Dans la boîte aux lettres des presque quarante-cinq millions d’électeurs
inscrits sur le territoire français, une grosse enveloppe beige va être ou vient d’être déposée par les intérimaires des préfectures. Première partie.
Exercice de communication politique minimale et quasi-rituelle,
les professions de foi donnent un aperçu politique et personnel des candidats à l’élection
présidentielle. Ce sont quatre pages d’un format A3 plié en deux avec plus ou moins de couleurs. Les logos des partis se trouvent surtout à gauche (Hollande, Mélenchon, Joly et Poutou).
Petite analyse déjà réalisée
pour la précédente élection le 19 avril 2007, certes totalement subjective mais qui ne considère que la forme et presque pas le fond (j’en parle quand même parfois) en adoptant l’ordre de
passage officiel. Je n’ai fait aucune notation (les électeurs ne sont pas des scolaires) mais je donne mes impressions de lecture uniquement sur la forme, sans tenir compte de mes propres
opinions politiques.
1. Eva Joly (68 ans).
Le document de la candidate est très agréable à lire et très didactique.
La photo de la première page montre un air malicieux qui casse sa réputation de femme austère, tout comme la
photo de la quatrième page (avec des lunettes de couleur différente). Le problème cependant du très gros plan de la première page, c’est qu’il fait ressortir les rides de la candidate et accentue
donc son âge, ce qui ne l’avantage pas (au contraire de la photo de la deuxième page, la même mais en plus petit). Ici, le logo de son parti est bien mis en évidence (EELV).
Les deux pages centrales donnent un aperçu très lisible de son programme en cinq grands chapitres (un par
colonne) avec des titres employant uniquement des verbes à l’infinitif faisant un peu croire qu’il s’agit d’un cours ou d’une conférence avec un premier point, un premier sous-point etc.
La dernière page est consacrée à la lettre de la candidate aux électeurs avec la mise en valeur de son esprit
d’équipe et l’affichage du portrait de six leaders de son parti dont cinq anciens candidats : Dominique Voynet, Noël Mamère, Daniel Cohn-Bendit, Cécile Duflot, Antoine Waechter et José Bové (mais pas Nicolas Hulot).
C’est dans ce dernier texte que les verbes sont conjugués à la première personne du singulier :
« Tout commence par le retour de la vérité et du courage. Je suis une femme d’expérience et de parole : ce que je dis, je le
fais. ».
Son court échantillon d’écriture manuscrite et sa signature font apparaître une femme à l’esprit agile,
souple, rapide et plutôt autoritaire.
Au contraire de 80% des candidats, la candidate a mis une courte notice bibliographique à la troisième
personne du singulier où elle décrit son expérience, sa trajectoire, son histoire, en affichant surtout son action dans l’affaire Elf.
2. Marine Le Pen (43
ans).
La profession de foi a été faite par un professionnel car dans la forme, tout est assez bien contrôlé.
En première page, une photo en buste de Marine Le Pen, avec un sourire qui la met bien en valeur, bras
croisés, les yeux dans ceux des électeurs, ce qui donne une posture peu distante de la fonction présidentielle, plutôt envahissante, et même quasiment intrusive voire invasive, comme si elle
mettait l’électeur au dos du mur. Le slogan "Oui, la France" ne paraît pas très original et ne signifie pas grand chose. Aucune trace du Front national ou de toute référence au FN.
Sur les trois autres pages, le texte est clairement structuré avec beaucoup de phrases à la première personne
du singulier, sur un fond de campagne française reprenant la force tranquille de François Mitterrand en 1981. Quelques phrases sont mises en exergue dans la marge pour bien ponctuer le discours.
Une Jeanne d’Arc trône de façon discrète derrière une tribune.
Question écriture, si la signature est illisible, les phrases manuscrites montrent du dynamisme, de la
volonté et un esprit plutôt alerte.
Sur la forme, c’est probablement l’une des meilleures présentations de candidat.
Pas de biographie de la candidate (pourtant, les électeurs votent pour une personne).
3. Nicolas Sarkozy (57
ans).
Comme pour les autres grands candidats, le document a été conçu par des professionnels de la communication
politique et est donc globalement bon dans la forme.
