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Jack White, une quête de la beauté artificielle

Publié le 02 mai 2012 par Lordsofrock @LORDS_OF_ROCK

INDIE ROCK - Plus qu'une simple chronique sur un simple album. Stéphanie nous livre ici une approche personnelle voire biographique sur le disque solo de Jack White, avant de passer naturellement à une analyse détaillée de l'album. Bonne lecture.

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Jack White tout seul, sans Meg, sans Tom Jones, sans Brendan Benson, sans Alicia Keys, sans Alison Mosshart. Jack White sans les copains, copines, pas de supergroupe de confirmé-e-s, pas de featurings sans frontières. Un album solo. Ça sentait comme un retour des White Stripes, tant l’autre bras du duo, Meg White, était écrasée par le frontman, docilement posée derrière ses fûts sur lesquels elle tappait avec sa candeur et son amateurisme charmeurs, poussant parfois la voix sur les moins bons morceaux. Il est temps de faire le deuil.

Jack White, les White Stripes, c’est un de ces groupes qui ont fait surgir le rock dans ma piaule, avec The Strokes et The Libertines, alors que jusque-là je me repassais inlassablement les albums des Beatles, des Kinks, du Velvet Underground, le groupe le plus récent à arriver dans mon lecteur CD tout neuf étant Oasis, dont un pote m’avait sympathiquement gravé toute la discographie d’alors, et qui était en train de mourir (période Standing on the Shoulder of Giants et Heathen Chemistry, triste ado que j’étais). Bref, à Jack White je lui dois beaucoup. Il est l’une des figures maîtresses de ce qu’on appelle le revival garage rock des années 2000, il m’a donné DE STIJL, WHITE BLOOD CELLS, "Ball And Biscuit", "Stop Breaking Down", "Apple Blossom", "Fell in Love with a Girl" (et à d’autres le po-po-po-po-po de "Seven Nation Army"), a forgé mes amitiés qui durent, a accompagné mes premières cuites de collégiennes le mercredi après-midi avec mon cousin. Je lui suis toute dévouée. A priori.

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Je défends corps et âme GET BEHIND ME SATAN et ICKY THUMP alors que d’autres choses se tramaient déjà ; j’ai prêté grande attention à The Raconteurs, un peu moins à The Dead Weather, ces supergroupes dont il est si difficile de se faire une idée indépendante de toute attaches. "Another Way to Die", là quelque chose s’est brisé. A force de le voir partout, expérimenter et s’affoler dans tous les sens, on perd un peu de vue ce pour quoi on attendait chaque production de White comme un catho intégriste l’ostie consacrée du dimanche. Lui aussi l’a un peu perdu de vue, et c’est pour cela que j’ai oublié Jack White. Les commentaires larmoyants sur l’annonce de la séparation des White Stripes, le 2 février 2011, me faisaient doucement rigoler. Autant dire que la Moi de 17 ans m’aurait filé une claque pour mon désintérêt. Et même là, à la sortie du premier album solo de Jack White, LE Jack White, je me sens d’un calme olympien, quoique très entâché de murmures internes : « je le sens mal ».

Trêve de ma biographie personnelle, passons à ce BLUNDERBUSS. Tout seul, Jack White ne l’est pas vraiment. Des chœurs, des voix féminines qui se mêlent à la sienne, deux groupes, l’un exclusivement d’hommes, l’autre de femmes pour l’accompagner en tournée. Les gros moyens quoi, Jack White prévoyant de choisir au jour le jour quelle bande l’accompagnera sur scène, les genres devant proposer une énergie et une émotion différentes… Si Jack White donne un argumentaire à ce choix visant à lutter contre les stéréotypes, on a quand-même de la peine à suivre sa logique : certes veut-il démontrer qu’un groupe de filles présente les mêmes compétences musicales, mais poser que la différence des sexes impliquera une différenciation du rendu, c’est aussi poser comme fait établi que ce qu’on a entre les jambes détermine la façon de tapper un fût, de gratter une gratte. Bref, le ressenti personnel et le « son » restent encore cloisonnés dans le binarisme du genre malgré tout.

