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A mon âge, je me cache encore pour fumer de RAYHANA

Par Lecturissime

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♥ ♥ ♥

« SAMIA - D’être avec vous comme ça, je me sens forte comme un homme.

NADIA - Une femme Samia, une femme ! » (p. 103)

L’auteur :

Née dans le quartier de Bab el-Oued à Alger, Rayhana a suivi les cours de l’École des Beaux-Arts puis de l’Institut national d’Art dramatique et chorégraphique (Inadc) de Bordj el-Kiffan, avant de rejoindre la troupe du Théâtre de Béjaïa alors dirigée par feu Malek Bouguermouh. Comédienne sur plusieurs pièces et films pour la télévision et le cinéma, Rayhana a fait ses premiers pas d’auteure et de metteure en scène avec Fita bent el alouane, une pièce pour enfants créée en 1992, avant de quitter l’Algérie pour la France. A mon âge, je me cache encore pour fumer est sa première pièce écrite en français.

L’histoire :

A mon âge, je me cache encore pour fumer est une tragi-comédie qui rassemble 9 femmes d’âges et de conditions diverses dans un hammam à Alger. Dans l’intimité de cet espace protégé de l’extérieur, les regards et les points de vue se croisent, entre pudeur et hardiesse, dans le dévoilement violent, ironique, drôle et grave, des silences refoulés de femmes qui se sont tues trop longtemps. Peu à peu se révèlent leurs destins particuliers, à travers des histoires qui ont marqué et modelé leur chair, dévoilant progressivement la violence politique, sociale et sexuelle d’une Algérie en proie à la corruption, à la misère et à l’intégrisme meurtrier. Un enfant s¹apprête à venir au monde et par instinct et nécessité, toutes, d’une manière ou d’une autre se lèveront pour protéger et défendre cet être nouveau, symbole de leur foi inébranlable en l’avenir. Neuf femmes,neuf destins entre rébellion, rêve ou soumission, réunis au coeur de la matrice, le Hammam, ou le combat contre l’oppression, la violence, la guerre, se panse entre fous rires et pleurs, secrets et exaltation.

Ce que j’ai aimé :

Parce que les femmes se retrouvent au hammam, les hommes sont exclus de l'espace de la pièce. Ils restent à la porte et ils auront beau cogner pour entrer, les portes de la féminité resteraont solides... Mais si ces hommes sont absents, ils sont de au coeur de toutes les conversations. Pour Samia, ils représentent l'espoir juvénile d'un amour torride et complet, pour les autres, ils sont bien souvent porteurs d'oppression et d'incompréhension. Latifa aura beau essayer de réconforter la jeune naïve en lui vantant les qualités de son propre mari, les hommes auront tout de même raison des rêves rosés de la jeune Samia qui n'en sortira pas indemne... 

Les dialogues sont calibrés, intelligents et teintés d'humour, comme ces femmes qui pointent du doigt les aberrations de leur pays mais y sont néanmoins viscéralement attachées comme le souligne Fabien Chappuis, metteur en scène de la pièce :

« Même si des évènements récents ont donné toutes les raisons objectives de partir, la patrie reste le lieu de nos origines, de l’histoire dont nous sommes le fruit, de l’histoire de nos parents, de notre enfance. Une patrie qui a été source de souffrance mais que l’on ne peut s’empêcher d’aimer profondément. Une histoire difficile mais qui reste, malgré tout, notre histoire. Si Rayhana condamne certains aspects de l’histoire récente de l’Algérie, le portrait qu’elle fait de ces femmes est pour moi une déclaration d’amour. » (Préface de Fabian Chappuis)

En témoigne la dernière scène :

« VOIX OFF DE SAMIA – Moi, je ne fais pas comme ma mère, je ne me frappe jamais la tête quand je suis triste. Moi, je vais en haut, sur la terrasse de notre immeuble blanchi à la chaux, à l’occasion du grand nettoyage pour accueillir le printemps. Chez nous tout est blanc ; Alger la blanche, c’est comme ça que l’appellent les amoureux. Depuis ma terrasse je regarde, la mer, là-bas, au loin, coincée entre deux immeubles blancs eux aussi. Parfois il y a des bateaux, on dirait des goélands géants, chargés de poissons encore vivants dans leurs ventres, et je pense aux jeunes qui, tout comme ces poissons, se cachent dans les entrailles des bateaux qui rejoignent la France…

De ma terrasse, je regarde les autres terrasses, où d’autres femmes suspendent le linge de toutes les couleurs, délavé par la force des mains ! Ca ressort mieux, qu’elles disent : dix pantalons, douze chemises, vingt culottes… et des foulards surtout des foulards qui souvent se détachent et s’envolent, emportés par le vent, attirés vers la mer eux aussi.

Il y a aussi d’autres filles suspendues à leurs terrasses. On regarde, on se regarde, on s’épie, on rêve… Puis d’un seul coup, en même temps, un cri attire notre attention vers la rue en bas, au pied de l’immeuble : (comme si elle commentait un match de foot) des enfants qui courent de partout, ils crient, ils gigotent, ils sautent… Et But ! L’équipe des enfants de l’immeuble de gauche vient de marquer un but à l’équipe de l’immeuble de droite avec leur ballon de fabrication locale, fait d’un sac poubelle bourré de vieux journaux que leurs pères ont fini de lire, et que leurs mères ont déjà utilisé pour faire briller les vitres. Les petites filles à côté, jouent à la mariée, elles font la fête, elles chantent tout en tapant sur les bidons d’huile en guise de derbouka, que leurs mères a essoré jusqu’à la dernière goutte dans le couscous familial de la veille.

Et puis d’un seul coup, des cris, des rires, des sourires et des youyous, des milliers de youyous à vous percer les tympans, des youyous de joie qui s’échappent de chaque immeuble, de chaque fissure, de chaque femme, de chaque gorge : l’eau est revenue !

A la fin de chaque pénurie on est tellement heureux ; et on en a des pénuries ! Il n’y a pas que de l’eau qui nous manque, l’électricité, la semoule, la patate et l’amour, surtout.

Moi je crois en l’amour.

C’est pour ça que je ne veux pas partir… »

Un magnifique cri d'espoir...

Ce que j’ai moins aimé :

D'avoir manqué sa représentation...

Premières répliques :

« FATIMA – Mon Dieu, qu’est-ce qui se passe !

MYRIAM – (essouflée et en pleurs ; elle parle en arabe) El Babe, aghelqui el bab, rabbi yiaychak eghelkiha !

Fatima se dirige vers la porte.

FATIMA – Ne crie pas, je vais la fermer cette porte ! (grognant, à elle-même) Il n’y a plus nulle part où l’on peut fumer tranquille dans ce pays… »

D’autres avis :

Jeune Afrique ; Marianne

A mon âge, je me cache encore pour fumer, Rayhana, Les cygnes, décembre 2009, 11 euros



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