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Eva Joly : Les systèmes d'élevage doivent évoluer pour s'adapter

Par Baudouindementen @BuvetteAlpages

A son tour Eva Joly répond à la lettre de Cap Ours. Sa lettre est courte mais complétée par une lettre qu'elle écrit à la FNSEA. Pour Eva Joly, "La situation économique de l’élevage ovin n’a donc globalement que très peu à voir avec le loup, le lynx, l’ours ou quelque autre prédateur". Pour elle, "les députés de droite des régions concernées masquent à bon compte leur responsabilité dans la politique agricole et économique conduite depuis 20 ans" et "Les systèmes (NDLB : d'élevages) en place en France doivent évoluer pour s’adapter.

Lettre d’Eva Joly à Cap Ours

15 avril 2012
Madame, Monsieur,
Le 3 mars dernier, vous avez écrit une lettre ouverte aux candidats à l'élection présidentielle « le loup, bouc émissaire de la filière ovine : ça suffit !! »
Comme vous le savez, Europe Écologie les Verts n'a pas attendu l'élection présidentielle pour s'intéresser à la question de la protection des grands prédateurs, du loup en particulier, et à la cohabitation entre élevage et protection de la biodiversité. Comme vous le rappelez également dans votre lettre ouverte, les lobbys qui aimeraient voir surgir un monde sans ces grands prédateurs, ont eux aussi saisi l'occasion de la campagne présidentielle pour faire pression.
Je partage bien entendu totalement les revendications de votre lettre ouverte. Sur le terrain, les adhérents et les coopérateurs d'Europe Écologie les Verts sont à l’œuvre, en tant que militants politiques et en lien avec les mouvements associatifs, pour permettre la cohabitation et défendre la faune sauvage.
Nous n'avons pas pour habitude de tenir des discours différents en fonction de nos interlocuteurs. Vous trouverez ci-jointe la réponse que j'ai adressée sur ce sujet à l'interpellation de la FNSEA.
Amitiés écologiques, Eva Joly

Lettre d’Eva Joly à Xavier Beulin, président de la FNSEA

27 mars 2012
Monsieur le Président Xavier Beulin,
La situation économique de l’élevage ovin n’a donc globalement que très peu à voir avec le loup, le lynx, l’ours ou quelque autre prédateur, même s’il existe effectivement des situations très localisées de préjudices qui méritent un examen particulier. Cela ne s'accorde pas avec vos affirmations, comme avec celles des députés de droite des régions concernées qui masquent ainsi à bon compte leur responsabilité dans la politique agricole et économique conduite depuis 20 ans. Je vous redis que je suis profondément attachée aux élevages ovins, comme d’ailleurs à toutes les exploitations agricoles des zones difficiles qui manifestent leur courage quotidien et constituent un aspect essentiel de la vie dans ces régions. Mais il ne faut pas se tromper de causes, d’adversaires et de solutions.
Comme responsable politique, il ne m’appartient pas de dire ce que doit être l’agriculture de demain, mais ce que la société attend de l’agriculture qu’elle soutient au titre de l’intérêt général. Et cet intérêt général n’est pas dans la poursuite d’une agriculture qui ne pourrait se déployer que dans un espace artificialisé en rupture avec le vivant, éradiquant notamment tout ce qui gêne immédiatement, quand bien même les espèces concernées joueraient un rôle majeur dans les écosystèmes.

