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Louis Vuitton et Marc Jacobs côte à côte au Musée des Arts décoratifs

Par A Bride Abattue @abrideabattue
Louis Vuitton et Marc Jacobs côte à côte au Musée des Arts décoratifsDeux niveaux du Musée de la mode proposent une mise en parallèle des univers de Louis Vuitton et de Marc Jacobs. Le premier est un modèle d'adaptation au 19ème siècle. Le second est le créateur artistique de la marque aujourd'hui.
Louis Vuitton a vite compris en quoi son métier d'emballeur allait pouvoir répondre aux nouveaux besoins créés par le développement des transports. Marc Jacobs a fait entrer la marque dans la globalisation en y injectant le prêt-à-porter. Il a su cumuler les fonction de créateur et de chef d'entreprise.
Tous deux ont le même regard, presque la même moustache ...
Louis Vuitton ou l'art du voyage
Originaire du Jura, Louis Vuitton a décidé de partir très jeune. C'est au bout de deux ans de voyage qu'il arrive chez Maréchal, le malletier le plus célèbre de Paris, rue Saint-Honoré, en 1830. Les premiers chemins de fer se développent et la femme de plus en plus élégante a de plus en plus de vêtements à emballer. Comment faire pour que tout n'arrive pas chiffonné à destination ? Louis va vite apprendre l'essentiel du métier de « layetier-coffretrier-emballeur ».
En 1854, il ouvre sa propre enseigne, tout près de la rue de la Paix, au 4, rue Neuve-des- Capucines, dans ce quartier très "mode" autour de l'Opéra où abondent bijouteries de luxe et grands couturiers. La bourgeoisie vit alors dans une opulence ostentatoire que la femme exhibe alors que l'homme porte un trois pièces en toute simplicité. D’emblée, Louis Vuitton se positionne différemment en se proclamant simplement «Emballeur ». Ses en-têtes apportent une précision décisive : « Spécialité pour l’Emballage des Modes ». A l'époque le terme désigne les chapeaux, ce qui a donné le nom de modiste à la personne qui les réalise. Quant au métier de layetier il existait déjà au Moyen-Age, consistant à faire des layettes, du nom des petits coffres de bois blanc, plus longs que larges et assez plats qui prendront ensuite le nom de cartons au XIXe siècle.
On cherche surtout à ne pas écraser les délicates garnitures de fleurs, rubans et dentelles des chapeaux et robes de bal. On invente des supports baleinés ou en crin. des systèmes de sangles montées sur des cadres à rouleaux à mettre dans des malles à double-fond où les robes sont pliées en deux et maintenues par des épingles. Les dentelles, coiffes, voiles et gants sont protégées de la poussière sur les rayonnages des boutiques avant d'être transportées dans ces mêmes étuis après achat. Ce sera plus tard de petits tiroirs où l'on rangera des vêtements minuscules ... la layette.
On peut voir dans l'exposition le trousseau idéal ... mais à la taille d'une poupée de petite fille riche qui apprend son métier de femme, de mère, de re-présentatrice. et qui devait pour satisfaire tous les rôles, se changer jusqu'à sept fois par jour.
On remarque, en bleu vert, un des premiers vêtements de voyage conçu spécifiquement à cette fin. Dans un matériau adapté, infroissable, suffisamment chaud, mais pas trop pour être portable en toutes saisons. Il est intéressant de s'attarder sur les accessoires, les bijoux, la ceinture où s'accroche la châtelaine qui remplaçait alors les poches. On y attache tout, les clés biens sur, et même son nécessaire à couture.
En fondateur de la Haute Couture, Worth impose des nouveaux codes et usages vestimentaires, démultipliant le nombre de pièces dans la garde- robe bourgeoise : tenues d’intérieur, tailleurs du matin, robes de ville, pour l’après-midi, pour le dîner, robes de bal, sans oublier les épaisseurs interminables de sous-vêtements qui structurent les immenses silhouettes à crinolines et l’infinie variété de chapeaux et d’accessoires augmentant la quantité faramineuse d’objets nécessaires à la garde-robe. Une aubaine pour Louis Vuitton qui va répondre à une demande exponentielle.
L'impératrice Eugénie, aux prises avec l'emballage très particulier de ses robes à crinoline remarque le savoir-faire du jeune Louis. Des noms prestigieux se lisent dans ses carnets de commande, tout comme les vedettes. Jusqu’au bout, Louis Vuitton restera fidèle aux trois principes qui l’animent : perfectionnement et maîtrise de son savoir-faire, entière satisfaction donnée à la clientèle, perpétuelle recherche de nouveautés.
