Avec les comebacks de Pépé Bradock et I :Cube, celui de Marc Leclair est l’un de ceux que j’attendais de pied ferme cette année. Alors qu’on annonçait un album de Horror Inc., c’est sous le plus connu de ses pseudonymes que le Canadien publie cet EP sur son label Musique Risquée. A part quelques remixes récents, cela faisait 9 ans qu’il n’avait pas sorti de disque en tant qu’Akufen, un blaze qui rappelle de très bons souvenirs, ceux de son époque Perlon et de son album, My Way, référence absolue en matière de micro-house. Le fait d’utiliser ce pseudo n’a rien d’innocent : alors que Horror Inc. est réservé à ses travaux les plus angoissés et mélancoliques, Akufen est nettement plus dancefloor et survolté. Contrairement au superbe Aurore EP de 2010, qui contenait de longs passages ambient et downtempo, Battlestar Galacticlown est quasi-exclusivement rythmé par d’impitoyables beats tech-house qui tabassent.C’est une sorte de retour aux sources pour le Montréalais. Dans leur conception, ces cinq nouveaux titres ne sont pas très éloignés des excellents "Deck The House" ou "Late Night Munchies" de 2002. A la manière de Todd Edwards, Akufen utilise toujours la technique du cut-up et amoncèle, agence et organise l’interpénétration de milliers de samples microscopiques provenant de milliers de sources différentes – on sait qu’il avait passé 2 ans à enregistrer la radio pour réunir le matériau nécessaire pour son album, et qu’il aime aussi promener son micro au hasard de ses voyages pour capter quelques sons originaux. Sous ses airs foufous et erratiques, cette musique foisonnante est extrêmement structurée.Il faut beaucoup de rigueur pour retomber sur ses pattes lorsqu’on construit une mélodie à partir d’une telle quantité d’éléments disparates, qu’il s’agisse de klaxons, de bêlements de chèvre, d’échantillons de jeux vidéo ou d’orchestre à cordes. Dans une instructive interview pour Resident Advisor, l’an dernier, Leclair expliquait justement combien il aimait, chez Steve Reich ou chez l’artiste mathématicien M.C. Escher, l’équilibre entre discipline et abandon. Même si l’on est forcément moins impressionné par la prouesse technique qu’il y a 10 ans, il faut bien constater que peu d’artistes se sont engouffrés dans cette brèche (peut-être parce que c’est beaucoup de travail…), en dehors d’autres Québecois comme Guillaume Coutu-Dumont, Stephen Beaupré et Knowing Looks, ou de l’indétrônable parisien Ark. C’est donc très plaisant de retrouver ce son à la fois fun et sophistiqué, qui n’oublie jamais d’être funky grâce à des lignes de basse proprement énormes – celle de "Bos Indicus" ressemble presque à du Larry Levan. Les morceaux qui me plaisent le plus sont les plus jazzy, ceux qui contiennent le plus d’éléments acoustiques et les samples les plus longs, comme le fabuleux "You Like Red Beans ! (We Go Together)", traversé par de magnifiques saillies de guitare slide bluesy. Guitare que l’on retrouve sur le tout aussi bon "T’es Con, T’es Content", sorte de swing manouche technoïde, comme si les Triplettes de Belleville étaient télétransportées à Detroit – d’ailleurs les pionniers de la techno Kevin Saunderson, Juan Atkins et Derrick May n’étaient-ils pas surnommés les "Belleville Three", en référence à leur ville d’origine ?C’est vrai que la pochette, réalisée par Zupton, a un côté un peu écœurant, mais elle correspond bien au caractère humoristique et ludique d’un disque truffé de bruitages de cartoons et qui se clôt sur un remix épique de musique de camion à glaces, logiquement nommé : "Chocolate, Strawberry, Peach, Vanilla, Banana, Pistachio, Peppermint, Lemon, Orange, Butterscotch, Ice Cream Cone" (!). En tout cas on ne peut pas accuser Marc Leclair de se prendre trop au sérieux. En bref : Marc Leclair réendosse son plus célèbre avatar pour revenir aux fondements de son esthétique : une micro-house complexe et groovy à base de collage de samples frénétique et de basslines phénoménales. Avec en prime un soupçon de blues et une touche de swing déluré.A lire aussi : Horror Inc. – Aurore (2010)Des extraits, en attendant mieux :