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Fabrice Lardreau - Un certain Pétrovitch

Par Eric Bonnargent

Spiderman ou le malaise du quadragénaireMarc Villemain

Fabrice Lardreau - Un certain Pétrovitch

Éditions Léo Scheer

Oubliés, les grands froids climatiques et métapolitiques de Nord, son précédent roman paru chez Belfond : c’est au pesant engourdissement des mœurs contemporaines que Fabrice Lardreau s’attaque avec Un certain Pétrovitch, roman qui, sous des allures autrement légères, n’en cultive pas moins un égal scepticisme quant à l’état de ce pauvre monde où nous errons, vaille que vaille.

Intégrité oblige, il importe de signaler que j’avais connaissance de longue date de cette intention, Fabrice Lardreau ayant été l’un de mes complices sur le blog des « 7 Mains » (clos depuis longtemps, mais intégralement en ligne), où il expérimenta ce projet littéraire au prétexte assez original. Car si le propos fait depuis longtemps le suc de la littérature mondiale (en gros : les affres d’un individu moyen dans une société moyenne), son traitement ne manque, lui, pas de sel. Patrick Platon Pétrovitch (c’est son nom) est un rond-de-cuir des plus ordinaires : effacé, docile, méthodique et routinier. Employé comme comptable au sein d’une Fédération sportive, il ne montre dans son emploi pas plus de talents qu’il ne brille dans sa vie par sa personnalité. Reste que la banalité de ce que nous sommes en plein jour ne peut pas ne pas nous tarauder au beau milieu de la nuit – pour peu, bien sûr, que nous ne soyons pas absolument dépourvus de cervelle ni de conscience : c’est un bienfait du fantasme que de nous aider à lutter contre ce qui ne peut pas, à un certain moment de notre propre existence, ne pas nous apparaître comme de la médiocrité. La quarantaine semble un âge idéal pour fomenter ce genre de sentiment dubitatif, mais nous y reviendrons. Depuis que Pétrovitch, au cours d’une adolescence entièrement vouée au rock (presque) dur et après avoir échoué à rejoindre John Bonham (Led Zeppelin) au panthéon des batteurs de légende, a lu Le Manteau, la nouvelle de Gogol, il faut dire que son existence s’est comme soudainement éclairée. Et, à l’instar du personnage de l’écrivain russe, il va lui-même passer sa vie à chercher son propre Manteau, comprenez son graal, son talent ultime, le sens de la vie, bref les obscures mais transcendantes raisons à même de justifier son passage sur terre. Qu’on se le dise : Athènes avait Thésée, le monde contemporain aura Pétrovitch, alias Spiderman. À chacun sa Révélation. Ce qui n’ira pas sans mal, vous imaginez bien, l’utilitarisme et le consumérisme du temps se mariant assez mal avec un aussi romantique projet.Je vous laisse découvrir les innombrables gags, facéties et autres clins d’œil appuyés dont regorge cette histoire menée tambour battant – notre homme faisant davantage penser à Gaston Lagaffe qu’à l’athlétique et surpuissant Spiderman. Mais Lardreau rit-il aussi franchement que cela ? Et de quoi rit-il, d’abord ? De nous, de lui. De la misère spirituelle du temps, de nos servitudes volontaires, de la lourdeur des héritages sociaux et de la frénétique vacuité des emplois humains – Montaigne parlait de « vacations farcesques. » Le lisant, j’ai souvent pensé au Front russe, de Jean-Claude Lalumière (autre cheville ouvrière des « 7 mains »…), paru il y a un peu plus d’un an : là aussi, il était question d’un quadragénaire un peu perdu dans son temps, porté à la dépréciation de soi, nostalgique d’une certaine grandeur comme le personnage de Lardreau peut se montrer désireux de sublimer sa condition sociale. Le loser de Lalumière nous faisait rire par l’application qu’il mettait às’intégrer et par sa manière concomitante de démissionner du conflit social : chez Lardreau, l’anti-héros qui se rêve en super-héros nous fait rire par son inadaptation, sa maladresse, son esprit de sérieux, l’hénaurmité de ses ambitions en regard de ses moyens réels. Serions-nous donc face à une sorte de syndrome générationnel ? Je ne suis pas loin de le penser. Je ne suis pas loin de penser, en effet, que quelque chose a pu se développer dans les traces ou les parages d’un Houellebecq, quelque chose qui aurait trouvé dans l’arme de l’autodérision, du sarcasme doux-amer et du détachement sceptique, une façon de répondre aux quolibets du monde et de mettre en forme son relatif désarroi. La masculinité, l’autorité, le renouveau du féminisme, la paternité, le couple, le sexe, la réussite sociale et ses conformismes, l’empire des diktats sociaux et culturels : autant de sujets auxquels se confrontent aujourd’hui les hommes de la quarantaine, enfants de 68 et de son retour de bâton, du matérialisme triomphant et de la défection idéaliste, héritiers malgré eux d’un modèle patriarcal qui a du plomb dans l’aile (ce dont ils ne peuvent pas ne pas se féliciter, mais qui les accule à inventer d’autres espaces, une autre temporalité où poser leur individualité – j’allais dire à repenser la carte de leur nouveau territoire.)


Ces conditions socio-historiques ont entraîné une sorte de dépoétisation générale du monde, dépoétisation à laquelle l’individu conscient (et artiste) ne peut pas ne pas réagir. Fabrice Lardreau le fait, donc, à sa manière, sans prétention ni affèterie, au détriment peut-être d’un style dont l’imparable efficacité se paye parfois d’un défaut de patte ou de texture, et que j’aurais aimé, pour le coup, peut-être un peu moins contemporain, mais arcbouté sur une composition très astucieuse, pleine d’esprit, d’acuité, de drôlerie, dont on retiendra d’abord l’indiscutable talent narratif. On lira, donc, ce Pétrovitch d’une traite ou quasi, en pouffant et en s’esclaffant, mais en sachant bien que ce rire-là n’a rien d’innocent – qu’il est, aussi, la politesse d’une certaine désespérance.


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