Chanel allégera la garde-robe de la femme dans les années 30 en imposant l'unique petite robe noire ou le tailleur. Dior remettra la profusion à la mode et reviendront avec lui les soucis de transport de sa garde-robe.
Restons à la fin du XIX° siècle. La femme portait plusieurs jupons, des chemises, qui pesaient des kilos sur elle. Les jupes ne pouvaient pas être lavées, les tissus étant trop fragiles. Un système astucieux de "balayettes" mobiles se décrochait du bas des robes. On les secouait pour les débarrasser de la poussière. La robe ne touchant pas le corps, les sous-vêtements seuls étaient nettoyés, ainsi que les cols et les poignets mobiles. Ce linge dit de corps subira les théories hygiénistes, imposant d'en changer une fois par semaine, ce qui pour l'époque était révolutionnaire.
Les vitrines montrent les crinolines relativement modestes portées dans les années 1840, avant l'énormité de celles qui s'imposèrent vingt ans plus tard, avant qu'un édit n'en réduise la taille. Initialement faites en crin, d'où leur nom, elles sont devenues rétractables au fil du temps pour que les femmes puissent les saisir et s'asseoir.
Les tenues féminines n'étaient pas à proprement parler des robes, mais des jupes au-dessus desquelles on posait un corsage, différent en fonction du moment de la journée. On achetait donc plusieurs corsages assortis à une même jupe. C'est le début des grands magasins, il suffit d relire Zola pour se remémorer l'époque où on commence à commander sur catalogue et à différencier tissus d'ameublement et coupons pour vêtements.
C'est aussi le commencement de la vogue des bains de mer après 4 heures de train. Même les séjours en villégiature sont marqués par la contrainte d'être en représentation. La malle de voyage devient indispensable pour transporter, sans les chiffonner, les cinq toilettes journalières qu’une élégante doit porter en villégiature. Quant d'habitude une vingtaine de malles (par personne, et presque autant pour les domestiques) suffisent pour transporter l'indispensable, Sarah Bernhardt en commandera plus de 200 malles pour sa première tournée au Brésil. Et plus récemment, Sofia Coppola a demandé un travail spécial pour transporter sa chaine hi-fi.
Rien d'étonnant à ce que le succès de Vuitton soit immense. Il déposera des brevets d'invention pour chaque amélioration. La première a consisté à régler le problème de l'étanchéité car on les posait sur le toit des calèches. Le cuir prenait l'eau au bout de six jours de diligence. Louis a donc l'idée de faire des malles plates, que l'on pouvait empiler ou glisser sous les cabines.
Pour celles qui voyagent en extérieur il emploie une toile enduite cirée. les bois sont les plus légers possibles, sauf pour le dessous qui sera en bois exotique dur, et les renforcements qui seront en métal. Par contre l'utilisation de l'aluminium, trop lourd,  ne sera pas poursuivi.
Une loupe permet de scruter la trame de la toile, peinte en gris Trianon. Seules les armoiries et les monogrammes des propriétaires sont alors inscrites sur leurs malles pour les distinguer sur le pont. La contrefaçon ne tarde pas. Mais Vuitton réagira très vite à chaque fois en imaginant des toiles différentes, et avec des motifs qui changeront tous les dix ans.
En 1877, il dépose une toile rayée bayadère disponible en plusieurs coloris. Onze ans plus tard, il fait un nouveau dépôt de brevet, cette fois-ci pour la «toile Damier» qui, plus sophistiquée, intègre son nom dans le motif décoratif. C’est ainsi que, pour la première fois, son nom apparaît comme une signature sur l’extérieur de ses malles.
Les participations aux expositions de 1867, 1868, 1887 et 1889 structurent le rythme de ses innovations techniques. Louis Vuitton y présente ses modèles dans une toute nouvelle section «Article de voyage et de campement » et remporte sa première médaille. Pour chaque événement, il met au point une invention qu’il fait déposer. Et il aménage en 1872 de nouveaux locaux au 1 rue Scribe, où ses produits sont immédiatement disponibles et achetables.
Il fait la première malle-lit pour Brazza, le découvreur de Tombouctou, qu'on appela ensuite Brazzaville. Il innove aussi en inventant la première disposition anti-vol. Chaque propriétaire a une clé unique pour l'ensemble de ses bagages, consignée sur un registre protégé. Plusieurs exemplaires des registres de vente sont montrés au public, pages ouvertes sur les réparations, les types d'entretien ...
