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Objectif - Hitonari Tsuji

Par Emmyne

HtsujiRegarder l'autre, c'est déjà commencer à l'aimer. Enfant, la jeune femme qui raconte souffrait d'un isolement et d'une timidité quasi phobiques. Jusqu'au jour où son père lui a offert un appareil photo. L'objectif devient filtre vital, sinon philtre d'amour. Adulte, la narratrice, toujours en lisière de sa propre existence, observe et capture comme d'autres chassent et se nourrissent. Invariablement, ses amours passent par ce médium prothétique mi-masque, mi-béquille. Entre confidence et témoignage, elle remonte le fil d'une liaison amoureuse restée comme en suspens après la rupture. Réserve des débuts jamais tout à fait dissipée, déchaînement des élans, légèreté de la complicité, poids des silences. En fouillant cette mémoire vive à la faveur de retrouvailles épisodiques, la jeune femme va aussi progressivement se confronter à son propre besoin d'être aimée. Et à son tour, regardée.

- 10/18 -

- Traduit du japonais par Karine Chesneau -

Un roman sur le regard, celui sur les autres, des autres, sur soi, sur le monde, sur la façon de l'appréhender, de l'approcher, de (s') l'apprivoiser, (s') l'accepter et le reconnaître. Ce que permet l'art. C'est la part d'ombre et la lumière, le parcours à la fois professionnel et intime de la narratrice.

" J'avais jusque-là fait partie de ce que le monde donne à voir et je passais d'un coup du côté de ceux qui donnent à voir [...] j'étais parvenue à établir une relation d'égalité avec le monde. " En manipulant un viseur...

Tout le réalisme subtil, la précision, la poétique et la densité de la littérature japonaise à travers des scènes superbes - courts chapitres pour un récit de moins d'une centaine de pages - des scènes et du sens, qui, au-delà du thème photographique, n'ont rien de contemplatif ou d'introspectif, de la beauté pure de l'envol d'un bouquet de ballons colorés à la violence impudique de l'autoportrait; pas de descriptif, des souvenirs, des rêves, du quotidien, l'image de l'art et un portrait de femme. Toujours émouvants. Par ce magnifique paradoxe du réel saisi à travers la sensibilité de la lentille pour pupille qui lui permet de ressentir les sentiments et de les vivre :

 - " Si mes photos sont vivantes, c'est parce que j'utilise un filtre invisible qui s'appelle l'amour. [...] Spontanéité, limpidité de l'expression, telle est ma quête perpétuelle. "

Une " incommunicabilité " presque pathologique par les mots ou le regard direct - " Il n'y avait rien de plus effrayant pour moi que de sentir une existence s'immiscer dans la mienne, que d'être dévisagée, observée " -  et un décalage temporel qui nécessitent l'usage de " l'objectif " d'un appareil-appareillage. Elle n'est pas le loup, mais c'est le velours de celui qui couvre, un bouclier, un écran dans tous les sens du terme. Non pas pour figer, mais bien pour capter la vie, une vérité - " avec le pressentiment de la mort "- celle de l'intensité d'un instant, d'une émotion sans s'y exposer. Jusqu'à ce que l'autre, le monde, elle-même, deviennent sujet vivant, temporalité et non représentation. Prendre corps et acte.

Un parcours photographique devenu révélateur de la peur et de la distance de protection sans renier la dimension d'authenticité, de témoignage, de don de son art, sa créativité.

Une très jolie lecture. Subjective.

- " Moi, je suis toujours à la recherche d'un endroit où je pourrais revenir. Tu pourrais être cet endroit, toi ? "

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Hitonari Tsuji est un artiste, auteur mais aussi chanteur et photographe. Dans ce roman, il emploie un Je féminin d'une belle finesse.

- Merci(S) à Miss Choco  -

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