La première page reprend uniquement l’affiche électorale du candidat, qui reprend elle-même l’affiche de
François Mitterrand en 1988 : le candidat en buste de profil, le regard droit vers l’horizon. Ce qui est peu habituel, en revanche, c’est que le fond de la photo, en dessous du ciel bleu,
c’est la mer et pas la terre ferme. En ces temps de centenaire du naufrage du Titanic ou de tempête financière, cela pourrait prêter à beaucoup d’ironie (ce que Internet ne s’est pas privé de
faire en pastichant l’affiche), mais aussi laisse entrevoir qu’il est le seul capitaine possible pour le bateau France.
Autre petit détail : le rouge de la légion d’honneur dans l’océan de bleu fait figure de la bouée rouge
rajoutée par Turner pour mettre du relief à un de ses tableaux (un tableau visible lors de l’exposition en 2010).
Le candidat a ôté toute référence partisane (pas de sigle UMP, ni NC, ni parti radical, ni parti
démocrate-chrétien).
Les trois autres pages déclinent le programme du candidat avec des titres construits de phrases
impersonnelles et avec un liseré photographique en haut représentant le "peuple". En revanche, la même photo est remise (plutôt mal) à chaque vue du document et n’apporte rien voire peut
exaspérer le lecteur par cette répétition stérile.
L’écriture manuscrite et la signature donnent un aperçu partiel du candidat sur un caractère assez complexe
avec des hampes penchées vers la droite et d’autres vers la gauche laissant présager une certaine instabilité et nervosité mais aussi un esprit très volontaire (notamment la signature). La phrase
manuscrite est d’ailleurs étrange pour un candidat qui devrait plutôt expliquer ce qu’il apporterait aux électeurs et pas l’inverse : « J’ai
besoin de vous. Aidez-moi à construire la France forte. ».
Sur le fond, il y a quelques concessions plutôt scandaleuses aux électeurs "extrêmes" comme : « L’Europe n’a de sens que si elle protège ses frontières, sa culture, ses emplois et son identité. Si l’Europe ne retrouve pas la maîtrise de ses frontières
dans un délai d’un an, la France suspendra sa participation à l’espace de Schengen et rétablira des contrôles ciblés à ses frontières. ».
Ou encore : « Nous devons diviser par deux l’immigration.
Cela implique une immigration familiale maîtrisée qui ne pèse pas sur notre protection sociale. » (phrase d’autant moins pertinente que la plus grande part de l’immigration légale
provient du flux d’étudiants étrangers qui étudient en France et qui ne font de mal à personne et prouvent, au contraire, l’attraction intellectuelle et culturelle de la France dans le
monde).
Autre phrase qui n’a pas plus de pertinence que la suppression d’un poste de fonctionnaire sur deux partant à
la retraite, à cause de son caractère généraliste et pas pragmatique : « Aucune norme nouvelle ne sera créée sans que deux anciennes ne soient
supprimées, en particulier au niveau européen. ».
Pas de biographie du candidat (pourtant, les électeurs votent pour une personne).
4. Jean-Luc Mélenchon (60
ans).
Le document est clair et lisible, très cohérent intellectuellement, tout peinturluré en rouge avec un gros
logo du Front de gauche trois fois plaqué.
La photo de la première page est à la fois hors contexte et en buste, regardant au loin et sans sourire. Le
slogan "Prenez le pouvoir" laisse entendre qu’il n’est pas lui-même le véritable candidat (ou plus subtilement, qu’à travers lui, c’est le peuple qui est candidat). Dommage qu’il n’utilise pas
son autre slogan que j’apprécie beaucoup pour ma part : "D’abord l’humain".
Les deux pages centrales sont très faciles à lire : sur les quatre colonnes, une colonne de lettre du candidat aux électeurs (« Assumons notre devoir dans l’humanité universelle en étant le premier pays qui s’impose la "règle verte" pour éteindre sa dette écologique. Vienne le temps
des cerises et des jours heureux ! ») et trois autres colonnes, une pour chaque mot de la devise de la République, afin de développer le programme avec des titres basés sur des
noms et pas des verbes et des points alternativement rouges et verts avec des expressions étonnantes : « le droit au bonheur » ou
encore « audit citoyen pour faire la lumière sur la dette ».
La quatrième page montre le meeting de la Bastille du 18 mars 2012 en revendiquant cent vingt mille présents
(le record revendiqué de tous les meetings, y compris ceux des deux candidats favoris à la Concorde et à Vincennes du 15 avril 2012) avec un titre en mauvais français, ce qui rompt avec l’aspect
littéraire de la campagne du candidat : « Nous, on peut ! ».