On voit bien entendu divers types de bagages. Les grosses malles partent avant les personnes quo ne s'encombrent que des bagages "à main", pour y transporter le "pique-nique" un peu conséquent tout de même. Les objets doivent rester à disposition dans les bateaux, d'où le système de malle-cabine, à la fois armoire, commode et penderie. Les nécessaires de toilettes sont conçus astucieusement avec moult compartiments solides, mais mobiles. Enfin le baise-en-ville, comparable à une besace, est un sac qui contient ce qui est nécessaire pour passer une nuit en dehors de chez soi.
Une vitrine intitulée Radiographie à l'aéroport expose en quelque sorte le compartimentage idéal. Beaucoup d'astuces sont aussi révélées, comme le recours à un marteau à tête de cuir, dont la force n'entraine pas l'éclatement du bois lorsqu'on cloute. Il y a un coté Méliès dans les films d'époque qui sont projetés au Musée, et on est tenté de faire une analogie avec le film de Spielberg, Hugo Cabret.
Dans les années 96 Georges reprend l'affaire en subissant l'influence du japonisme. A moins que ce soit les faïences de Gien de la cuisine familiale qui lui aient inspiré l'emploi d'un motif fleuri qui s'ajoutera au monogramme. Toujours est-il que le fils poursuit la logique du père en créant le désormais fameux monogramme « LV ». Les toiles se solidifient, jusqu'au PVC des années 1970.
Marc Jacobs et l'ouverture sur le prêt-à-porter
Si aujourd'hui il semble naturel que Vuitton ait pas de collection de prêt-à-porter ce n'était pas le cas il y a une douzaine d'années. Marc Jacobs quitte son New York natal et rejoint la maison pour en devenir le directeur artistique en 1997. C'est alors un énorme défi que relève cet homme qui pense comme un designer, affirmant avec humour (on le dit très drôle) qu'il ne créé pas la mode, mais qu'il la suit.
Un mur d'images donne des indications sur ses sources d'inspiration, nombreuses et multiples : Bob l'éponge, des films fétichistes, les années 1920-1930, le peintre Oskar Kokoschka, le mouvement viennois, le glamour, le grunge,les films d'horreur. Il admire Liz Taylor, David Bowie, Marilyn Monroe, Catherine Deneuve, Barbra Streisand, Judy Garland et Liza Minelli, les Lalanne, Marcel Duchamps, Dior, Chanel, Schiaparelli (qui a travaillé avec Dali et Cocteau), Yves Saint-Laurent, le stylisme japonais de Comme des garçons (il est amusant d'apprendre que les deux tiers des japonaises possèdent un vrai sac Vuitton), Vivienne Westwood, les ballets nautiques d'Esther Williams ... et la liste n'est pas complète.
Marc Jacobs va non seulement investir le domaine du prêt-à-porter mais aussi celui des sacs à main, qui n'existaient alors pas du tout chez Vuitton. La malle gris pâle non monogrammée fut la source d’inspiration de la première collection, dite collection zéro, et qui, c'est absolument incroyable aujourd'hui, ne comportait qu’un seul sac – un sac besace blanc, fabriqué en agneau blanc, avec un monogramme gaufré.
Les vêtements ont été conçus autour de l’idée de détente et de voyage avec les plus belles matières, des soies magnifiques, dans un style très minimaliste, presque avec sévérité. Les jupes avaient d’immenses ourlets. Les pulls, cousus dans les plus beaux cachemire,  étaient démesurément longs mais pliés en deux. L'inscription Louis Vuitton figurait sur l'envers des boutons. Le monogramme se cachait sur les ganses à l’intérieur des imperméables. La dimension de luxe était importante mais invisible à première vue, collection ostensiblement luxueuse sans jamais devenir vulgaire.
Marc revisite le monogramme, juste en relief sur un cuir brillant et verni, sur lequel il disparait presque. Il dira d'ailleurs que le brillant est sa couleur préférée.
La collection automne- hiver 1999 est marquée par la couleur rouge, du nom des propriétaires, et de la doublure damier. Les imperméables, les chapeaux et les petits sacs, tout est rouge.
Marc Jacobs excelle dans le trompe l'oeil. On ne peut qu'admirer son emploi du tulle au lieu et place de plumes, ses superpositions en relief, les coiffures de ses mannequins (tiens, je porte le chignon Vuitton, et je l'ignorais ...). A l'instar de Balenciaga, il travaille différemment de dos et le devant, ce que révèlent des miroirs savamment disposés.
