Par Linsay la Binocle
Bellflower, d'Evan Glodell
Attention, SPOILER ALERT, cette critique inspirée vous dévoile tout. Si vous n’avez pas vu le film et tenez au suspens, passez directement à l’article suivant.
De Bellflower on a dit beaucoup : encensé par les uns et démonté par les autres, la couverture médiatique du film « indé » du moment en laisse plus d’un rêveur.
Commençons par le commencement, pas le début du film, mais son look. Comme nous somme en 2012, ce film a la sagesse d’afficher un technicolor digne des plus belles années de la réalisation argentique, j’ai nommé les années 1970 : piqué marqué, chaleur bonbon et saturation à outrance (rappelle-toi Claude François). Un bon film de hipster, dommage qu’Instagram n’ait pas développé un versant vidéo, ç’aurait évité à Evan Glodell A.K.A le réalisateur, d’avoir à construire sa caméra lui-même (oui madame !) (on y reviendra). Ce film « prend donc le parti » de sa génération, celui de regarder en arrière, en tout cas d’un point de vue esthétique. Je me demande souvent pourquoi Kodak s’est fatigué à inventer la technologie numérique, pour ce qu’on en fait, et pour ce que ça leur a rapporté.Même si la direction photographique nous plonge en plein dans un rétro-spleen, elle sert également le propos du film (oui c’est un film à propos). Les couleurs trop chaudes de l’image dans l’environnement poussiéreux et moite de la Californie donnent un aspect mirage dans le désert qui prête corps aux sauts et gambades ensanglantés comme onirisme dans le film.Cela mis à part, le bonhomme s’est quand même construit une caméra plutôt badass : sans trop entrer dans des détails techniques complexes, il a pris deux caméras complètement dingues, une argentique, une digitale, pour en créer une nouvelle « digitalo-argentique » sur laquelle il a monté des optiques soviétiques (oui !). Le résultat est un hybride plutôt très sympa (la bête fait une taille certaine, un petit robot presque), qui lui permet de faire une utilisation très outrancière du focus/défocus et du tiltshift, manipulé pour le coup de manière très esthétique. Le tiltshift mes bons amis, ou « décentrement » en bon françois (coucou Jacques AllGood !) c’est cette technique que l’on nous a servi au kilo l’an dernier et qui permet entre-autre de rendre des espaces monumentaux dans leur intégralité en simulant des miniatures par un jeu sur la profondeur de champ. Je vous invite à consulter notamment la campagne de publicité de Toys R’ Us – Grey Advertising. Chérie j’ai rétrécie les Bosch c’est par-là : http://www.coloribus.com/adsarchive/prints/toys-r-us-store-berlin-9903105/resizes/2000/. Glodell l’a utilisé dans certaines scènes de conduite dans le désert pour accroître l’effet monumental. Vous pouvez d’ailleurs essayer à la maison avec Instagram : prenez un espace que vous surplombez en mettant ce qui vous intéresse bien au centre, utilisez l’outil de flou symétriquement sur les cotés de votre photos et tadah ! Vous me direz on s’en f(l)ou. Ouais, mais j’aime bien gloser sur la gnose photographique.
Touchons maintenant au fonds de cette affaire. Le réalisateur/scénariste/acteur-blabla a donné une part autobiographique à ce film, s’étant inspiré d’une rupture personnelle et des sentiments qu’il a éprouvés alors. Sans parler de catharsis, ce film apparaît comme un défouloir, à l’instar du personnage principal qui tue sa douleur à proprement parler en assassinant son ex (j’avais prévenu pour le spoiler).Il ne m’est pas seulement apparu comme un délirium personnel érigé en chef-d’œuvre par une critique en manque de talent à microscoper. C’est également un film initiatique – Candide n’a qu’à bien se tenir – dont le sujet n’est pas ce que contient/doit contenir la vie, mais la vie elle même, au travers d’une rupture. La question qui le sous-tend : comment vivre seulement ? Ainsi, il n’est peut être pas l’œuvre d’une génération, mais une description franche de « LIFE’S A BITCH BUT SHOW MUST GO ON ».Le film pourrait se terminer une quinzaine de minutes plus tôt, au moment où Woodrow-Glodell « assassine » Milly – lagirlfriend. Ce serait effectivement une histoire d’amour sur fond apocalyptique. Sans grand intérêt mais pas dérangeante à regarder. L’introduction de plusieurs scénarii de vengeance alternatifs dans le film est intéressante. D’une énième histoire d’amour échouée sur les rivages de l’adultère, le réalisateur fait un film qui parle de l’amour comme violence, de la violence comme producteur de soi, symbole de l’existence. L’aspect tragique de ces thèmes est annoncé dès le départ comme une fatalité : « I’ll hurt you, and I won’t be able to help it » (sic.) prophétise dramatiquement Milly. Le réalisateur promet de nous montrer l’effondrement d’un idéal de soi, de l’autre, d’une vision de l’amour partagé.
Notre « héros » commence donc par se faire joyeusement cocufier. Décidant de ne pas en rester-là, il se prend une voiture de pleine face. Combo gagnant (vous remarquerez la métaphore fine : se faire passer sur le corps par un véhicule en pleine course comme symbole de l’amour brisé. Habile). Il en ressort pas mal amoché ce qui lui donne beaucoup (trop) de temps pour réfléchir à sa piteuse situation et réunir les morceaux de son petit cœur défoncé. Pas content, il lui prend quelque envie de vengeance. C’est à ce moment-là que l’affaire se corse et que le désespoir vicieux se manifeste. Le symbole de la violence bouillonnante est une boîte en carton (« Milly’s shit » sic.) réunissant les affaires de son ex, dernier reliquat d’une époque dorée foulée aux pieds. On la verra deux fois, elle marque l’entrée puis la sortie du défouloir. Sa vue est un affront et une blessure insupportables qui dérivent vers des fantasmes de vengeance déchaînée et sans limite, jusqu’à la jouissance du viol et du meurtre, libérations perverses des souffrances causées dans un flot de douleur infligée. La construction de LA voiture (un cours de tunning qui n’a rien à envier à Pimp my ride), qui commence à la sortie d’hôpital de Woodrow et entraîne son départ quand elle se termine, accompagne ce processus de violence digestive – métaphore 2.Dernier fantasme, après la colère, la nostalgie : revenue d’entre les morts, Milly pas rancunière fait amende honorable et se soumet à la force de l’amour. C’est une transition, la dernière phase de résistance. Il souhaite son happy end à lui, celui de l’amour triomphant – tragédie 2 ! Et puis vient le temps de la reconstruction, celui de l’oubli – métaphore 3 : le départ de Woodrow et de son budy Aiden. Une fois plusieurs scénarios meurtriers épuisés, la colère s’apaise, la mer redevient d’huile. La violence infligée a été absorbée, digérée, exorcisée, l’Homme Nouveau est né. Il DRIVE (lui aussi).
C’est finalement un film qu’une esthétique pouvant paraître prétentieuse trahit mais qui tente une réactualisation du genre tragique (peut être à son insu) dans une réflexion somme toute commune mais néanmoins bien menée. La Censure vous autorise donc à le visionner. Envoyer par e-mailBlogThis!Partager sur TwitterPartager sur Facebook