De ce point de vue, l’élevage français doit se réadapter, avec l’appui de la puissance publique autant que nécessaire, à la réapparition de prédateurs, comme il le fait en montagne à la réintroduction des vautours, ou aux accidents naturels qui peuvent survenir. L’élevage ovin n’a rien d’incompatible avec la présence de ces prédateurs, comme le montrent l’exemple de tous les autres pays européens concernés, ainsi que les élevages extensifs néozélandais ou australiens tout à fait performants. Les systèmes en place en France doivent évoluer pour s’adapter.
Le loup est revenu naturellement sur notre territoire à partir de l’Italie, et sporadiquement de l’Espagne. Comme animal intelligent et opportuniste, il recolonise peu à peu la France. La cause principale de ce retour réside justement dans l’abandon massif des terres agricoles difficiles, le développement de la friche et des parcours délaissés. Alors que vous évoquez une situation générale, elle est en fait très différente d’un espace à l’autre de notre territoire.
Le loup est en effet installé maintenant de façon à peu près stable en PACA et dans les Alpes, et en voie d’expansion dans les Pyrénées, les Vosges, le Massif Central et le Jura. Cette différence fonde des situations et des dynamiques tout à fait différentes selon les espaces, et ceci d’autant plus que son action est profondément hétérogène selon les petites zones, très forte effectivement dans certaines vallées au point d’être incompatible avec l’élevage sauf mesures exceptionnelles, pratiquement absente dans la vallée voisine, et ceci de façon établie et stable.
Au contraire, dans les zones d’expansion, les situations sont beaucoup plus aléatoires, à la fois sporadiques et changeantes.
Mais les chiens errants, que vous n’évoquez pas, ont aussi une action déprédatrice sporadique et aléatoire, parfois beaucoup plus forte que celle du loup au détriment des élevages, et que les systèmes d’indemnisation en place au bénéfice des éleveurs ne permettent pas vraiment de distinguer. Sans parler des dérochements et chutes en montagne, cause de mortalités parfois importantes: l'élevage extensif en milieu difficile doit trouver son équilibre au regard de ce qu'est cet espace, comme partout dans le monde.
Les mesures à adopter sont donc aussi très différentes selon les territoires, et, à partir d’une politique générale commune, je suis partisane d’une application localisée et concertée entre les acteurs locaux selon les situations, au contraire d’une vision uniforme et bureaucratique.
L‘adaptation que j’évoquais plus haut demande certainement du temps et des moyens d’étude et d’accompagnement. Au rebours de tous les dires, les mesures de protection des troupeaux sont efficaces. Dans les Alpes de Haute Provence par exemple, 80% des dommages s’exercent sur 20% des troupeaux peu ou mal protégés.
Aucune mesure de protection n’est parfaite bien entendu, que ce soit les chiens, les clôtures ou les modes de conduite des troupeaux, et il s’agit de déterminer localement les meilleures solutions et pour la puissance publique de les accompagner. Les 7,5 millions d'euros que coûterait cette politique, qui concerne l'ensemble des mesures d'adaptation aux grands prédateurs, doivent être mis en regard avec les plus de 12 milliards d'euros d'aides publiques dont bénéficient annuellement les secteurs agricole et agro-alimentaire. De même, ils ne représentent qu'un faible montant par rapport au milliard d'euros et plus que coûte le traitement des eaux potables polluées aux nitrates ou la lutte contre les algues vertes en Bretagne ou ailleurs, dont les pratiques agricoles sont la cause directe.
Ces mesures d’adaptation sont tout à fait justifiées, mais évidemment évolutives et perfectibles et je suis déterminée à faire examiner avec les éleveurs les évolutions pertinentes. Sans oublier que la meilleure protection reste la présence de l’homme, qui a très fortement régressé depuis longtemps, alors que l’agriculture peut et doit être une activité créatrice d’emplois et de vie dans nos zones défavorisées.
Que ce soit par exemple sur la législation du travail pour les saisonniers, qui permettrait d’engager plus facilement des bergers qualifiés, ou sur l’amélioration du système d’adjudication des baux dans les alpages, sur la formation, l’équipement, les mesures technique de protection, la gestion de la trésorerie des exploitations, je veux construire avec vous des propositions constructives.
Enfin, je ne mésestime pas le traumatisme que peuvent causer à des éleveurs, mais surtout aux bergers, des attaques répétées de prédateurs en des lieux déterminés. Je souhaite qu’ils soient accompagnés dans ces épreuves, et que les administrations en charge, loin de se limiter à l’application de mesures générales, mettent en place de façon concrète les moyens d’accompagnement, d’examen des situations et d’adoption des solutions les plus adaptées, qui pourront selon les cas être de natures très diverses.
Le loup, l’ours, le lynx sont comme bien d’autres espèces, protégées, et dans cette période de réduction dramatique de la biodiversité sur terre, je ne saurais admettre que des politiques publiques comme les arrêtés ministériels de mai et décembre 2011 qui portent atteinte au niveau de protection réel de ces espèces, accentuent cette réduction.
Le pastoralisme n’est en rien le garant de la biodiversité même s’il modifie effectivement profondément l’équilibre des écosystèmes en place. Aucune espèce végétale n’est apparue du fait de l’élevage, et on peut tout aussi bien soutenir que les prédateurs, par l’action régulatrice qu’ils exercent sur la faune sauvage et notamment les ongulés, évitent les surpâturages de stations naturelles dotées d’espèces remarquables ou en danger.
Et du point de vue de la biodiversité constatée des espaces pâturés, de nombreuses études montrent qu’elle est mieux assurée par un pâturage raisonné combiné de plusieurs espèces ( bovins, équins, ovins) que par des troupeaux d’une seule espèce et en outre peu conduits, tels que le pratiquent les éleveurs ovins en montagne.
Il me reste enfin à évoquer la question très sensible des « tirs de régulation ». Je ne suis pas plus partisane d’une nature qui se régulerait seule que du marché qui retournerait spontanément à l’équilibre si on le laissait faire, et l’homme est intervenu trop profondément et depuis trop longtemps sur notre espace naturel européen pour ne pas avoir une responsabilité globale à cet égard.
Si, au vu de la démographie globale des loups, des lynx ou des ours, ces espèces doivent demeurer strictement protégées en France, la question peut se poser différemment dans les régions où l’équilibre démographique est atteint, lorsque les moyens de régulation naturelle n’existent pas.
De ce point de vue, une régulation volontariste peut être envisagée, à la stricte condition qu’elle soit déterminée au vu de la situation de l’espèce, et non pour calmer les esprits ou sous pression politique, et qu’elle soit décidée dans la concertation locale en fonction des situations réelles, qu’elle ne soit pas réalisée par les victimes comme la justice ne se fait pas soi-même, et qu’elle soit techniquement appropriée aux animaux concernés.
A cet égard, de nombreuses méthodes existent en Europe dans les différents pays face à des situations toujours particulières, dont on gagnera à s’inspirer intelligemment. L’objectif reste, de mon point de vue, de réguler de façon correctrice, et certainement pas d’éradiquer, comme le pratiquent certains habitants des zones concernées souvent dans une bien curieuse impunité.
Je souhaite que les éleveurs dialoguent avec les naturalistes et les écologistes, pour trouver dans tout cela un équilibre allant dans le sens de l'intérêt général. C'est un tel équilibre qui contribuera à maintenir une agriculture française, des paysages et une nature à laquelle nous sommes tous attachés, et que nous devons ensemble préserver et maintenir.
Je vous prie d'agréer, Messieurs les Présidents, l'expression de mes salutations sincères.

Eva Joly


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