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Une année studieuse

Par Irreguliere

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En attendant ma mère, je mis de l'ordre dans ma chambre, dans la salle de bain. Je regardai avec curiosité mon reflet dans la glace, au-dessus du lavabo. Était-ce l'amour de Jean-Luc ? Je me découvrais jolie, avec quelque chose d'assuré que je n'avais pas avant de le rencontrer. J'étais amoureuse, je le voyais à l'éclat de mes yeux, dans mes traits affinés, mais est-ce que d'autres le verraient ?

C'est un des livres (je reviendrai plus loin sur l'appellation générique de "roman") événements de ce début d'année 2012, un livre dont on a parlé un peu partout.

En juin 1966, après 3 rencontres plus ou moins loupées, Anne Wiazemsky envoie, par l'intermédiaire des Cahiers du cinéma, une lettre à Jean-Luc Godard. Tout de suite il la rappelle, lui dit qu'ils faut qu'ils se voient, et la rejoint dans le sud de la France. C'est que le cinéaste de 36 ans était déjà, depuis quelques temps, amoureux de la jeune lycéenne de 19 ans, qui doit repasser le bac en septembre. Mais, malgré les années qui les séparent, ils plongent dans la passion amoureuse.

Alors, avant de donner mon avis, je vais m'agacer : je voudrais vraiment que l'on arrête d'estampiller "roman" des textes qui n'en sont de toute évidence pas. Il n'est pas honteux d'écrire des textes autobiographiques, et il n'est pas honteux non plus de les publier sous cette appellation. Alors je sais bien que le roman est le genre qui se vend le plus, mais enfin, pour faire vendre, on ne va pas non plus écrire "roman" sur tout et n'importe quoi. Donc ce texte est autobiographique, c'est comme tel que je le catégoriserai, quoi qu'en dise la couverture !

A part ça, j'ai beaucoup aimé. Alors je ne vais pas vous cacher qu'au début ce texte m'a mise diablement mal à l'aise, car je trouvais le principe un peu impudique, et le name dropping m'a quelque peu agacée, mais finalement, je me suis laissée embarquer. J'ai aimé l'écriture, le style fluide et agréable, Anne Wiazemski parvient parfaitement à retranscrire ses émotions d'adolescente, et c'est cet aspect qui m'a le plus charmée : voir cette jeune fille qui se transforme en femme. Au début, j'ai eu du mal à la cerner, j'avais l'impression d'une gamine égocentrique qui s'entiche d'un homme fragile de 17 ans son aîné, et dont elle ne sait que faire. 17 ans, ce n'est rien en fait, mais lorsqu'on est encore une enfant, c'est beaucoup. Et puis, l'amour grandit et elle grandit, et c'est particulièrement émouvant. On découvre Godard sous un jour nouveau : touchant, romantique, plein d'attentions, mais aussi peu sûr de lui, jaloux et possessif. En un mot, amoureux. Et à travers cette histoire d'amour, c'est aussi le portrait d'une époque qui nous est fait, une époque tiraillée, avec d'un côté la "France de tante Yvonne" incarnée par les Mauriac (je l'avoue : cet écrivain réactionnaire, grand-père d'Anne, me file de l'urticaire, même s'il apparaît dans le roman sous un jour plutôt sympathique il est vrai) et de l'autre les révolutionnaires gauchistes, Cohn Bendit jamais nommé directement mais dont Anne fait la connaissance à Nanterre, les milieux intellectuels d'avant mai 68. De ce point de vue, la maolâtrie de Godard apparaît clairement comme ridicule, puisqu'on sait aujourd'hui ce que la "Révolution Culturelle" admirée à l'époque a donné en termes de sang et d'horreurs. Mais bon, peu étaient visionnaires...

En tout cas c'est un livre que j'ai pris beaucoup de plaisir à lire et qui m'a appris pas mal de choses sur une époque que je connais assez mal, sur un milieu (celui du cinéma) que je connais assez mal aussi, avec en prime une très jolie histoire d'amour !

Une Année studieuse

Anne WIAZEMSKY

Gallimard, 2012


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