Le plus étonnant reste malgré tout le double mur collector des sacs de l'illustre marque, illustrant parfaitement qu'il n'y a pas une femme Vuitton mais un pluriel qui compose une sorte de club.
Ici ce ne sont que des éditions limitées, parfois ultra onéreuses. Tous les genres semblent passés en revue. Les extraordinaires, comme le 53, énorme agrandissement du steamer-bag, le sac à linge sale des bateaux. Ou le 4, sorte de patchwork de 28 morceaux provenant de 12 sacs différents. Edité en seulement 27 exemplaires au printemps 2007, il fut vendu 52 000 euros pièce. C'est une évolution du keep-all (fourre-tout) évoquant une compilation d'Arman.
Des matières précieuses sont employées, comme la coquille d'oeuf pour le minuscule 49, tout de même à 25 000 euros, le galuchat pour le 48, du nom de l'homme qui a utilisé la peau d'un requin sans écailles pour son effet de points. Un autre est en aligator.
Le 48 et orné de motifs brodés main au point de croix, proche de la tapisserie anglaise du XIX°. Le motif papillon du 39 est le fuit de la collaboration avec Murakami, comme le 17, avec des cerises, qui sera édité en 15 couleurs différentes. Son fermoir grand-mère est assez particulier.


Le 33 de celle avec Richard Prince qui réinterprète les codes de la culture américaine. Mais l'univers diamétralement opposé au luxe est également traité comme avec le 22 qui est un Tati en cuir tressé, parfait détournement du street-shopper populaire.
Tous ont leur particularité : le 8 au crochet, le 14, avec un monogramme dentelle, le18, en renard teint avec effet damier, le 19, fée clochette et le 20 en cube parfait.
Trois collaborations artistiques vont permettre une relecture et une réécriture de la toile Monogram en imposant chacune d’ingénieuses réponses industrielles afin de respecter d’une part les orientations esthétiques de chaque artiste et de répondre d’autre part aux impératifs de la maison en terme de qualité de produits, c’est- à-dire pour composer des revêtements aussi beaux que résistants.
Cette toile est par nature très difficile à imprimer en sérigraphie (elle est habituellement imprimée en héliogravure). A la différence du papier et des étoffes, elle n’absorbe pas les dépôts de couleurs, et l’on doit constamment veiller à l’épaisseur, aux séquences et aux temps de séchage de ces derniers. Chaque projet est un défi technique
L’intervention de Stephen Sprouse (décédé depuis) en 2001 porte essentiellement sur la surface. Il superpose ses graffitis monochromes au dessin de la toile, faisant de celle-ci le contre-fond de motifs placés en cartouches. Directement inspiré par les arts de la rue il surdimensionne les motifs et ose des couleurs flashy. Il créé le sac Tag.
Nouvelle collaboration à partir de 2003 avec le japonais Takashi Murakami qui fera entrer la couleur, et au pluriel sur les monogrammes. Avec Superflat Monogram puis la ligne "Monogram Cerises" en 2005, et le "Monogramouflage" en 2008.  On peut voir le dessin animé qu'il réalise pour faire la promotion de sa dernière collection Louis Vuitton.
Marc Jacobs s'emballe pour l'univers de Richard Prince, un artiste américain assez sulfureux aux multiples fantasmes dont il voit une exposition au Guggenheim Museum. Il travaillera davantage en transparence et en surcharge, créant le nouveau sac Untitled Monogram, pour la collection Printemps-Été 2008, repeint, et tamponné à la main façon pochoir. Avec, sérigraphiées sur la toile, des jokes et des plaisanteries typiquement new-yorkaises, souvent anti-féministes.
Il habille les mannequins comme des infirmières, les appellent les Nurses, et leur met aux pieds des chaussures deux tailles trop grandes, comme si elles les avaient piquées à leurs mamans.
Louis Vuitton Marc Jacobs

du 9 mars 2012 au 16 septembre 2012107 rue de Rivoli75001 ParisTél. : 01 44 55 57 50www.lesartsdecoratifs.frHeures d’ouverture du mardi au dimanche de 11h à 18h, nocturne: jeudi de 18h à 21h, fermé le lundiAccès gratuit pour les moins de 26 ans.

(billet en cours de finition, dans l'attente de photographies)

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