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La peinture de l’incertitude (Farah Atassi)

Publié le 07 mai 2012 par Marc Lenot
La peinture de l’incertitude (Farah Atassi)

Farah Atassi, Workshop II, 2012

Les nouvelles toiles que Farah Atassi présente à la galerie municipale Edouard Manet à Gennevilliers (jusqu'au 12 mai) marquent une accentuation, et presque une rupture (par rapport à celle-ci, aussi montrée ici). Si nous restons dans ses univers intérieurs géométriques et modernistes, il y a ici toujours moins de certitudes, encore moins de repères. Dès l'entrée, face à Worskshop II, on chavire : l'espace représenté n'est plus qu'une mosaïque de petits carreaux, et ce sont eux qui structurent l'espace, et non plus les lignes bien tracées dont nous étions familiers. Les effets de profondeur et de volume naissent de cette composition, où la vision est diffractée, où l'image est quasiment pixellisée, où l'oeil ne sait trop sur quoi accommoder. Nous ne savons plus appréhender les distances, nous ne savons plus à quelle échelle nous sommes : sont-ce des maquettes de bâtiments modernistes, elles aussi bâties à partir de petits carreaux, qui sont présentées là dans une pièce, ou sont-ce de véritables bâtiments, écrasés par les gratte-ciel qui les surplombent ? L'objet moderniste est désormais central et non plus accessoire, et c'est autour de lui que la composition s'agence.

La peinture de l’incertitude (Farah Atassi)

Farah Atassi, Abandoned Dormitory, 2011

Incertitude aussi face à Abandoned Dormitory dont les lits vides semblent flotter comme des fantômes de collégiens d'antan (tout ancien élève de pensionnat s'y retrouve, comme dans cette installation là), mais leurs lignes se chevauchent, piétements, montants et barres de châssis, sans qu'on puisse les distinguer. La perspective souffre, avec plusieurs points de fuite, les lits semblent être plus trapézoïdaux que rectangulaires, introduisant une trouble inquiétude que renforce l'inversion entre plafond et plancher.

La peinture de l’incertitude (Farah Atassi)

Farah Atassi, Cloakroom, 2012

Face à Cloakroom, c'est d'abord la couleur qui inquiète, ce rose sirupeux qui macule en partition taillée les carreaux de ce vestiaire abandonné, où deux fils noirs serpentent au plafond et où des barres sont abandonnées au sol (Cadere monochrome). Les repentirs sont bien visibles, la manière dont l'image s'est construite est apparente, et à droite, un pan de mur flotte, incertain, comme pour nous dire que tout n'est pas vraiment réel ici. J'ai pensé en contrepoint au bas du tableau de Matisse montré ici hier, à ce petit trait diagonal qui l'ancrait au contraire dans le réel, qui disait que c'est bien une porte-fenêtre que nous voyons là, et pas une pure abstraction.

La peinture de l’incertitude (Farah Atassi)

Farah Atassi, Playroom, 2012

Incertitude enfin face au gigantisme des motifs décoratifs bruns qui envahissent Playroom, imposant une trame géométrique étouffante, au milieu de laquelle subsistent de petits jouets, maisons et voilier de bois, aux formes triangulaires élémentaires. Au delà des références au modernisme, c'est la poursuite de la construction d'un univers où la rigueur géométrique se métisse de plus en plus avec une incertitude poétique qui s'affirme ici, avec une plus grande distanciation du réel, une plus intense déconstruction et un jeu plus audacieux avec les couleurs.

La peinture de l’incertitude (Farah Atassi)

Stéphanie Cherpin, Trophy, 2012

La peinture de l’incertitude (Farah Atassi)

Stéphanie Cherpin, Trophy, 2012, détail

Le reste de la galerie est occupé par les sculptures de Stéphanie Cherpin, qui ont sans doute en commun avec les tableaux de Farah Atassi une certaine fascination pour la ruine, le débris, le 'derelict'. J'ai préféré sa grande composition murale Trophy où sont accrochées à des fers à béton des plaques noires et brunes sur lesquelles on devine des motifs  qui pourraient être des griffures, des empreintes de semelles ou des brisures, et où j'ai cru reconnaître des coupoles à la Klee : les ruines sont aussi des palimpsestes où on peut croire déchiffrer tout autre chose que ce qui y est inscrit.

Photos Farah Atassi, Courtoisie Galerie Xippas et l'artiste :
Abandoned Dormitory, 2011, 180 x 190 cm. Cloakroom, 2012, 160 x 200 cm. Workshop II, 2012, 200 x 160 cm. Playroom, 2012, 200 x 160 cm (Huiles sur toile)
Photo du détail de Trophy de Stéphanie Cherpin, par l'auteur. 


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