeaux et vos châles.

Voulez-vous passer dans la salle ?

-Oui, Jeanne, maintenant on va manger.

C’est malheureux d’être venus ici,

Il ferait si bon dans la campagne aujourd’hui.

Tu nous fais quoi pour le déjeuner ?

-Une omelette et un faux-filet

Avec des pommes rissolées.

La mourante appelait toujours ses enfants,

Les habillait, les caressait.

Elle apprenait à lire à Simon :

« Répète A B C D. Tu ne dis pas bien, voyons ! »

Cimme prononça :

-C’est curieux ce qu’on dit à ces moments-là.

Mme Colombier alors demanda :

-Faudrait retourner la voir.

Cimme l’en dissuada :

-Vous pensez pouvoir changer son état ?

Nous sommes aussi bien là.

On se mit à table à une heure.

Cimme goûta le vin :

-Dis donc Jeanne, il n’y a rien de meilleur ?

-Si, monsieur, il y a du Chambertin.

-Va nous en chercher. Qu’est-ce que tu attends.

On le goûta. Il était excellent.

-Combien en reste-t-il,

Ma fille ?

-Oh ! presque tout, monsieur ;

Mam’zelle buvait très peu.

La reine Hortense parlait encore

Mais de moins en moins fort.

Quand on eut achevé le café,

Tout le monde alla constater

L’état d’Hortense,

Sauf Cimme qui ne se dérangea pas,

N’aimant point ces choses-là.

Elle semblait proche de la délivrance

Et criait d’un cri déchirant :

-Je ne veux pas mourir, je ne veux pas !

Je ne veux pas !

Qui élèvera mes enfants ?

Qui les soignera ?

Qui les aimera ?

Non, je ne veux pas !

Sur le dos elle se renversa.

C’était la fin.

Colombier appela Cimme : -Venez vite,

Arrivez vite !

Je crois qu’elle vient de passer.

Cimme vint

Et dit : -C’a été moins long que j’aurais pensé.

Hélène HUMERT

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Vieillir est ennuyeux, mais c’est le seul moyen que l’on ait trouvé de vivre longtemps.

Sainte-Beuve

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