A propos de Twixt de Francis Ford Coppola
Val Kilmer
Aux États-Unis, Hall Baltimore, un écrivain de seconde zone débarque dans une petite bourgade pour y dédicacer son nouveau roman, un énième polar avec des sorcières. Mais alors qu’il déchante rapidement face à l’absence d’intérêt de la ville pour son livre, un sheriff lui propose d’écrire avec lui un nouveau thriller sur un crime collectif atroce survenu quelques années plus tôt. Hall refuse mais devant le chantage qu’exerce sa femme pour qu’il écrive un nouveau livre, se plonge dans le fait-divers et une nouvelle histoire à écrire…
Par où commencer ? Par quel bout prendre ce Twixt, clin d’œil ironique aux vampires de Twilight. Par le début sans doute, et le retour d’un banni d’Hollywood, Val Kilmer (Baltimore), au visage bouffi, dans le rôle d’un « Stephen King au rabais », comme l’appelle le sheriff en guise de présentation…
Twixt est un drôle de film et un mélange de genres truffé (trop parfois) de références. Troisième film de Coppola (après L’homme sans âge et Tetro) à être tourné en numérique et en noir et blanc, il confirme la nouvelle jeunesse cinématographique du réalisateur (pour ne pas dire la renaissance) et sa volonté d’être à la fois indépendant financièrement et libre dans ses choix artistiques. Comme dans les deux précédents opus cités plus hauts, Twixt consiste à nouveau en une réflexion vertigineuse sur le temps doublée d’un portrait tourmenté des relations au sein d’une famille.
A nouveau, Coppola privilégie les plans fixes mais invite beaucoup plus d’effets spéciaux à son spectacle. Effets spéciaux sur lesquels on reviendra. Hall Baltimore est un écrivain alcoolique et sur le déclin. Il voudrait arrêter d’écrire des romans de gare et se consacrer à des thématiques beaucoup plus personnelles (dont la perte de sa fille qui le ronge et dont il sent coupable), mais sa femme menace de détruire une œuvre originale de poèmes de Whitman s’il n’écrit pas un dernier polar. A l’image de sa dédicace dans une quincaillerie (à défaut d’être une librairie), la vie de Baltimore est déjà parti à vau-l’eau et a pris une sale tournure avant même le début du film.
Elle Fanning
Pour Coppola, toute cette histoire est prétexte à une incursion rapide dans le rêve et le fantastique qui sont autant de marques d’une perte de repères spatiaux-temporels qu’un effacement progressif des frontières entre le rêve et la réalité. Ce qui le ferait parfois tendre vers l’univers de David Lynch. Que les effets spéciaux paraissent de pacotille, les décors en carton-pâte et tous droits issus de la peinture romantique du XIXème siècle n’est pas le plus important.
Car il y a derrière le parcours de Baltimore une histoire très personnelle. Celle de Coppola lui-même, qui ne s’est jamais remis de la mort de son fils Gian-Carlo en 1986, dans un accident de hors-bord. A l’origine du scénario que Coppola a écrit lui-même, il y a un rêve qu’il fit à Istanbul, un rêve où il se vit parler avec le fantôme d’Edgar Allan Poe et une fillette aux dents couvertes de bagues.
Lorsque Baltimore accepte d’écrire un nouveau livre et se plonge dans le fait divers qui a traumatisé la bourgade des années plus tôt (12 enfants ont péri dans un massacre rituel), il est rapidement confronté au fantôme de Poe, lui-même hanté par la mort de sa première femme, Virginia.
A la tournure onirique que prend le scénario correspond la recherche désespérée de Baltimore d’une « fin béton » à son livre. Baltimore s’envoie autant d’alcool que de médicaments, comme s’il devait trouver absolument l’inspiration dans ses rêves et la défonce. Les rêves de Baltimore sont chargés de références gothiques et d’un romantisme pictural qui rappelle les œuvres de Casper David Friedrich.
A mesure que Baltimore s’enfonce dans ses cauchemars et que reviennent à sa mémoire les détails de l’accident et le jour précis où sa fille s’est tuée en bateau, le spectateur distingue de moins en moins ce qui est du domaine du rêve et de la réalité. L’enquête n’a jamais été résolue mais même la chute du film ne dit pas s’il ne s’agit pas d’une projection mentale de Baltimore.
Il y a en tout cas un paroxysme dans le film, une scène que l’on attend depuis le début mais qui est aussi remarquable que poignante ; c’est lorsque Baltimore, toujours accompagné du fantôme de Poe, se confie où plutôt confesse au poète américain mort en 1849 sa douleur et son immense tristesse d’avoir perdu sa fille. Le sentiment de culpabilité qu’éprouve Baltimore (sublime interprétation de Kilmer qui vient là affirmer haut et fort qu’il n’est pas mort, bien au contraire) explose, confondant de similitude avec celui de Poe et plus encore, de Coppola lui-même qui l’a évoquée plusieurs fois dans des interviews.
Cette scène émouvante, très personnelle comme le personnage de Baltimore, alter-ego de Coppola, vaut à elle seule le détour. Et son pesant d’or…
http://www.youtube.com/watch?v=gNjyFyjUsjU
Film américain de Francis Ford Coppola avec Val Kilmer, Elle Fanning, Bruce Dern, Ben Chaplin (01 h 29).
Scénario de Francis Ford Coppola :
Mise en scène :
Acteurs :
Dialogues :
Compositions de Dan Deacon et Osvaldo Golijov :