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Margin Call

Par Thibaut_fleuret @Thibaut_Fleuret

Margin Call

Il fallait s’y attendre de la part du cinéma américain. Après l’agréable surprise que fut The Company Men de John Wells et l’échec artistique de Wall Street 2 d’Oliver Stone, voici Margin Call, un autre film qui prend comme matériau de base la crise financière. Celle-ci est trop ancrée dans les réalités de millions de gens pour qu’elle ne soit pas être étudiée en profondeur. Ce premier film de J.C. Chandor vient donc s’inscrire dans une certaine logique cinématographique.

Tout est dit dès les premières images. Grâce au générique de début basé sur des images du quartier des affaires de Manhattan, le spectateur sait qu’il va plonger dans le milieu de la finance new-yorkaise. Néanmoins, une démarche trop généraliste ne s’avérait pas assez originale pour que Margin Call soit réellement puissant. En effet, un certain nombre de clichés auraient pu être à l’ordre du jour. Le réalisateur va donc s’attacher, petit à petit, à restreindre son échelle de représentation. Il va ainsi entrer dans des préoccupations plus intimes en suivant une équipe de traders. Nous voici donc au cœur des préoccupations de cette catégorie professionnelle. Cette dernière n’apparaît ici dans son plus beau costume. Le milieu est carnassier. Ainsi, quand le licenciement pointe le bout de son nez, il n’y a plus de place pour l’humanité. Les relations entre les employés que l’on pourrait croire serrées deviennent distendues, cachées derrière l’esprit du paraître. Chacun est finalement content de garder sa place dans un cynisme assez malveillant. Ce n’est que début. Puis, il y a cet ultime moment de conscience de la part de quelques-uns. Certains se rendent compte des erreurs fatales que de leurs actions ont engendrées. C’est le véritable point de départ du récit et le film va basculer dans ce qu’il va être, à savoir un huis clos économique.

A première vue, le film est davantage un constat plus qu’une dénonciation. Ainsi, les personnages ne sont pas tous des salopards finis et arrivent même à traduire une réelle complexité humaine. Certes, à cause de leurs manipulations financières qu’ils n’arrivent pas à toujours maîtriser, ils ont mis le monde quotidien dans une situation plus que délicate. Néanmoins, ils arrivent à procurer une empathie qui fait que nous comprenons leurs positionnements sur leur métier, sur autrui, sur le monde. Margin Call est, en ce sens, assez vicieux et nous n’arrivons pas à détester les personnages. Pire, on a l’impression qu’ils font ce qu’ils peuvent pour sauver ce qui peut encore l’être. Le métrage se défend d’être trop manichéen et cette caractérisation lui donne richesse et originalité bienvenues. De plus, comme pour bien saisir cette personnification du film, le spectateur rentre dans leur univers professionnel pour ne jamais en sortir. Nous ne verrons pas les conséquences de leurs actes dans la vie des millions d’Américains et d’autres et nous n’irons plus loin que les bureaux de cette agence. Ce n’est qu’à toute fin que nous comprendrons l’enjeu moral du film. Pas d’échappatoire, pas d’excuse, pas de rédemption, le film est avant tout une chronique funèbre. Le dernier plan prend alors sa dimension et donne sens et corps au métrage : le capitalisme n’a pas de beaux jours devant lui.

Par cette thématique et grâce à une action plus mentale que corporelle, plus informatique que réelle et finalement abstraite, le film est assez étouffant car on ne sait jamais comment se placer idéologiquement et physiquement. Hélas, la mise en scène n’est pas toujours à la hauteur de l’ambition du film. Si le réalisateur essaie, au début, d’ombrager certaines parties pour mieux montrer la dualité de l’humain et de l’environnement, la représentation dans sa globalité n’est pas toujours bien gérée. Il n’arrive pas à transcender ses partis pris. Ainsi, la caméra reste assez plan / plan malgré quelques travellings trop rares et les flux d’information ne sont pas suffisamment représentés même si quelques métaphores sont intéressantes. On n’ose imaginer ce qu’aurait fait David Fincher avec un tel matériau. C’est le premier film de J.C. Chandor et cela se voit. Néanmoins, et c’est la plus grande force formelle du métrage, cela ne s’entend pas. Margin Call est en effet, d’une qualité d’écriture rare, bien mise en valeur par une troupe d’acteurs parfaitement dirigés et qui donnent le meilleur d’eux-mêmes. Si le spectateur n’est pas un averti de la sphère économique, il risque d’être perdu. Cela tombe bien, c’est exactement le but du réalisateur / scénariste qui veut faire errer son spectateur, le questionner, le faire tituber devant les tenants et aboutissants du récit. Chacun se rend alors compte de la complexité des nœuds économiques. Surtout, ce sentiment de tâtonnement devant ces dialogues vient contaminer des personnages en cruel manque de maîtrise. L’écriture devient omnisciente pour encore mieux installer la mise en bière de Margin Call.

Ce métrage, pas totalement abouti mais très intéressant, rentre bien dans la catégorisation des films de crise. Ceux-ci nous font pleinement comprendre les enjeux du monde dans lequel nous vivons. Il arrive également à rendre hommage à la capacité qu’a la cinématographie US de faire acte de la réalité historique immédiate, à la manière d’un documentaire du présent, comme elle a su le faire lors d’un autre grand moment de crise dans les années 1970. Dans le futur, pour comprendre ces années 2010, il faudra prendre connaissance de Margin Call. Le cinéma se place, ainsi, définitivement comme un outil analytique majeur de l’Histoire.


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