Pas d’échantillon manuscrit mais la signature qui montre un être plutôt compliqué avec une fioriture en haut
de la hampe du l de Jean-Luc assez étonnante, comme si c’était un drapeau.
En bas de la troisième page, il y a une publicité à peine voilée pour acheter le livre programme du candidat,
avec une phrase emphatique très floue : « Il a battu les records de diffusion. ».
En bas de la quatrième page, en petits caractères, il y a la (longue) liste des groupements politiques qui
soutiennent le candidat, ainsi sont évoqués discrètement le Parti communiste français et également le groupuscule de Clémentine Autain (ancienne conseillère communiste de Paris).
Pas de biographie du candidat qui souhaite le moins possible le culte de la personnalité (pourtant, les
électeurs votent pour une personne).
5. Philippe Poutou (45
ans).
L’aspect général du document est globalement clair et les nombreux éléments en rouge indiquent tout de suite
l’extrême gauche du candidat. Le NPA est clairement indiqué.
Dans la première page, la photo donne au candidat le caractère déjà aperçu dans ses prestations télévisées, à
savoir un homme sympathique et agréable (le regard est presque illuminé, encore surpris d’être candidat à l’élection présidentielle).
Le slogan de 2007 ("Nos vies valent plus que leurs profits") cohabite avec celui de 2012 : "Aux
capitalistes de payer leurs crises !".
La deuxième page est une analyse de la situation, pas très dégrossie puisque le but premier est affiché avec
peu d’égards : « Il y a urgence à dégager Sarkozy et toute sa bande. ». La photo est mal trouvée, avec la bouche ouverte comme son
compère Olivier Besancenot (peut-être chantaient-ils ?).
Les troisième et quatrième pages énumèrent les principaux points du programme avec des verbes à l’impératif à la première personne du pluriel
accompagnés de cases cochées en rouge (cela me fait penser à Rachida Dati qui expliquait que place Vendôme,
elle avait sa feuille de route et qu’elle rayait tout ce qu’elle avait accompli).
Évidemment, sur le fond, on rase gratis à coups de verbes à l’infinitif en gras : « augmenter les
salaires de 300 euros net », « interdire les licenciements », « créer un million
d’emplois ». Il y a aussi : « Régularisons tous les sans-papiers », avec des mots excessifs : « dictature de la finance », « en réquisitionnant les banques » etc. Il y a également un
problème avec les nombres (déjà aperçus par François Lenglet dans "Des Paroles et des actes" sur France 2 le 11 avril 2012 : « la dette publique
qui coûte chaque année 160 milliards d’euros, dont 50 milliards pour les seuls intérêts » (que sont donc les 110 milliards restants ?), « 150 milliards, des privilèges à supprimer immédiatement » etc.
La conjugaison marque trois groupes : "nous" (c’est-à-dire le candidat et son groupuscule), "nous" au sens "vous et nous" (les pauvres, les
ouvriers, les chômeurs etc.), et "eux" (clairement désignés comme "Sarkozy", les "riches" etc.). Stigmatisation.
Contrairement à tous les autres candidats et conformément à son expression orale, le candidat emploie des mots peu "polis" ("dégager", "culot"
etc.).
La quatrième page se termine par une bande rouge et la meilleure photo du candidat, souriant et mieux rasé (mais mal coiffé !).
Pas de biographie du candidat (pourtant, les électeurs votent pour une personne).
Parce qu'elle est trop longue,
suite de l'analyse dans la seconde et dernière partie.
Aussi sur le
blog.
Sylvain Rakotoarison (16 avril
2012)
http://www.rakotoarison.eu
Pour aller plus loin :
Les dix candidats de
2012.
Les professions de
foi de 2007.
Programme présidentiel de François Hollande (à télécharger).
Programme présidentiel de Nicolas Sarkozy (à télécharger).
Programme présidentiel de François Bayrou (à
télécharger).
Programme présidentiel de Jean-Luc Mélenchon (à télécharger).
Programme présidentiel de Marine Le Pen (à télécharger).
Profession de foi de François Bayrou
(2012).
(Illustration tirée de "Superdupont" par Gotlib).
http://www.agoravox.fr/actualites/politique/article/les-dix-professions-de-foi-de-la-114806