En cette période électorale, je me dis que « Le changement dans la continuité » est une parodie de slogan qui aurait pu être écrite pour les shōnens… Ça tombe bien c’est le thème du jour !
Après One Piece, Naruto et Bleach, intéressons-nous cette fois-ci à Soul Eater, la tête d’affiche de Square Enix / Kurokawa signée par Atsushi Ohkubo. Le 19ème tome, en date du 22 mars, est l’occasion de rebondir, disserter et débattre de l’arc Eibon – Noah qui vient de s’achever. Après le réveil du Grand Dévoreur et dans le prolongement de la saga Arachné, que valent les dernières aventures de Soul, Maka, Kid & Black Star ?
Je vous laisse donc lire… Et réagir !
Attention [Spoil Inside !]
Pour recycler un personnage de manga, c’est la poubelle jaune ?
Pour peser correctement le pour et le contre, effectuons un petit retour d’un an en arrière, à quelques jours près. Nous sommes en mars 2011 et le tome 14 vient de sortir. Un mystérieux et obscur personnage vient de faire son apparition : maître Eibon. Censé être un illustre inventeur d’artefacts non-moins légendaires, le sieur est en fait un métissé beau-gosse, casquette vissé sur la tête et sweet noué autour de la taille. Yo !
Cet ersatz de bad boy n’est en fait pas l’ancêtre escompté mais un imposteur du nom de Noah. Afin de bien marteler au lecteur que cet adversaire n’est pas le premier venu, il éradique le puissant Mosquito (aka serviteur vampirique / boss de demi-niveau) et kidnappe dans la foulée notre jeune dieu de la mort, Kid. Fin du premier acte, fondu au noir…
Car pendant ce temps, il reste un arc arachnéen à finir… Ce que tente de faire Atsushi Ohkubo sans totalement y parvenir. Le mangaka choisit d’emprunter une voie facile et couvre ses arrières en évitant de faire mourir ses personnages, au cas où… Un processus commode mais à double tranchant : il limite la prise de risque et donne l’occasion de de conférer un peu de richesse et de densité aux personnages sous exploités. L’élite de la nouvelle promo de Shibusen, le spartoi, se forge petit à petit un avenir. À surveiller…
Mais de l’autre côté, pour un shōnen qui veut durer, le renouveau n’est pas une option. Qu’il s’agisse de reconversion, de recyclage, de renaissance peu importe le nom que prend la répétition : à trop forte dose c’est la lassitude qui s’installe.
Jusqu’ici Soul Eater se démarquait pourtant par une galerie de protagonistes et de héros plutôt brillants : Black Star & Tsubaki ou Kid & les jumelles sont d’efficaces têtes d’affiches, tandis que les seconds rôles tenus par les étudiants (Ox, Kirik) ou les enseignants (Franken) n’ont pas à rougir. Malheureusement difficile d’en dire autant pour le duo phare de la série : Soul & Maka. Alors que nos deux adolescents viennent de terrasser une sorcière et accèdent enfin au rang de Death Scythe, on pouvait s’attendre à une réelle évolution. Surtout lorsque l’auteur lui-même l’annonce, en préambule du tome 16…Mais non.
Le couple continue de faire du surplace et on s’étonne même qu’il puisse gagner en pouvoir alors qu’il stagne dans les même rengaines, entre manque de confiance et relation platonique. Cet arc ne sera donc pas celui de la maturité, ni pour l’histoire, ni pour nos deux héros. Un jour, peut-être, ils grandiront et ressembleront à ce fan-art :
Certes, il est difficile de garder tous ces protagonistes au top. Mais un scénario passif voir répétitif ne va pas non plus les aider : Chrona est à nouveau sous la coupe de sa mère Médusa et replonge dans la solitude et la folie, pendant que Justin, ex-Death Scythe et Giricco, ex-serviteur d’Arachné, vont venir prendre les postes d’hommes de main de Noah, faute de mieux. Dans cette bande le nouveau personnage du nom de Gopher est vaincu dès le début du cycle et peine à sortir de son rôle du fidèle adorateur frustré par le désintérêt de son maître. Et pourtant il survivra à ce dernier, pour être lui aussi ré-exploité ultérieurement. Combat – défaite – mort. On peut parfois échapper au triptyque, mais il serait bon de l’appliquer plus souvent…
Finalement le dernier arc Eibon ou est mauvais ?
Pendant plusieurs volumes Atsushi Ohkubo n’apporte donc pas grand chose de neuf à l’histoire et préfère développer la personnalité de ses rôles secondaires. Pendant ce temps Noah fait office d’imposteur de maître Eibon et pâle figure pour le poste de rival en chef… On nous ressert le coup du dresseur / collectionneur qui utilise son pokélivre pour envoyer quelques monstres lutter à sa place. Le bilan est donc plutôt décevant et on ne peut que regretter la présence précoce d’artifice à la Bleach dans une série qui compte pourtant moitié moins de tome.
Fort heureusement le graphisme et l’univers très personnel du mangaka restent des valeurs sures. Pendant que les personnages et l’histoire font du sur place, le trait d’Ohkubo continue d’avancer et d’évoluer pour se rapprocher de ses ainés en la matière, en gagnant en maîtrise et en volume. Ses délires graphiques sont dignes d’un Tim Burton qui aurait avalé un groupe de punk et ne sont pas sans remémorer, sur le principe, les excentricités jouissives de Yoshihiro Togashi à son époque Yuyu Hakusho.
Tout n’est pas non plus à jeter, loin de là, et la série continue délivrer quelques bons moments, en jouant sur l’humour noir ou la démesure, comme le prouve les réactions des élèves de Shibusen lors du retour de l’exécrable Excalibur dans le tome 18. Les quelques combats au corps à corps ou au pistolet avec Black Star, Kid ou Stein sont elles aussi des armes extrêmement efficaces et méritent à elles seules le déplacement… Même si elles se font trop rares et qu’on espère retrouver rapidement le niveau atteint dans les tomes 13 et 14 et leurs duels de haute tenue.
Avec ces derniers tomes, Soul Eater peine à négocier le virage du vingtième volume. Après deux arcs réussis, Atsushi Ohkubo essaye de se renouveler, mais force est de constater que l’intention a du mal à se concrétiser pour l’instant. Le graphisme et l’univers sont toujours aussi distrayants mais sans un némésis d’envergure et le scénario qui va avec, nos héros vont rapidement tourner à vide… Et dans le monde ultra-concurrentiel des shōnens, les lecteurs ne feront pas de cadeau !
Visuels © Atsushi Ohkubo / SQUARE ENIX Co. Ltd.