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BLUNDERBUSS sort sous le label de Jack White, Third Man Records, mais Columbia n’est pas très loin. D’entrée, Jack White marque la différenciation d’avec les White Stripes : fini le trio rouge-noir-blanc, place au bleu nébuleux – voir « émo » –, qui sied bien à l’album qui propose également une coloration musicale d’un autre ton. Du blues, oui, mais pas comme il l’a exploré jusqu’à maintenant. L’album s’ouvre sur une intro de quelques notes de clavier répétitives, prend de l’ampleur et s’arrête bien vite en une trêve pour qu’une guitare se chauffe, puis c’est envoyé. Jack White se voit la victime d’une femme exterminatrice qui le dévaste, une thématique qui soutient une bonne partie de l’album. Un peu glauque quoi, et l’ambiance épaisse n’améliore pas les choses, les strates étant emplies à raz bord. Le son est globalement plus épuré que dans les dernières frasques en « supergroupe », moins muraille de Chine de guitares, et loin du lo-fi succulent des Whites Stripes. "Sixteen Saltines" y va plus franco, avec un riff brutal mais répétitif à en sentir la vieillerie, très classique par rapport à ce que Jack White a produit jusque-là. C’est plutôt au niveau du chant que Jack White se lâche, osant quelques diatribes teintées de mimiques hip-hop, surtout sur "Missing Pieces". Mais de là à être bluffée par le changement…
"Freedom at 21"  pointe plutôt dans le hard et chant râpeux et reprend la complainte de la femme qui le fait souffrir : « She's got freedom in the 21st century », la femme s’est-elle – partiellement – émancipée pour faire souffire les messieurs ? Hum. L’album semble commencer dans l’urgence, puis la ballade "Blunderbuss" redonne un élan de douceur, bienvenu, le violon s’invitant. Jack White fait démo de sa maîtrise avec des solos bigarrés insérés entre des tappotements en chœurs de la batterie et de ses doigts sur le clavier (Weep Themselves To Sleep) : une technique qui donne certes de la densité au son, mais pas beaucoup de contraste dans les pistes instrumentales. Empruntée à Rudy Toombs (qui l’a écrite pour Little Willie John), "I’m Shakin" propose lui des chœurs de voix soul quelque peu dégoulinants pour une ambiance Eglise noire, du R&B qui fait figure d’alien dans cet album de par son côté boogie et dansant. Une cover rigolote qui a le mérite de proposer une petite pause en milieu d’album ampoulé.

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Le piano et la voix version plaintive-bluesy de Jack reviennent de suite (Trash Tongue Talker), avec l’emprunte de Led Zep bien sentie, avant que le virevoltement du piano entre en crise et rende le titre plus léger et attirant. Jack semble faire des grands écarts quand surgit "Hip (Eponymous) Poor Boy", qui commence comme une chanson de Noël hispanique puis saute dans la country à l’aide du banjo ; la permanente reste le ton enfantin du titre comme le pouvaient être certains des White Stripes (Hotel Yorba ou We're Going to Be Friends). Piano, banjo, les guest ne sont pas tarris, la contrebasse intervient pour se la péter dans un déroulement jazzy où plusieurs voix se mêlent. Le piano se libérera ici dans un solo assez excitant. C’est plutôt autours de cet intrument que Jack White garde sa spontanéité, ailleurs il réemprunte sans cesse la façon de faire des formations précédantes. – Mais cela renvoie à un constat fait sur The Strange Boys il y a peu : ajouter un clavier à l’attirail ce n’est pas se révolutionner, et y consacrer toute son attention en oubliant de composer des parties intéressantes pour les autres instruments, c’est couler indubitablement son morceau. – Retour à l’album, I Guess I Should Go To Sleep semble être un titre pour un film, où les acteur-trice-s se mettent à pousser la chansonnette entre deux saynètes. Ah ben tient, Monsieur White est pressenti pour collaborer avec Disney ! L’album se clôt sur un "On And On And On" qui oui, encore et toujours rappelle les ballades torturées et torturantes des Raconteurs, avec une intro brumeuse assez intéressante ma foi qui débouche sur une basse ensorcelante ; et enfin "Take Me With You When You Go" reste le titre le plus intéressant, où les voix se joignent pour un rejet phrasé impressionnant de par sa rapidité et sa netteté, où les changements de rythme sont bluffants, mais trop intéressés à nous bluffer justement avec des solos de guitares « j’en jette ».

jackwhite3 Jack White, une quête de la beauté artificielle

Il semblerait comme ça, à l’écrit, que l’album se revendique par sa diversité dans les tonalités, mais à l’écoute il n’en est rien. Si les doigts de Jack White sont ultra-productifs, et que la qualité de ce qui en est sortie s’est présentée la plupart du temps comme de l’or en barre, cet album et ce qui l’entoure est pompeux, à s’en sentir débordé.

Jack White a misé son talent indiscutable dans la démesure, dans le pompeux, et non plus dans la rage spontanée de ses premiers pas. D’où une question gênante : peut-on encore proposer une musique rageuse et spontanée après une carrière folle et l’étiquette appliquée et attestée de génie ? Jamais constant, jamais raté, pris titre à titre cet album semble une perle, mais le tout m’a tout de même poussée à l’indigestion : indigestion de Raconteurs surtout, de Dead Weather un peu, pas vraiment de White Stripes. Le sentiment qui reste imprégné à la fin c’est celui de l’ennui. Bien que Jack White soit Jack White. Bien qu’il ait misé sur la variété. Bien que j’ai eu mille peine à en parler de cette façon. Bien que, bien que. Fais-je mon complexe d’Œdipe ? Veux-je tuer le père ? Les critiques sont majoritairement bonnes où que je m’attarde sur le net. On l’attendait trop. Pour ma part, je suis passée à d’autres héros.


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