Si j'avais pris une telle décision, c'est tout simplement parce que cela se fait, de se donner un peu de mal pour ceux qu'on aime. Et que, malgré l'anémie d'affection que je sentais m'envahir au fil des années, il me restait encore, notamment à l'égard d'une poignée de bien-aimés, un fond disponible de mauvaise conscience.
J'avais découvert Nicolas Fargues il y a quelques années avec J'étais derrière toi, roman que j'avais beaucoup apprécié malgré sa violence (si je me souviens bien). C'est donc avec curiosité que j'ai ouvert son dernier roman, dont on peu dire qu'il est très différent...
Tout commence dans un supermarché. Le narrateur, à la veille de son déménagement à Pondichery, se demande bien ce qu'il fait là, à faire les courses pour organiser un dîner pour ses enfants, sa voisine, son frère et la petite amie de ce dernier, au lieu de commander tout simplement une pizza. D'autant qu'il ne garde pas un très bon souvenir de la dernière fois qu'il s'est donné du mal pour recevoir des gens. Mais voilà : c'est bien parfois de faire des efforts pour ceux qu'on aime. Et puis, c'est un peu dans sa nature...
Avec ce roman, Nicolas Fargues a su toucher ma corde sensible. Le problème de son narrateur, c'est qu'il est trop courtois (et on sait combien c'est une qualité rare). Trop, parce que finalement, il se laisse un peu marcher sur les pieds par tout le monde et n'arrive pas à s'imposer. Ce roman est donc, en partie, une réflexion assez intéressante sur le rapport aux autres, ces autres qui ont tendance à nous bouffer la vie tant qu'on ne leur a pas fait comprendre clairement qu'ils nous faisaient chier. Dépasser la ligne de courtoisie donc, mais de façon salutaire, pour se protéger soi. Parce que voilà : ses enfants-ados sont odieux et égoïstes (en même temps, c'est un peu un pléonasme ça), son ex-femme vénale, son nouveau propriétaire sans-gêne, bref, il est entourés de cons. Du coup, je l'ai trouvé très sympathique ce narrateur, et je n'ai pu que compatir à ses soucis, ayant moi-même fort à faire en ce moment de ce côté-là, vous l'aurez compris. Et j'ai d'autant plus compati que ce narrateur est un écrivain... qui n'écrit pas, et qui réfléchit donc beaucoup à ce problème. Le tout est servi par un vrai style, travaillé, un peu précieux, parfois un brin tarabiscoté, enfin un vrai style tout simplement, jouissif, qui pourrait paraître ampoulé mais qui en fait passe vraiment bien (et on sait combien je déteste les styles trop voyants), d'autant qu'il est plein d'ironie et d'auto-dérision. Bref, voilà une jolie découverte que ce roman, dont je regrette qu'il n'ait pas obtenu le prix !