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[Feuilleton] "Le Retour d'Arkadina" de Liliane Giraudon, 2/13

Par Florence Trocmé

Poezibao publie en feuilleton Le Retour d’Arkadina, une pièce de Liliane Giraudon, en 13 épisodes. Voir ici l'avertissement de Liliane Giraudon Épisode 2  
(épisode 1
 


Alias Macha

Pas la peine de marcher. 
Inutile même de se mettre à aboyer.  
Il ne la voyait pas. 
 
Alias Nina
On prend le temps. On se tourne. 
On l’enlève (elle ôte sa culotte) 
On la renifle. On s’en débarrasse. 
Le soleil, il est invisible. Ne pas rire. 
Ne pas pleurer. 
Mon corps va jusqu’où vont mes yeux. 
Il répétait que les mots ne désignaient pas les choses, le monde…mais notre expérience du monde.  
Notre expérience au monde. 
Les chevaux traînaient les morts.  
Moi aussi j’étais attachée par une chaîne que je ne pouvais rompre.  
Soit. 
C’était un mauvais film. 
Des hommes se suçaient au premier plan. 
Comment je savais ? 
J’ai toujours su distinguer une bouche d’homme.  
Le contrepoint double renversable à l’octave n’est pas un contrepoint réversible (qui permet aux voix de changer de place) 
Le contrepoint ? 
On peut le définir comme l’élément de désaccord entre les voix et les parties. 
On me parlait. Eux dehors, moi enfermée. 
Une avalanche. 
Le temps est une larve. 
Avec le temps il était devenu spécialiste. Considéré comme. 
C’était sinistre. 
Deux cœurs roses. Le mouvement d’une invention. 
L’oiseau passe au-dessus de la flamme. 
Dans l’usage général son nom sert à désigner inexactement d’autres oiseaux marins.  
Comment peut-on vivre dans un monde pareil ? 
 
Alias Trigorine

Nous passons une grande partie de notre temps à rechercher des lieux où le silence n’existe pas… 
Je n’aurais jamais dû accepter de venir ici avec elles. 
Le passé ? Il passe. 
Il arrive que les gens dorment tout en marchant. 
Ces deux cinglées n’entendent rien, ne voient rien. 
Pour elles c’est une nuit réussie.  
Aussi blanche que du pus. Voilà la nuit. 
Maintenant, attendre ce qu’ils appellent « le finissage ». 
Et cette performance en hommage à Tchekhov… Autant craindre le pire.  
L’année de la Russie, autant craindre le pire. 
 
Alias Macha

On peut rester assise.  
Après tous les mouvements de la nuit, on peut rester assise à regarder les choses. 
Verre. Raisin. Chaussure. 
Verre. Raisin. Chaussure. 
Mettre des noms. 
Bouches sur le verre. 
Des tas d’expérience. Le cours des évènements. 
 
Le cours des évènements. 
La marche véritable des pensées et des perceptions. 
Je n’ai jamais donné le sein à ma fille. 
C’est pour ça qu’elle est partie avec son père. 
Maintenant ils vivent ensemble. 
C’était l’année où j’ai commencé le Thaï Chi. 
Puis il y a eu la baie de San Francisco. Parce que je l’avais suivi.  
Ici, un catéchisme en avait remplacé un autre.  
Les consultants se succédaient, affamés par des contrats juteux.  
On parlait de génocide économique.  
Limiter le pouvoir des prédateurs n’intéressait personne.  
Moi je n’avais qu’une idée, l’arracher de mon cœur. 
C’est pour ça que j’ai quitté le père de ma fille, que j’ai perdu ma fille.  
J’ai suivi l’autre, celui qui avait surgi …Un vrai coup de tête. 
Tout le monde m’en avait cru incapable.  
Comment ? Elle ? Elle est partie aux States ?  
Elle a suivi ce type qu’elle connaissait à peine ? Mais vous déraillez… 
Pas un déraillement, une folie véritable, un coup de folie. Je me souviens très bien.  
L’arracher de mon cœur c’était aussi arracher tout ce qui se trouvait associé à lui : vêtements, nourriture, paysages…la langue.  
Et ce lac. Ce lac terrible. Là-bas les lacs sont tous différents. Rien n’est pareil.  
Oui, il y a eu la baie de San Francisco.  
Il y a eu Sabine. Notes for Echo Lake. 
Sans elle je serais morte. 
Parce que bien sûr très vite j’ai su. Très vite j’ai compris. 
Rien n’avait été arraché.  
Mon cœur était resté le même.  
Il était resté dedans.  
Une véritable incrustation.  
Mais je n’en savais rien. 
Comme un insecte pris dans un bloc d’ambre, il était là. 
 
Sabine m’a plongée dans la danse improvisée.  
On créait des pièces improvisées.  
Cette nouvelle vie pour moi, si différente…  
C’était fou. Je croyais renaître.  
Je naissais. 
Je n’avais jamais été aussi vivante.  
Les impulsions devaient aller au bout de ce qu’on avait accumulé. 
« Un outil pour la pensée » c’est ce qu’elle disait. 
Une célébration. 
 
 
épisode 3 le mercredi 9 mai 2012 


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